Depuis plusieurs années, nous travaillons en profondeur sur l'évolution des modes opératoires de l'adversaire. Au sein du GIGN, nous avons un bureau Suivi Anticipation, où des officiers, anciens opérationnels, consacrent leur temps à observer ce qui se passe dans le monde entier. Par ailleurs, nous sommes engagés dans des pays en crise – nous sommes présents à Bagdad depuis douze ans –, et nous comprenons comment l'adversaire évolue. Les capacités déployées au mois de janvier n'ont pas constitué, pour nous, une surprise. Nous savons que nous avons en face de nous des gens qui agissent sans préavis, qui tuent et avec qui il n'y a pas de négociation possible. La tuerie s'arrête lorsqu'elle rencontre l'opposition des forces de l'ordre. S'ensuit alors une phase de retranchement qui doit durer le plus longtemps possible pour avoir une bonne couverture médiatique. Pour Merah, il s'agissait de montrer l'échec de l'État face à une personne seule qui reste enfermée pendant trente-six heures. Mais l'issue est toujours la même : c'est la mort, non pas en chahîd, mais en inghimasi, soldat suprême, dont le but, tant chez Daech que chez al-Qaïda, est de sacrifier sa vie en emportant avec soi le plus grand nombre possible de soldats du tâghût, c'est-à-dire des catégories suprêmes que sont le RAID ou le GIGN. Ces modes opératoires nous les avons étudiés, et nous les connaissons parfaitement au mois de janvier. Et que ce soit Merah, les frères Kouachi, Coulibaly, les terroristes du Bataclan, du Mali ou du Burkina Faso, ce sont eux qui décident du moment de leur mort et qui se jettent sur les forces de l'ordre. Ces modes opératoires, que nous avons vu apparaître à l'étranger, sont le fait d'individus totalement déterminés, potentiellement porteurs de ceintures d'explosifs.
C'est ce que nous avons face à nous lorsque les frères Kouachi sortent à Dammartin. Les ordres donnés ne sont pas de les tuer, mais d'essayer de les prendre vivants en les neutralisant. Les tirs sont effectués à environ cent mètres par des tireurs d'élites et des hommes en poste de part et d'autre de l'imprimerie. Ils visent les épaules, les mains et les cuisses. Mais nous avons affaire à des combattants qui veulent aller jusqu'au bout. Je vois Saïd Kouachi tomber une première fois : touché au bras, il perd son arme, mais la récupère de l'autre main et continue de tirer. Alors que notre but était de maintenir les frères Kouachi sur le parking afin d'éviter qu'ils ne parviennent sur la route au contact des groupes du GIGN, nous n'avons pas pu faire autrement que de les neutraliser complètement.
Face à des gens aussi déterminés, il est illusoire de vouloir utiliser des armements comme le taser ou des armes non létales. Nous avons aussi l'obligation de protéger nos propres hommes.