Intervention de Hélène Duchêne

Réunion du 10 septembre 2014 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Hélène Duchêne, directrice des affaires stratégiques, de sécurité et du désarmement, au ministère des Affaires étrangères et du développement international, sur le sommet de l'OTAN :

Ayant participé à quatre sommets de l'OTAN, je puis dire qu'au regard des objectifs que nous nous étions assignés, il s'agit d'un bon sommet, certains s'étant déroulé dans un contexte beaucoup plus difficile et d'autres s'étant révélés beaucoup plus ternes.

Le sommet a largement changé d'orientation avec la crise ukrainienne. À l'origine, il avait été décidé l'an dernier à la demande des États-Unis et les Britanniques avaient souhaité l'accueillir au moment où leur parlement s'était opposé à des frappes sur la Syrie et où ils souhaitaient conforter leur place au sein de l'Alliance. À l'époque, étaient à l'ordre du jour la fin de l'intervention en Afghanistan (la Force internationale d'assistance et de sécurité (FIAS) s'achevant à la fin de 2014 devrait être mise en place une présence de l'OTAN qui ne sera plus combattante, à partir du 1er janvier 2015) et une interrogation sur la vocation de l'Alliance après sa dernière opération, sachant que certains acquis devaient être préservés, notamment le fait que l'opération en Afghanistan avait engagé de nombreux pays – treize au-delà de l'Alliance – et qu'il fallait préserver l'interopérabilité, c'est-à-dire la capacité à travailler ensemble et à intervenir, que ce soit dans le cadre de la défense collective ou d'une intervention extérieure. La question était de savoir comment passer de « deployed NATO » (« l'Alliance déployée ») à « prepared NATO » (« l'OTAN prête »). D'où tout le travail mené sur l'interopérabilité et la formation. L'OTAN est en effet une organisation assez souple que ses opérations façonnent.

Mais tout a changé bien sûr avec le début de la crise ukrainienne, l'annexion de la Crimée par la Russie, la déstabilisation en cours et la militarisation de la crise. L'Alliance a été rappelée à sa vocation historique, c'est-à-dire la défense collective de son territoire, car la crise ukrainienne remettait à plat toute l'architecture de sécurité européenne, les principes d'Helsinki venaient d'être bafoués par l'annexion d'une partie du territoire d'un Etat souverain et certains de nos alliés ayant des populations russophones sur leur sol ou des souvenirs difficiles dans leur relation avec la Russie ressentaient une menace.

S'est également invitée dans la discussion la question de la situation en Irak, qui constitue aussi une menace pour la sécurité de l'Europe et des Alliés. L'accent mis sur le flanc sud a ainsi permis de rééquilibrer les débats au sommet.

Notre priorité était le maintien de l'unité et de la crédibilité de l'Alliance. Nous avions dit au départ que l'OTAN devait contribuer à la solution de la crise ukrainienne et ne pas être une partie du problème. Dès l'origine, en effet, il avait été clairement indiqué qu'il n'y aurait pas de réponse militaire. L'action de l'OTAN devait être fondée sur la défense collective et permettre à l'Alliance de se renforcer face à une menace plus pressante. Ce sujet n'était pas simple car nous n'avions pas tous la même perception de la menace : il aurait même pu diviser l'Alliance, ce qui, avec un conflit militaire à ses portes, l'aurait affaiblie deux fois.

Notre deuxième objectif était de ne pas anéantir les efforts diplomatiques accomplis pour trouver une solution politique à la crise, alors qu'il y avait un risque d'escalade avec la Russie.

Notre souhait consistait également à garder une Alliance flexible, capable de répondre à différentes menaces, sans se limiter à certaines zones et en évitant le repli sur la seule défense collective – certaines menaces n'étant pas directement de la responsabilité de l'OTAN nous intéressent, notamment dans la bande sahélo-sahariene.

Nous voulions donner une impulsion nette au partenariat entre l'Union européenne et l'OTAN, sachant que le Conseil européen de décembre 2013 avait fixé un certain nombre d'objectifs et que le Conseil européen de juin prochain serait de nouveau consacré à la défense européenne.

Nous souhaitions conserver également tous les gains en termes d'interopérabilité, notamment par une initiative permettant aux forces de continuer à travailler et à s'entraîner ensemble.

Nous avons aussi continué à coopérer sur les lacunes capacitaires : l'Alliance a enregistré seize domaines en la matière, dans lesquels les pays cherchent à avancer. C'est important pour nous, et la France est leader d'une initiative dans le domaine du partage du renseignement en opérations (joint ISR).

Nous voulions également poursuivre la réforme de l'OTAN – adaptation des commandements et réforme de la gouvernance – car la structure est souvent un peu lourde.

Un autre sujet s'est imposé : le renforcement du lien transatlantique. Il a d'ailleurs donné lieu à une déclaration. Il était essentiel pour nous que ce lien se conçoive, non seulement comme un engagement politique, mais aussi comme un rééquilibrage des dépenses de défense, y compris entre Européens. À la suite de la crise ukrainienne, tous les Alliés ont dit qu'ils allaient se rapprocher du taux de 2 % du PIB, ce qui est important pour nous comme pour la défense européenne.

Au début du sommet, il y a eu une réunion sur l'Afghanistan avec une commémoration symbolique, les pays de l'Alliance ayant perdu beaucoup de soldats dans ce pays. Tous les textes que l'OTAN souhaitait voir adoptés ne l'ont pas été, notamment s'agissant de la mission qui va succéder à la FIAS, dans la mesure où le président afghan n'a pu venir – le résultat des élections n'étant pas encore proclamé : il ne peut y avoir de signature des accords de stationnement des forces de l'OTAN, et américaines, tant qu'il n'y aura pas de président. Le volet sur l'Afghanistan est donc resté relativement modeste.

Il y a eu ensuite une rencontre entre les chefs d'État et le président Porochenko dans le cadre de la Commission OTAN-Ukraine. Une déclaration rappelant le soutien de l'OTAN à l'Ukraine a été adoptée à cette occasion.

A suivi un dîner des chefs d'État, qui a porté sur les défis de sécurité, concernant principalement l'Ukraine et l'Irak.

Le lendemain, se sont tenues des séances formelles sur l'avenir de l'OTAN et les défis du futur, notamment les questions de sécurité, capacitaires, le lien transatlantique et les ressources consacrées à la défense.

Un communiqué final présente l'opinion de l'Alliance sur la plupart des sujets de sécurité actuels, à savoir la Russie, le Moyen-Orient, le Sahel, et des décisions sur la posture de l'Alliance. Il y a eu une déclaration sur le lien transatlantique, que les Britanniques concevaient comme un document de vision politique, rappelant la solidité du lien entre les deux rives de l'Atlantique. Nous avons tenu à ce qu'elle rappelle aussi l'importance de la défense européenne. Il est d'ailleurs précisé qu'une défense européenne plus forte contribuera à une OTAN plus forte. Il y a aussi des rappels sur les engagements de défense. Il était important de se fixer un objectif de 2 % du PIB et de 20 % des budgets de défense consacrés aux équipements et à la modernisation.Quant à la déclaration sur l'Afghanistan, elle sera le vecteur politique de ce qui se fera après la FIAS.

S'ajoute une déclaration aux forces armées, pour rappeler le soutien des Chefs d'Etat et de Gouvernement aux hommes et aux femmes engagés dans les opérations de l'OTAN. Il s'agissait d'une priorité personnelle de David Cameron, qui souhaitait que cette déclaration soit signée par les chefs d'État.

Le plan d'action sur la réactivité, endossé par le sommet, est encore très largement à l'état de projet. Des mesures de réassurance adoptées face à la crise ukrainienne ont été maintenues, comme la police du ciel dans les pays baltes, qui a été renforcée, ou le survol des Awacs au-dessus de la Roumanie, de la Pologne et de la Bulgarie. La France y a pris toute sa part puisque, dès le début de la crise, elle a envoyé des chasseurs pour surveiller le ciel balte, à partir de la Pologne. Des Awacs français continuent en outre à patrouiller dans le ciel de certains alliés.

Par ailleurs, un certain nombre de mesures ont été annoncées et doivent encore être affinées. Le plan d'action est pour l'instant constitué de têtes de chapitre avec des mandats qui feront l'objet de développements et de négociations dans les semaines qui viennent, ce qui permettra à l'Alliance de préciser sa posture.

Il est important pour nous d'avoir dans ces mandats des mesures permettant de conserver la flexibilité de l'Alliance, d'avoir une posture militaire plus réactive – la situation l'impose – sans figer l'OTAN dans une posture statique. D'où la création de la « force interarmée à haut degré de réactivité », dont le périmètre va être discuté. Il s'agit d'une force plus déployable, plus rapidement mobilisable et plus petite que la force de réaction rapide (NRF) de 25 000 hommes. N'ayant pas les moyens d'entretenir deux forces, le souhait de la France était que cette force constitue une partie de la NRF, ce que nous avons obtenu.

Il était également important pour nous de reconnaître la relation OTAN-Union européenne (UE) et le rôle de la défense européenne. Cela veut dire que les efforts capacitaires faits par les pays dans le cadre de l'OTAN bénéficient aussi à l'UE.

Nous avons en outre obtenu ce que nous voulions sur le partage du fardeau, notamment l'obligation d'avoir d'autres alliés finançant leur défense et la défense collective. De même, avons-nous obtenu, à quelques mois de la conférence d'examen du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), une réaffirmation de l'importance de la dissuasion.

La question de l'adhésion de l'Ukraine à l'OTAN n'a pas été abordée pendant le sommet. Si le premier ministre ukrainien avait formulé une demande en vue d'une éventuelle adhésion la semaine précédente et si les Ukrainiens avaient annoncé la sortie du statut « hors bloc » – prévu par une loi adoptée en 2010 –, ce souhait n'a pas été représenté par eux. De plus, il y a de la part de la France et des Alliés une grande prudence à cet égard, car cette adhésion serait de nature à compliquer la situation.

Au sommet de Bucarest, il a en effet été écrit que l'Ukraine et la Géorgie avaient vocation à rejoindre l'OTAN, mais cela ne veut pas dire que c'est d'actualité. Tout cela a été dit par le Président de la République lors de sa conférence de presse.

Quant à la question de l'Irak, elle a été évoquée en raison de l'actualité, mais aussi parce que l'OTAN s'y est investie pendant des années dans le cadre de la mission NTMI de formation des forces de sécurité irakiennes et qu'il y avait une réflexion sur ce que pouvaient faire l'Alliance et ses États membres dans ce pays. Des réunions se sont tenues en marge sur la construction d'une coalition.

En fait, le rôle de l'Alliance sera très modeste, si tant est que les autorités irakiennes le réclament, et il sera axé plutôt sur la coordination – si nécessaire – de l'aide militaire, le soutien à la réforme de l'outil de défense irakien et, éventuellement, la collecte de renseignement.

Il y a enfin eu une réflexion sur la construction d'une coalition. D'ailleurs, les choses avancent et la France va accueillir lundi une conférence internationale sur la paix et la sécurité en Irak. La situation va en outre devenir plus claire pour l'Irak, qui dispose maintenant d'un gouvernement. Notre position est de soutenir un processus politique inclusif.

Pour conclure, ce sommet était une première étape. Mais beaucoup de mandats ont été donnés, notamment pour préciser le plan d'action sur la réactivité et la posture de l'Alliance. Il s'agit aussi de veiller, dans le développement de la crise ukrainienne – qui est, on peut l'espérer, en voie de règlement puisque nous avons maintenant un cessez-le-feu –, à ce que l'OTAN se place dans une posture correspondant à une nouvelle perception de la menace, sans s'impliquer au-delà de ce qui est nécessaire dans la résolution de la crise.

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