Intervention de Marie-Christine Blandin

Réunion du 17 décembre 2014 à 16h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Marie-Christine Blandin, sénatrice :

Je n'ai pas grand-chose à dire à part mon admiration pour la densité de ce qu'on trouve dans ce rapport : c'est une bible. Peut-être y a-t-il une ergonomie à développer pour mieux accéder au contenu, mais c'est vraiment très riche et très bien.

Pour ma part, je n'étais pas sur le champ exclusif de l'entreprise car la commission de la culture du Sénat avait travaillé sur des thèmes qui sont aux frontières du sujet de ce rapport. Par exemple, à la page 41, vous parlez de la régulation de l'échange entre les personnes physiques, puis après, on passe au virtuel. Nous avions travaillé sur le virtuel pour lequel il apparaît que, si les gens ne s'adressent pas des signes préalables, un sourire préalable, rapidement un propos peut être à l'origine de polémiques. C'est pourquoi, les discussions sur Internet, par exemple de syndicats ou de partis politiques, s'enveniment avec méchanceté et des modérateurs ont donc été mis en place. Le numérique fait apparaître de nouveaux acteurs et de nouveaux pouvoirs car les modérateurs sont des gens de pouvoir. Cela a également de l'importance dans l'entreprise parce que le modérateur prend le pouvoir alors que personne ne s'en aperçoit. Il filtre les débats avec ses convictions.

Ensuite, tout acte public pris par le passé a donné lieu à des archives papiers ; elles se trouvent à la Bibliothèque nationale et sont consultables dans les archives départementales, etc. Maintenant, le numérique donne le pouvoir à celui qui émet des documents de les détruire. J'en donnerai quelques exemples : une des académies – je ne sais plus si c'est celle des sciences, celle de médecine ou celle des technologies – a fait disparaître un rapport sur l'amiante datant d'une époque où elle estimait que cette matière n'était pas dangereuse, ce qui est tout de même gênant [Des signataires issus de l'INSERM se sont désolidarisés a posteriori du rapport de l'Académie de Médecine : « Amiante et protection de la population exposée à l'inhalation de fibres d'amiante dans les bâtiments publics et privés », Bulletin de l'Académie Nationale de Médecine ; Tome 180 n°4 – séances des 16, 23, 30 avril 1996, page 887]. Le numérique permet très facilement ce genre d'opérations de disparition.

Quant à l'AFSSAPS – on avait travaillé là-dessus avec M. Jean-Pierre Door –, au moment de la pandémie grippale, il a fallu vacciner tout le monde donc, en catastrophe. Sanofi, GSK et Roche ont mis au point des vaccins comprenant des sels d'aluminium. Moi, je me souvenais qu'une page de l'AFSSAPS disait que les sels d'aluminium posaient problème, qu'il fallait les interdire aux enfants de moins de deux ans et que, à terme, il n'y aurait plus de vaccins de ce type. J'ai donc recherché cette page mais ne l'ai pas trouvée. Je pouvais avoir rêvé sauf qu'une étudiante en médecine qui avait fait sa thèse sur les vaccinations avait pris une copie d'écran de cette page et c'est donc ainsi que je l'ai retrouvée.

Je ne parle pas du fond, mais le numérique donne le pouvoir de détruire des archives publiques et une réflexion démocratique doit être conduite là-dessus, car cela pose tout de même un problème.

Je continue, toujours un peu en marge de votre rapport, à propos de préoccupations relatives aux libertés individuelles. Je ne suis pas sur Facebook. J'ai reçu de nombreuses invitations d'amis qui y sont et, la dernière fois, j'ai reçu une invitation de personnes souhaitant m'inviter avec la liste de tous mes amis, de mon beau-fils, de mon ancienne collaboratrice etc. Cela fait froid dans le dos car, si l'on repense aux réseaux de résistance, on se dit que si, aujourd'hui, nous nous trouvions dans la même situation, n'importe quelle police fasciste, en appuyant sur un bouton, pourrait obtenir tous les lieux où vous pouvez vous cacher, toutes vos relations... Je ne suis pas sur le réseau, et, pourtant, les gens qui me mentionnent sur le réseau y développent en creux l'imagerie de mes amis et, cela, c'est un problème de liberté.

Certaines de vos recommandations sont relatives à l'éducation et à l'enseignement supérieur. Je souhaiterais alerter sur la mauvaise formation des étudiants au numérique et sur le plagiat. En effet, de plus en plus de thèses sont plagiées dans les universités ; cela constitue un vrai problème au point que, lors de son audition au Sénat, M. André Syrota, de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et de l'Alliance pour les sciences de la vie et de la santé(Aviesan), nous a alertés sur le fait que 40 % des publications, dans Nature, de découvertes, d'innovations etc. n'étaient pas reproductibles parce que le travail n'est pas fait de première main. Cela pose problème.

Vous parlez de la compétitivité des entreprises. La commission de la culture du Sénat a travaillé sur les entreprises de presse, qui gagnent leur argent sur la publicité, mais, depuis que Google les référence et se place entre les publicitaires et les agences de presse, c'est Google qui ramasse l'argent.

La Belgique a souhaité élaborer un texte pour empêcher cela, mais Google a débranché toutes les entreprises de presse belges du référencement. Tout récemment, Google plus vient de débrancher l'Espagne qui préparait un nouveau texte de loi dans ce domaine. Ce qui donne une idée du pouvoir de ces monopoles. Dans votre rapport, vous parlez beaucoup du risque des monopoles.

Ensuite, dans un passage, vous évoquez la mentalité des hackers. Avec Le Monde diplomatique, nous avions réuni les Anonymous. C'était impressionnant, car ils nous ont expliqué comment ils avaient aidé la démocratie en Égypte pendant la répression ; de même en Tunisie. Tous les journalistes du Monde souriaient et trouvaient ces jeunes gens formidables mais, par derrière, ceux-ci nous ont précisé qu'ils n'avaient qu'une ligne, celle de la circulation de l'information : si un chef d'État fasciste voulait susciter l'adhésion de jeunes, et au moyen d'un message à la jeunesse, et qu'un autre État souhaite l'empêcher, les Anonymous feraient en sorte que ce message parvienne jusqu'à elle. Ils entendent être inodores et incolores ; leur philosophie, c'est la sacralisation du message.

Merci donc pour votre rapport.

À propos du coût éventuel de la sécurité numérique sur la compétitivité des entreprises, je souhaiterais peut-être un petit ajout pour évoquer l'engrenage de l'obsolescence et des coûts induits parce que je vois que, au sein de l'éducation nationale, dans les établissements scolaires, certains commencent à « se faire des cheveux blancs » à cause des achats de logiciels, du renouvellement de matériel, etc. Pour cette raison là aussi, nous sommes incités de nous trouver face à des monopoles, pour faire jouer la concurrence et obtenir des prix raisonnables ; sinon cela va nous coûter toujours plus cher.

Par ailleurs, mais c'est peut-être évoqué dans le projet de rapport que je n'ai pu lire intégralement, qu'en est-il de la vulnérabilité physique des centres de stockage de données ?

J'ai conscience que mes commentaires sont parfois un peu aux limites du thème de la sécurité numérique des entreprises.

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