Intervention de Audrey Linkenheld

Réunion du 10 juin 2014 à 18h00
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAudrey Linkenheld, rapporteure :

Une marque est un signe utilisé dans les échanges commerciaux pour identifier un produit ou un service et ainsi faciliter sa reconnaissance par la clientèle en le distinguant de la concurrence. Une entreprise peut protéger sa propriété intellectuelle sur une marque ainsi que l'exploitation commerciale de cette dernière en la faisant enregistrer par l'un des organismes spécialisés existants, en fonction du périmètre géographique sur lequel elle souhaite assurer cette protection. Si elle ne le fait pas, elle s'expose à voir la concurrence utiliser sa marque voire acquérir les droits y afférents.

Deux systèmes alternatifs et complémentaires coexistent en Europe : l'enregistrement national et l'enregistrement communautaire, qui obéissent à des règles grandement concordantes. À l'heure de l'économie mondialisée, l'enjeu est particulièrement important pour l'Union européenne, dont les produits vendus sous des marques renommées voire prestigieuses représentent 34 % de la production de richesse et même 48 % des exportations.

Les législations des États membres sur les marques ont été partiellement harmonisées par une directive de 1988, codifiée en 2008.

Sont depuis lors refusés à l'enregistrement ou susceptibles d'être déclarés nuls s'ils sont enregistrés, dans tous les États membres : les signes qui ne peuvent constituer une marque ; les marques dépourvues de caractères distinctifs ; les marques risquant de prêter à confusion ; les marques contraires à l'ordre public ou aux bonnes moeurs ; les marques de nature à tromper le public ; les marques identiques ou similaires à une marque enregistrée antérieurement pour des produits ou des services identiques ou similaires.

La marque enregistrée confère à son titulaire un droit exclusif : il est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, d'en faire usage dans la vie des affaires.

Si le titulaire d'une marque a toléré, pendant cinq années consécutives, l'usage d'une marque postérieure enregistrée, il ne pourra plus demander sa nullité ni s'opposer à son usage. De même, le titulaire d'une marque peut être déchu de ses droits si sa marque ne fait pas l'objet d'un usage sérieux pendant une période ininterrompue de cinq ans.

En France, l'organisme chargé de cette mission est l'Institut national de la propriété industrielle, ou INPI, établissement public entièrement autofinancé, placé sous la tutelle du ministère de l'économie, du redressement productif et du numérique.

Parallèlement aux systèmes de marques nationaux et en liaison avec eux, un règlement de 1993, codifié en 2009, a créé un système autonome d'enregistrement de droits unitaires qui produit les mêmes effets dans toute l'Union européenne. L'Office de l'harmonisation dans le marché intérieur, ou OHMI, a été fondé dans ce contexte, afin d'assurer l'enregistrement et la gestion des marques communautaires.

Pour protéger une marque sur l'intégralité du marché intérieur, deux procédures distinctes peuvent être suivies : par demande déposée directement auprès l'OHMI ; par l'intermédiaire de l'Institut national de la propriété intellectuelle, qui la transfère à l'OHMI.

Titre unitaire, la marque communautaire s'obtient par une procédure de dépôt et d'examen unique et s'applique automatiquement aux vingt-huit États membres de l'Union européenne. Elle est renouvelable tous les dix ans.

Le record du nombre de demandes de marques communautaires déposées est battu chaque année et l'OHMI a reçu, en 2011, sa millionième demande depuis le début de ses activités, en 1996.

La coexistence entre ces deux régimes est fondamentale pour assurer une gestion efficiente des marques, en fonction des besoins des entreprises, de leur taille, des spécificités des marchés sur lesquels elles opèrent et de leur déploiement géographique. Cette dualité du système – à l'instar de celui des dépôts de brevets – offre aux utilisateurs un choix utile pour optimiser leur stratégie.

La demande de protection de la marque est forte, comme en témoignent les statistiques de dépôt auprès des offices nationaux et de l'OHMI, ainsi que le nombre de marques consignées dans leurs registres.

S'agissant des demandes de marques, 540 000 dossiers ont été déposés en 2011, dont : 105 000 auprès de l'OHMI ; 435 000 auprès des offices des États membres, dont 85 000 auprès de l'INPI.

S'agissant du stock de marques consignées, 9,8 millions figuraient dans les registres européens en mars 2013, dont : 10 % de marques communautaires ; 90 % de marques nationales.

L'enregistrement national des marques par les États membres de l'Union européenne a donc été harmonisé il y a vingt-cinq ans et la marque communautaire unitaire a été créée il y a vingt ans. Le système européen des marques repose donc sur des bases solides. Pourtant, l'environnement des entreprises a connu des modifications substantielles qui justifient un effort supplémentaire de convergences entre les législations et les pratiques en matière de marques.

C'est pourquoi la Commission européenne a présenté, le 27 mars 2013, un paquet de deux textes tendant à réviser la réglementation en la matière. Ceux-ci se caractérisent par de nombreuses mesures concordantes, afin que l'enregistrement, qu'il soit effectué au niveau national ou communautaire, obéisse à des règles plus harmonisées encore qu'elles ne le sont aujourd'hui.

Premièrement, une proposition de directive tend à refondre la directive de 2008 en répondant à trois objectifs : modernisation des dispositions du texte en vigueur ; rapprochement des législations et des procédures nationales, en vue de les aligner davantage sur le système de la marque communautaire ; facilitation de la coopération entre les offices nationaux des États membres et l'OHMI.

Deuxièmement, une proposition de règlement vise à modifier le règlement de 2009 en impulsant une modernisation très ciblée des dispositions existantes, essentiellement dans les directions suivantes : adaptation de la terminologie du règlement au traité de Lisbonne et de ses dispositions à l'approche commune sur les agences décentralisées ; rationalisation des procédures de demande et d'enregistrement des marques européennes ; renforcement de la sécurité juridique ; institution d'un cadre de coopération approprié entre l'OHMI et les offices nationaux.

Le 25 février 2014, le Parlement européen a adopté à une large majorité deux résolutions législatives sur ces deux propositions de textes.

L'économie générale du paquet est donc maintenant fixée. S'il ne constitue pas une révolution dans le paysage de la propriété intellectuelle en Europe, il est porteur d'améliorations attendues par les pouvoirs publics et les acteurs économiques français.

Mais il reste à trouver une majorité au Conseil et un consensus interinstitutionnel sur plusieurs points techniques sensibles. Lors de la réunion du dernier conseil Compétitivité, le 26 mai 2014, la présidence grecque, constatant qu'aucune des trois propositions de compromis soumises au cours des mois précédents n'avait reçu l'aval de l'ensemble des parties, a dû se contenter d'un nouveau rapport d'étape.

Dans ce contexte, je vous propose que nous appelions les négociateurs français à défendre vigoureusement plusieurs positions importantes pour la protection des intérêts des titulaires de droits sur des marques.

Il convient tout d'abord de se féliciter des avancées, désormais acquises, en matière de reconnaissance des marques de renommée et des indications géographiques, ainsi que de l'obligation faire à chaque État membre de mettre en place des procédures de règlement administratif des contentieux en déchéance ou en nullité, parallèlement à la voie du traitement judiciaire, qui restera ouverte en cas de besoin.

La Commission européenne avait imaginé de créer un échelon administratif, au sein de l'Agence européenne, entre le conseil d'administration et le président. Le Conseil a évacué cette idée d'échelon, qui me semblait en effet superflue.

J'en viens aux quelques points délicats restant en débat et appelant la plus grande vigilance de la part des autorités françaises.

Un arrêt de la Cour de justice de 2011 interdit aux douanes nationales d'intercepter les marchandises présentées comme étant en transit ou en transbordement sur leur territoire de compétence pour vérifier auprès des titulaires de droits s'il s'agit ou non de contrefaçons. Cette rupture jurisprudentielle, censée cibler des produits qui ne sont pas destinés à un achat dans le marché intérieur, a entraîné une chute de 65 % des retenues douanières dans l'Union européenne : les agents des douanes doivent dorénavant laisser passer des marchandises qu'ils identifient pourtant comme contrefaites. La Commission européenne, dans son texte initial, rétablissait le contrôle douanier sur les marchandises en transit ou en transbordement. Alors que la rapporteure du Parlement européen, une libérale suédoise, préconisait l'abandon de cette mesure, celle-ci a heureusement été réintroduite, grâce à un amendement soutenu par les groupes PPE et S&D. L'enjeu primordial est en effet celui de la lutte contre le pillage de la propriété intellectuelle, qui constitue un motif d'exception à la libre circulation des marchandises.

Par ailleurs, la Commission européenne a proposé une nouvelle structure tarifaire pour l'Agence européenne : le montant de la redevance de base ne couvrirait plus qu'une classe de produits et services, au lieu de trois actuellement ; une redevance par classe additionnelle, facultative, pourrait être réglée en fonction des besoins de protection de l'entreprise. Ce nouveau système sur-mesure bénéficiera clairement aux petites et moyennes entreprises, qui ne seront plus contraintes de payer pour des classes de biens et de services sur lesquelles elles n'ont pas besoin de protection.

Il reste aux États membres à se mettre d'accord sur les montants des taxes exigibles. La proposition française me paraît équilibrée : pour les trois premières classes, la hausse de la taxe de dépôt serait limitée et, pour une quatrième classe, le niveau de prélèvement actuel serait maintenu ; quant à la taxe de renouvellement, elle serait significativement abaissée.

Non seulement l'OHMI s'autofinance complètement mais il a même cumulé des volumes considérables d'excédents budgétaires depuis sa création : 450 millions d'euros au 31 décembre 2012. La Commission européenne a donc proposé de faire basculer automatiquement ses surplus vers le budget général de l'Union européenne. Puisque cet argent provient de la rémunération de services rendus au titre de l'Union européenne, je pense qu'il convient de le rétrocéder au budget communautaire mais de mettre en place un système de subvention aux États membres menant des actions efficaces de lutte contre la contrefaçon, sous la forme d'une réduction de leurs contributions nationales.

Une fois la proposition de règlement adoptée, il conviendrait que l'Agence européenne soit associée à l'écriture des actes délégués qui en découleront.

Il serait judicieux que les États membres s'accordent rapidement sur la rédaction des deux actes législatifs en discussion afin de ne pas reporter leur adoption au-delà de la présidence du second semestre 2014, en dépit du contexte de renouvellement de la composition du Parlement européen et de la Commission européenne.

Enfin, l'examen de ce paquet législatif européen pourrait être l'occasion d'appeler l'attention des autorités françaises sur l'interprétation qui risquerait d'être donnée à la suppression de la troisième chambre du tribunal de grande instance de Paris quant à l'intérêt porté par la France à la défense de la propriété intellectuelle.

La proposition de conclusions que je vous suggère d'adopter reprend l'ensemble de ces points.

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