Monsieur le président, je ne saurais exposer correctement les faits du mois de janvier sans me référer à la préparation que le RAID a élaborée pour des faits de même nature depuis l'affaire Merah. Celle-ci est considérée par le RAID comme l'an zéro d'un type de terrorisme nouveau que l'on a retrouvé au cours de l'année 2015.
Il s'agit d'abord d'un terrorisme low cost, qui ne demande pas beaucoup d'organisation et utilise des armes automatiques et des gilets explosifs. Ensuite, il se caractérise par une nouvelle manière d'agir. Dans un premier temps, Mohamed Merah s'en est pris à des cibles à haute visibilité et à haut potentiel émotionnel : les militaires qu'il a tués, l'école juive et les petits enfants juifs qu'il a tués et achevés sur le trottoir. Dans un deuxième temps, une fois qu'il été retrouvé par les services d'enquête, il n'a pas essayé de fuir, il s'est retranché. Troisième temps, le terroriste radicalisé, qui veut mourir en combattant, en moudjahid, attend l'arrivée des forces d'intervention puis les charge pour essayer de faire le plus de dégâts possible, à la fois dans leurs rangs et sur les entourages.
Nous avons travaillé en partant de ce que nous avions constaté dans l'affaire Merah, mais aussi des événements intervenus dans le monde entier. Nous avons été particulièrement marqués par l'affaire du centre commercial du Westgate au Kenya, qui s'est déroulée de manière assez semblable, mais d'autres se sont également produites dans d'autres pays.
Fort de ces constatations, le RAID s'est préparé ; à raison, puisque les frères Kouachi, d'un côté, et Amedy Coulibaly, de l'autre, ont agi exactement ainsi. Nous nous y attendions tant que, le 13 juillet 2014, lors de la visite au RAID du tout nouveau ministre de l'intérieur Bernard Cazeneuve, je lui ai fait ce même exposé. Nous lui avons fait la démonstration des nouvelles techniques d'intervention que nous utiliserions si ou plutôt quand ce type d'événement se reproduirait.
Il est ressorti de nos analyses, que lorsque ce type d'individu prenait des otages ou se retranchait, jamais il ne se rendait. Il n'y a pas eu un seul exemple, ni en France ni dans le monde, où cela a été le cas. Cela signifie que la négociation que nous engageons toujours avec les forcenés familiaux ou les preneurs d'otages mentalement dérangés, et qui aboutit favorablement dans 80 % des cas, n'a pas d'autre utilité pour les terroristes radicalisés que de préparer leurs engins explosifs, utiliser les réseaux sociaux, notamment pour y mettre les films montrant le massacre de leurs victimes, et se reposer. C'est ce qu'avait fait Mohamed Merah.
La nouvelle technique d'intervention du RAID, que le GIGN utilise aussi, consiste à faire en sorte que la négociation ne puisse pas servir aux radicalisés. Elle est transformée en contact : en même temps qu'elle servira aux forces de l'ordre pour préparer éventuellement l'assaut final, elle laisse une chance de dialogue à l'individu qui, au dernier moment, voudrait se rendre.
Cette préparation, nous l'avons donc présentée au ministre le 13 juillet 2014, mais je l'avais exposée dans une note confidentielle dès le mois de février de la même année – cela figure dans le dossier que nous vous avons envoyé. L'important, à l'époque, c'était l'abandon de la négociation, qui était une tradition pour nous, mais aussi pour l'opinion publique et peut-être aussi les responsables politiques. Or on savait dorénavant que la négociation jouait en défaveur à la fois des otages et du dénouement de l'affaire.
L'affaire de la porte de Vincennes a été retracée sur un chronogramme que nous vous avons transmis. Le matin, j'étais avec mes effectifs sur Dammartin-en-Goële, qui n'est pas dans mon secteur de compétence mais dans celui de la gendarmerie. Nous y étions pour prêter main forte au GIGN, s'il le désirait, au titre de la théorie du « menant-concourant », élaborée par les chefs du RAID et du GIGN. Celle-ci a donné lieu à la signature d'un texte par le directeur général de la gendarmerie nationale, le directeur général de la police nationale et le préfet de police. Le principe est que, en cas de crise grave ou multiple, une unité peut prêter main forte à l'autre, même si elle n'est pas dans son secteur de compétence. L'unité qui est dans son secteur de compétence est dite « menante » ; elle donne les missions à l'autre, qui est « concourante ». En l'occurrence, j'étais concourant sur Dammartin.
Quand a éclaté l'affaire de l'Hypercacher, j'étais pré-positionné sur Dammartin avec deux colonnes d'assaut, plus une colonne de la BRI, donc beaucoup d'effectifs. Visiblement, sur cette crise-là, le GIGN n'avait pas besoin de nous. Il était en effectifs suffisants, il gérait l'affaire sans aucun problème. Lorsqu'à 13 heures 20, j'ai eu connaissance de la fusillade de l'Hypercacher, j'ai ordonné à mon premier adjoint ici présent, le commissaire divisionnaire Éric Heip – pour plus de commodité, je le désignerai sous son indicatif radio, Laser 2, étant entendu que je suis Laser 1 et que Laser 3 est mon deuxième adjoint –, de partir immédiatement avec une colonne d'assaut sur Vincennes. Je suis resté sur Dammartin pendant quelque temps. Quand on a eu confirmation qu'il s'agissait d'une prise d'otages, je me suis rendu moi-même à Vincennes, en faisant partir un peu avant moi une deuxième colonne d'assaut.
En cours de route, la Force d'intervention de la police nationale (FIPN) a été déclenchée, à la demande du directeur général de la police nationale, par le ministre de l'intérieur. La FIPN est une bannière sous laquelle se regroupent, en cas de crise majeure et grave, tous les effectifs du RAID – à l'époque, sept groupes d'intervention de la police nationale, devenus des antennes du RAID depuis avril 2015 – et la BRI-PP. Pour être plus précis, la BRI est en fait la BAC, non pas au sens de la brigade anti-criminalité, mais de la brigade anti-commando. La BAC-PP, donc, est composée de la BRI et d'une autre structure qui est la brigade d'intervention de Paris. Le tout est placé sous le commandement du chef du RAID, donc de moi-même. Ce dispositif a été déclenché à la porte de Vincennes. Il l'avait également été une journée auparavant, quand nous avions fait le ratissage du secteur de Villers-Cotterêts, en zone de gendarmerie, pour prêter main-forte au GIGN.
À l'Hypercacher, les choses se mettent en ordre. Je reprends rapidement le chronogramme : 13 heures 20, je prends connaissance de la fusillade de l'Hypercacher; 13 heures 21, j'envoie la colonne numéro 1 du RAID avec Laser 2 en direction de la porte de Vincennes ; 13 heures 25, je demande la constitution d'une troisième colonne du RAID.