Intervention de Jacques Repussard

Réunion du 27 février 2013 à 17h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Jacques Repussard, directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN :

– Je suis accompagné de Thierry Charles, directeur général adjoint en charge des questions de sûreté nucléaire et d'Audrey Lebeau, en charge des questions parlementaires à la direction de la Stratégie.

Je remercie l'Office pour cette audition. En effet, l'IRSN, qui existe depuis dix ans, a été auditionné à un certain nombre d'occasions ponctuelles par votre Office, mais c'est la première fois qu'il est auditionné à titre institutionnel. Je vous en suis reconnaissant.

Au cours de ses dix années d'existence, l'IRSN, dont l'Office a été l'un des instigateurs, a démontré son bien-fondé. Malgré un schéma complexe – cinq ministères de tutelle et de nombreuses administrations bénéficiaires de notre appui technique – l'IRSN fonctionne de façon satisfaisante. Il permet de mutualiser des travaux demandés par des organismes divers. Le ministère de l'écologie est le principal responsable de la tutelle de l'Institut. Son autorité n'est pas contestée. Le budget de l'IRSN est préservé. Le parlement a substitué à des crédits budgétaires une contribution additionnelle à la taxe sur les installations nucléaires de base, qui est par nature plafonnée et rapporte 48 millions d'euros par an, avec un rendement très élevé, proche de 100 %.

La recherche menée au sein de l'Institut débouche sur des outils d'expertise performants, reconnus dans le monde entier, notamment dans les domaines suivants : l'évaluation des dispositifs de sûreté, la compréhension des accidents graves, l'évaluation du projet de stockage géologique des déchets radioactifs Cigéo (Centre industriel de stockage géologique pour les déchets de haute activité et de moyenne activité à vie longue). Porter un regard indépendant de celui de l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) sur ce sujet est fondamental. C'est le fruit de travaux qui avaient commencé bien avant la création de l'IRSN.

En matière de sûreté nucléaire, nous avons mis au point un système de simulation remarquable. Nous invitons d'ailleurs les membres de l'Office à venir visiter cette installation développée en partenariat avec Areva, avec l'aide d'un spécialiste canadien de la simulation numérique. Nous souhaitons qu'EDF rejoigne prochainement ce projet. C'est un outil extrêmement performant.

Nous avons de nombreux partenaires : universités, écoles doctorales, CEA, CNRS. La recherche n'est pas effectuée en vase clos. L'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (AERES) a donné un satisfecit d'ensemble à nos travaux. Une de nos unités de recherche a obtenu la note A+. L'AERES a reconnu la qualité de la recherche menée par l'IRSN, tout en formulant des suggestions d'améliorations. Ce n'était pas gagné d'avance étant donné les conditions de création de l'IRSN, qui a été séparé du CEA, mais a néanmoins préservé sa dimension d'institut de recherche. L'âge moyen des chercheurs de l'IRSN est inférieur à 40 ans. Ceux-ci publient dans le monde entier. Notre activité d'expertise est couverte par la norme ISO-9000. Nous recevons environ 1.500 saisines par an, dont 600 par l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et un peu moins par l'Autorité de sûreté nucléaire de Défense et le Haut fonctionnaire de défense et de sécurité. L'IRSN sert la sûreté, la radioprotection mais aussi la sécurité nucléaire.

Plus généralement, vis-à-vis de la société, la confiance dans la validité des assertions de l'Institut a beaucoup progressé entre Tchernobyl et Fukushima. On se souvient de la mise en place d'une commission présidée par le professeur Aurengo, à l'époque de la catastrophe de Tchernobyl, pour tirer au clair les controverses entre l'OPRI (Office de protection contre les rayonnements ionisants) et l'IPSN (Institut de protection et de sécurité nucléaire). In fine, ce travail a débouché sur un rapport du Conseil scientifique de l'IRSN validant la reconstruction des retombées environnementales de l'accident nucléaire en France, qui ont été importantes mais n'ont pas eu de conséquences en termes de santé publique, en raison de l'alimentation très diversifiée de nos concitoyens.

Au moment de l'accident de Fukushima, l'IRSN a annoncé à l'avance la date d'arrivée de la contamination, qui était de l'ordre de 1000 fois moins importante que celle de Tchernobyl. Nous avons été un peu contestés par la CRIIRAD (Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité) mais globalement, tant les associations que les médias et l'ensemble des observateurs ont approuvé la démarche de l'IRSN. C'est le signal de la maturité de l'expertise de l'IRSN et de la reconnaissance de ses compétences par la Nation toute entière.

L'objectif en France est celui de « zéro accident » : le tenir représente un fardeau, d'autant qu'il faut aussi être prêt « au cas où ». L'IRSN se concentre sur cette double approche.

L'IRSN est l'opérateur national de la surveillance radiologique. 300.000 personnes travaillent en France dans une ambiance où il peut y avoir des rayonnements ionisants, y compris dans le domaine de la médecine. L'IRSN tient le décompte national des doses de tous ces travailleurs, du personnel des hôpitaux jusqu'à celui d'Air France.

Nous avons défini une charte d'ouverture sur la société. Nous privilégions le dialogue avec les Commissions locales d'information (CLI). Au-delà, nous répondons à toutes les questions qui nous sont posées par tout citoyen ou toute organisation. Notre transparence progresse puisque nous avons un accord avec l'ASN pour publier un plus grand nombre d'avis. C'est un travail important car cela signifie que nous devons rendre nos avis plus accessibles au grand public.

Enfin, l'IRSN est reconnu en Europe et dans le monde. À titre d'exemple, l'autorité de sûreté américaine nous demande régulièrement notre avis sur des projets de réglementation, dans le cadre de commissions publiques. Il est tenu compte de nos avis.

Nous ne sommes pas que l'appui technique d'une autorité pour faire respecter des règlements. Nous sommes là aussi pour faire avancer la sûreté. Tant les accidents de Tchernobyl que de Fukushima se sont produits dans des contextes de recul de la sûreté. Faire avancer la sûreté, ce n'est pas qu'une question de contrôle. C'est aussi une affaire d'économie de la filière nucléaire car les exploitants sont les premiers responsables de la sûreté. Si l'exploitant n'est pas en bonne santé économique, la sûreté peut être mise en cause. Il ne faut pas que la sûreté vienne en compétition avec la situation économique des entreprises. Ce n'est pas le cas aujourd'hui mais c'est à prendre en compte dans le débat sur la transition énergétique. Il faut veiller à ce que les contraintes imposées à l'industrie électrique ne mettent pas en danger la situation économique de la filière nucléaire.

La culture de sûreté est un paramètre essentiel, qui échappe à toute réglementation. Elle signifie reconnaître qu'on ne sait pas tout et qu'il faut donc conserver des marges de sûreté au-delà des risques connus. Cette nuance ne figurera jamais dans aucune loi ni aucun décret. Elle est d'ordre éthique. Nous développons nos travaux en sciences sociales à ce sujet.

La connaissance scientifique des risques est essentielle. Les Japonais n'ont pas tiré les conséquences de risques qu'ils connaissaient pourtant. C'est un déficit de culture de sûreté. En France, la connaissance des séismes continue de progresser. Aujourd'hui, certaines marges se sont révélées moins amples qu'on le pensait sur certains sites. C'est un sujet de débat d'actualité avec EDF.

La sûreté, c'est bien sûr aussi le contrôle. Il faut une autorité forte, des sanctions crédibles et une réglementation adéquate. La France fait figure de modèle de ce point de vue.

Enfin, le dernier paramètre de la sûreté, c'est la vigilance de la société. Un pays qui se désintéresse de son industrie nucléaire prend un risque en matière de sûreté, quelle que soit la compétence de ses exploitants et des autorités. Le Japon nous donne l'exemple d'un système clos, géré par la haute administration et les grands exploitants, sans l'équivalent des CLI, où la Diète ne prêtait aucune attention au sujet de la sûreté nucléaire, jusqu'à l'accident de Fukushima.

À l'IRSN, nous suivons l'ensemble des enjeux de sûreté y compris indirects, d'ordre financier ou dans le domaine des sciences sociales.

Qu'est ce qui a changé depuis 2011 ?

En premier lieu, au travers des évaluations complémentaires de sûreté (ECS), nous avons mis en évidence un certain nombre de vulnérabilités des installations nucléaires françaises, vis-à-vis d'événements naturels hypothétiques mais néanmoins possibles. Certains scénarios conduisent à l'accident. Ils ont une probabilité très faible. L'IRSN a donc proposé de créer un « noyau dur » de sûreté, c'est–à-dire d'ajouter une couche de précautions supplémentaires pour continuer à piloter l'installation nucléaire même en cas d'indisponibilité des outils de refroidissement. Cette notion a été acceptée dans son principe par EDF. Elle est promue également par l'ASN et l'autorité de sûreté nucléaire de défense. Nous en sommes à la phase de conception détaillée avec EDF.

Il faut veiller à la machine humaine qu'est l'IRSN, proche de la saturation, car le travail post-Fukushima est venu s'ajouter à son travail usuel. Il ne faudrait pas, au motif qu'il y a eu l'accident de Fukushima, délaisser notre travail habituel. Par ailleurs, la loi de 2006 entraîne une suractivité documentaire. Elle rapproche le contrôle des installations nucléaires de ce qui existe pour les sites Seveso. Nous avons quelques doutes sur le bien-fondé à long terme de cette inflation réglementaire : la loi a généré mécaniquement une complexification, en sorte que l'on passe plus de temps à gérer des dossiers qu'à gérer des problèmes de sûreté. C'est une évolution qui, personnellement, m'inquiète.

Une deuxième conséquence de l'accident de Fukushima est indirecte : elle concerne la sécurité nucléaire, après les actions menées par Greenpeace. Si des installations peuvent être affectées par un cataclysme naturel, elles pourraient aussi l'être par des actes de malveillance. Greenpeace a prouvé que l'on pouvait entrer dans l'enceinte d'une centrale et a essayé de montrer qu'il existait une vulnérabilité au risque terroriste. De notre point de vue, cette vulnérabilité n'est pas avérée mais le signal politique a été repris et l'administration s'interroge sur la solidité du dispositif réglementaire et humain existant en matière de protection physique des installations. L'IRSN est partie prenante à cette réflexion. Nous avons contribué à l'évolution de la réglementation.

La troisième conséquence de l'accident de Fukushima est relative à notre capacité de gestion des crises. Si une vraie catastrophe se produisait en France ou à proximité, nous serions très vite débordés, non pas tant dans la phase d'urgence que par les conséquences gigantesques d'un accident nucléaire qui toucheraient l'ensemble de la société. Lors de l'accident de Fukushima, nous avons été appelés à l'aide par de très nombreuses entreprises françaises présentes au Japon, y compris pour des problèmes en réalité inexistants. En 2012, nous avons conçu une nouvelle organisation de crise. Nous lançons des exercices internes pour nous y préparer. Nous avons un organigramme de crise qui permettrait de réunir de manière opérationnelle tous les laboratoires, tous les experts compétents pour faire face à des besoins importants et cruciaux pour réduire le coût, a posteriori, de l'accident.

L'IRSN a travaillé sur le coût d'un accident nucléaire. Une bonne part de ce coût est indirecte : il résulte des conséquences psychologiques de l'accident. L'expertise peut contribuer à ce que les comportements demeurent aussi rationnels que possible. Nous travaillons au Japon pour comprendre comment la population d'un pays, avancé sur le chemin de la société de la connaissance, gère cette question.

Je conclurai en ajoutant que l'attente vis-à-vis de l'IRSN semble toujours plus forte, tandis qu'on nous demande des économies sur nos moyens. Nous ne contestons pas le bien-fondé de ces économies, mais il faudrait les faire sur les démarches administratives plutôt que sur l'expertise. Il ne faudrait pas que notre expertise soit sous-utilisée en mode administratif.

Les débats publics sur Cigéo et sur la transition énergétique sont essentiels. Ils auront des conséquences sur la gestion de la sûreté. L'IRSN s'y intéresse. Nous suivons le débat sur la transition énergétique à la demande de Mme Delphine Batho, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie. Nous allons produire un cahier d'acteur dans le débat sur Cigéo.

Enfin, nous participons aux débats qui se déroulent dans le cadre de l'Union européenne. Nous essayons de bâtir avec la Commission européenne et nos homologues en Europe une plateforme ouverte sur la société, susceptible de rassembler les principaux acteurs de la recherche, en harmonie avec les parties prenantes.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion