Intervention de Philippe Chadrys

Réunion du 9 mars 2016 à 16h15
Commission d'enquête relative aux moyens mis en œuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier

Philippe Chadrys, sous-directeur, sous-direction antiterroriste, SDAT :

La sous-direction antiterroriste, que je dirige, est un service à compétence nationale et constitue l'une des cinq sous-directions de la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ), chargée d'enquêter sur les affaires de terrorisme. Compte tenu de l'affaiblissement des organisations de terroristes séparatistes basques et corses, il va de soi que, depuis quelques années, notamment depuis l'affaire Merah en 2012, nous nous sommes réorganisés de manière à adopter une configuration nous permettant de lutter contre le terrorisme d'inspiration djihadiste. Au 1er janvier 2015, l'effectif de la SDAT comptait 121 personnes, dont 97 agents actifs ; deux plans de renfort porteront son effectif théorique à plus de 220 agents d'ici la fin de l'année civile, et à 240 en 2017. Autrement dit, nos moyens, renforcés dès 2015, ont connu une nette montée en puissance.

En dehors des enquêtes qu'elle diligente seule ou en co-saisine avec d'autres services comme la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et la section antiterroriste (SAT) de la préfecture de police de Paris, la SDAT s'appuie également sur le maillage territorial de la DCPJ via les directions régionales de la police judiciaire (DRPJ) et les services régionaux de police judiciaire (SRPJ), de sorte qu'elle bénéficie de relais sur tout le territoire national pour traiter les affaires dont elle est saisie, qu'il s'agisse d'affaires qu'elle traite sous l'égide de magistrats antiterroristes ou d'affaires dites périphériques – qui ne sont pas forcément de nature terroriste, mais qui nous donnent en amont un aperçu de ce qui est fait sur l'ensemble du territoire avant une éventuelle saisine de la section antiterroriste du parquet de Paris. Au quotidien comme en cas de crise, nous nous appuyons également sur les autres sous-directions de la police judiciaire : la sous-direction de la police technique et scientifique, bien entendu, mais aussi la sous-direction de la lutte contre la criminalité organisée et la délinquance financière – en particulier l'Office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF) pour tout ce qui concerne le financement du terrorisme et l'OCLCO et les BRI nationales – ainsi que sur la sous-direction de la lutte contre la cybercriminalité, nouvellement créée.

La SDAT est saisie d'un certain nombre d'affaires de terrorisme d'inspiration djihadiste de plus en plus importantes. Outre les enquêtes qu'elle diligente au quotidien, elle est impliquée en cas d'attentat majeur, 2015 ayant hélas été une année noire pour nous puisque nous avons dû traverser deux crises importantes, en janvier et en novembre.

Surtout, la SDAT est chargée de déployer le dispositif « Attentat » à l'échelle nationale. Créé en 2005 après les attentats de Londres et Madrid, ce dispositif est destiné à faire face à un événement majeur ou à des attentats commis sur plusieurs sites, comme ce fut le cas en janvier puis en novembre. Il a évolué depuis sa création et a été peaufiné chaque année, au fil d'exercices réguliers. Il a été déployé pour la première fois en conditions réelles lors des attentats de janvier 2015. Il permet de coordonner et de piloter l'ensemble des forces de la DCPJ qui sont impliquées lors d'un attentat majeur. Il se décline à plusieurs niveaux : au niveau central, un poste de commandement (PC) national de crise est mis en place dans les locaux de la SDAT et comprend plusieurs pôles visant à restructurer les effectifs pour faire face à la crise. Le pôle « Enquêtes » se charge de toutes les investigations relatives à l'attentat commis. Le pôle « Renseignement » est chargé de recueillir l'intégralité des renseignements qui parviennent aux services de police. Enfin, un pôle « Relations internationales » est créé car, comme l'ont montré les attentats de novembre, cette dimension prend une importance croissante.

Ce PC de crise national se décline dans chaque service territorial de la police judiciaire, puisque les sous-directions de la DCPJ ainsi que ses directions interrégionales et régionales se dotent de PC similaires comprenant les mêmes pôles – hormis le pôle « Relations internationales », qui relève du seul échelon central.

Enfin, des PC sont créés sur les scènes de crime pour gérer les constatations, les témoignages et les enquêtes de voisinage.

Le dispositif « Attentat » s'appuie principalement sur deux outils dédiés : une ligne verte, tout d'abord, permet de recueillir les innombrables appels parvenant aux centres de crise. Entre janvier et novembre, un numéro court – le 197 – a été adopté et diffusé par voie de presse ; il a permis de recevoir de nombreux appels. D'autre part, lorsque le dispositif « Attentat » est activé, nous armons une salle de crise dans les locaux de la sous-direction de lutte contre la criminalité organisée et la délinquance financière, à Nanterre, ainsi qu'une salle de crise à la préfecture de police de Paris en cas d'attentat commis à Paris, comme ce fut le cas en janvier et en novembre. Des opérateurs sont chargés vingt-quatre heures sur vingt-quatre de réceptionner les appels, qui sont basculés vers le PC de crise de la SDAT afin d'être traité par un outil appelé AMCA, c'est-à-dire « application main courante attentat », qui permet de traiter l'information et de la ventiler dans l'ensemble des services de police judiciaire saisis. Ainsi, lorsque des informations nécessitent des investigations en tous points du territoire, des agents de la SDAT sont spécialement chargés de les analyser, puis remplissent une fiche et la transmettent au service concerné pour qu'elle soit traitée. C'est un mécanisme important, car le volume d'appels est considérable. Pour information, entre le 7 et le 16 janvier 2015, la ligne verte a reçu 5 911 appels, qui ont donné lieu à la création de 1 600 fiches – et à autant de vérifications. Les attentats du 13 novembre 2015, quant à eux, ont suscité 17 497 appels et 8 000 fiches ont été constituées, les services centraux et territoriaux devant conduire les vérifications correspondantes.

Les investigations commencent dès l'activation du dispositif « Attentat ». Lors des attentats de janvier 2015, trois services ont été saisis : la sous-direction antiterroriste de la DCPJ, la préfecture de police de Paris et la DGSI. La direction de l'enquête a été confiée à la préfecture de police par le procureur de Paris. Précisons qu'en cas d'attentat majeur la saisine de la DCPJ est demandée – et naturellement obtenue – afin que l'ensemble de ses services territoriaux, qu'ils se trouvent à Lille, Bordeaux ou Marseille, puissent agir dans ce cadre. En janvier, les trois services saisis se sont donc répartis les investigations à diligenter : la préfecture de police de Paris a effectué les constatations sur la scène de crime dans les locaux de Charlie Hebdo, ainsi que tous les actes découlant de la commission d'un attentat – exploitation des vidéos et recueil de témoignages. La SDAT a été plus spécialement chargée des investigations relatives aux frères Kouachi, dont la fuite a très vite débordé les limites de la région parisienne. Il a fallu agir dans les départements de l'Oise et de l'Aisne, la SDAT s'appuyant pour ce faire sur les services régionaux, en particulier la direction interrégionale de police judiciaire (DIPJ) de Lille. Lorsque les frères Kouachi ont été identifiés, l'enquête sur leurs proches a été répartie entre la préfecture de police et la DCPJ, laquelle a conduit les investigations et perquisitions à Reims et à Charleville-Mézières : très vite, huit interpellations ont eu lieu, et autant de perquisitions. Les constatations effectuées à la station-service de Villers-Cotterêts, qui avait été attaquée par les frères Kouachi, ont été traitées de la même manière, ainsi que celles qui ont été faites dans l'Oise, à l'endroit où ils ont abandonné leur véhicule et en ont braqué un autre avant de se réfugier dans l'imprimerie de Dammartin-en-Goële. Lorsque les frères Kouachi ont été neutralisés, les constatations ont été faites par la police judiciaire de Versailles avec l'appui de la sous-direction de la police technique et scientifique. En revanche, c'est la préfecture de police de Paris qui s'est chargée des constatations faisant suite à l'assaut donné au magasin Hypercacher. La DGSI, enfin, a été chargée du volet concernant les relations internationales et du récolement des informations, et a également traité le départ d'Hayat Boumeddiene via l'Espagne.

Les frères Kouachi et Amedy Coulibaly étaient connus des services antiterroristes, notamment de la SDAT, puisque Chérif Kouachi et Coulibaly avaient été interpellés en 2010 dans le cadre d'un projet d'évasion de Smaïn Aït Ali Belkacem. Nous avons également été chargés de dresser les procès-verbaux d'environnement de chacun de ces individus. Au cours de la période de flagrance, quatre cents témoins ont été entendus par les différents services intervenants, 81 écoutes téléphoniques ont été mises en place et 31 personnes placées en garde à vue.

En clair, nous avons traité une énorme quantité d'appels et de renseignements, la ligne verte nous ayant permis – comme lors des attentats du 13 novembre – de localiser l'appartement conspiratif, en l'occurrence celui d'Amedy Coulibaly à Gentilly. Au terme de la période de flagrant délit, 3 500 procès-verbaux ont été rédigés – soit un volume considérable – et plus de 2 000 scellés ont été constitués ; cela représente une masse de travail phénoménale. Cette période de flagrance s'est achevée par le démantèlement de la cellule de soutien logistique à Coulibaly et des arrestations dans l'Essonne, avec l'appui du RAID ainsi que de la BRI nationale et des autres BRI impliquées sur le terrain dans la gestion de ces objectifs. Tel est le tableau rapide de l'organisation mise en place pour faire face à ces attentats majeurs.

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