Intervention de Général d'armée Denis Favier

Réunion du 9 mars 2016 à 16h15
Commission d'enquête relative aux moyens mis en œuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier

Général d'armée Denis Favier, directeur général de la gendarmerie nationale :

Le problème avec l'application Coyote, c'est que les automobilistes pensent avertir d'un banal contrôle de vitesse alors qu'ils signalent la présence de gendarmes opérant dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. C'est, en effet, pénalisant. Je ne saurais en estimer la fréquence, mais le phénomène n'est pas factuel, il mérite d'être analysé et pris en compte.

Pour ce qui est de la presse, il me semble nécessaire de conduire une réflexion conjointe avec les forces de sécurité. Alors que je suis en mouvement entre Paris et Dammartin-en-Goële, un journaliste spécialiste des questions de sécurité intérieure m'appelle pour m'annoncer qu'il vient d'avoir Kouachi au téléphone et qu'il va le passer à l'antenne. Je lui demande de ne pas le faire, en raison de la présence d'un otage. Dans la forêt de Retz, la BRI ou le RAID effectuent leurs recherches sous l'oeil des caméras. Ce constat n'est pas satisfaisant.

J'appelle de mes voeux la conduite d'une réflexion, une sorte de forum qui réunirait les acteurs de la presse et ceux de la sécurité afin de rappeler les règles et les limites de l'engagement de chacun. Cette démarche doit être initiée rapidement.

À Dammartin-en-Goële, nous sommes parvenus à mettre en place un périmètre large autour de la zone opérationnelle. Très peu d'images sont sorties, et celles qui existent sont lointaines et floues. En plein Paris, en revanche, il semble totalement impossible d'isoler un périmètre quand les journalistes peuvent accéder aux appartements des immeubles voisins.

Il y a également un problème avec les réseaux sociaux. Les tweets sur les évolutions en situation opérationnelle nous mettent franchement en difficulté. C'est là un sujet majeur qu'il faut traiter.

La coordination constitue bien un enjeu clé mais, en la matière, j'ai une appréciation positive des événements du mois de janvier. S'agissant d'une crise de sécurité intérieure de cette nature, une implication politique majeure est nécessaire, et il n'y a que le ministre de l'intérieur qui puisse rassembler dans une même salle tous les directeurs généraux pour leur dire qu'il veut tout savoir et que toutes les informations doivent être échangées. À partir de ce moment, on comprend bien qu'il faut fédérer les énergies, se rassembler et mettre tout à plat. La structure existe : une salle interministérielle permet les échanges. Mais, de mon point de vue, c'est un engagement ministériel extrêmement fort qui fait basculer les choses.

Dans la préparation des opérations, l'implication du politique est essentielle. Il doit être présent pour prendre des décisions, et à nos côtés parce que les ordres se donnent à partir de cartes et de données très précises techniques et tactiques. À nous, ensuite, de traduire en actions l'intention claire du politique.

En plus de la présence de ce dernier, une unité de lieu est nécessaire, où doivent se rassembler tous les patrons impliqués : renseignement, police judiciaire, gendarmerie, police, services de santé. Il faut que les « sachants » échangent, et ils doivent parler au nom de leur autorité ministérielle respective. Nous en avons ressenti encore davantage la nécessité en novembre.

Monsieur Lellouche, l'activation du salon « Fumoir » a démontré toute son utilité au moment du braquage de la station-service Avia : elle permet en effet de ne pas rester cantonné dans un traitement judiciaire et de partir immédiatement sur une phase coordonnée de recherches opérationnelles de grande ampleur. Ainsi, nous reprenons l'initiative et l'ascendant sur les terroristes.

Ce qui distingue les unités spéciales les unes des autres, ce sont les capacités. Le contre-terrorisme, c'est l'action une fois que le fait terroriste s'est produit. Il nécessite des capacités rares détenues par peu d'unités. Aujourd'hui, plus personne ne passe par les portes dans ces groupes ; il faut être capable de passer par les murs, de franchir une dalle par le sol ou le plafond sans provoquer de dommages collatéraux. Dans un mouvement offensif extrêmement rapide, il faut pouvoir « dépiéger », c'est-à-dire détecter les pièges installés par les terroristes et les neutraliser, travailler en milieu vicié avec des appareils respiratoires individuels ou des scaphandres, travailler également en milieu non éclairé avec des appareils de visée nocturne.

Dans le cadre du schéma national d'intervention qui se met sur pied, je propose que ces capacités rares que nous détenons soient mises au service de l'ensemble des forces de sécurité quelle que soit la zone de compétence. C'est dans cet esprit que nous avons apporté notre concours aux forces spéciales belges en janvier 2015 pour neutraliser un redoutable groupe de salafistes. Ils se sont tournés vers nous, car le GIGN est sans doute le seul en Europe à détenir la capacité d'ouvrir une brèche dans des endroits particuliers.

L'idée qui se dessine dans le schéma national d'intervention, c'est de partager les capacités rares afin qu'elles soient mises à disposition de la force qui ne les maîtriserait pas. Ces capacités ne se réduisent pas à un moyen technique, c'est un concept d'emploi porté par des hommes, dont le fonctionnement repose sur le principe de modularité – par exemple, un module de spécialistes des explosifs qui travaille au profit d'une autre force. Je pense que le schéma national d'intervention débouchera rapidement sur ce point. Un échange de capacités sera possible au niveau central ; en province, les échanges se feront entre les groupes spécialisés de gendarmerie et de police, antennes du RAID et du GIGN.

L'inventaire des capacités des uns et des autres doit être dressé mais pas seulement sur un mode déclaratif ; chaque capacité doit être testée. En matière de contre-terrorisme, sur le haut du spectre, la maîtrise des capacités doit être évaluée de manière objective.

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