Intervention de Frédéric Doidy

Réunion du 9 mars 2016 à 16h15
Commission d'enquête relative aux moyens mis en œuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier

Frédéric Doidy, chef de l'Office central de lutte contre le crime organisé, OCLCO et des brigades de recherche et d'intervention, BRI nationales :

L'OCLCO a pour mission de lutter contre les formes d'actions criminelles les plus violentes qui sont commises au préjudice des personnes et des biens, de réprimer certains trafics qui concourent au développement du crime organisé, notamment les trafics d'armes et de véhicules volés, et de rechercher et arrêter certains malfaiteurs en fuite ou évadés. Pour ce faire, l'OCLCO et, le cas échéant, d'autres services centraux ou territoriaux de la DCPJ s'appuient sur un dispositif unique en France : les brigades de recherche et d'intervention de la DCPJ, qui constituent autant d'antennes de l'Office.

Les BRI agissent le plus souvent de leur propre initiative dans le cadre des missions prioritaires de la DCPJ, en particulier la lutte contre toutes les formes de criminalité organisée. Ces compétences leur permettent de faire preuve d'une grande efficacité lors des surveillances, des filatures et des interpellations, sur la voie publique ou en milieu clos, de malfaiteurs présentant une certaine dangerosité. Ce dispositif national se compose de 331 fonctionnaires de police recrutés au terme d'épreuves de sélection drastiques portant sur leurs aptitudes physiques, psychologiques et professionnelles – le taux de réussite à ces épreuves de sélection, organisées une à deux fois par an, ne dépasse pas 30 %. Les policiers des BRI suivent un entraînement soutenu et adapté aux situations les plus délicates, après avoir accompli un stage d'intégration d'une durée de deux semaines qui vaut socle commun de formation à toutes les techniques d'interpellation sur la voie publique, de filature et de maniement des armes.

Placées sous un commandement unique, les BRI peuvent être mobilisées très rapidement en cas d'événement majeur comme une tuerie de masse ou une prise d'otages multiple. Aujourd'hui, treize brigades de recherche et d'intervention sont réparties sur l'ensemble du territoire national : à Lille, Strasbourg, Lyon, Nice, Marseille, Montpellier, Toulouse, Nantes, Rouen, Versailles, Orléans, ainsi qu'à Bordeaux et Ajaccio, ces deux dernières BRI disposant respectivement d'une antenne à Bayonne et à Bastia.

Ces BRI sont placées pour emploi auprès des directeurs régionaux ou interrégionaux de la police judiciaire et sous l'autorité fonctionnelle du chef de l'OCLCO. À Nanterre, le chef de la brigade de recherche et d'intervention nationale, qui est placée sous mon autorité directe, est chargé de diriger l'action des différentes BRI lors du déploiement de dispositifs opérationnels d'envergure comme en cas d'opérations de type go fast ou d'attaques de centres-forts. Ce maillage territorial propre à la DCPJ date de la création, dès 1976, de la première BRI à Lyon, cette structure ayant été depuis reproduite sur l'ensemble du territoire. Les BRI sont composées d'effectifs et dotées de matériels qui leur permettent de lutter au quotidien contre toutes les formes de délinquance organisée, en particulier le trafic de stupéfiants, les extorsions de fonds, les vols à main armée, les séquestrations ou encore les enlèvements avec demande de rançon. Elles procèdent chaque année à l'interpellation de plusieurs centaines d'individus, que ce soit de leur propre initiative ou en soutien des services centraux ou territoriaux de la police judiciaire. En 2015, 688 malfaiteurs ont été interpellés par les différentes BRI de la DCPJ, dont 51 étaient impliqués à divers titres dans des affaires d'association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste – qu'il s'agisse de terrorisme séparatiste basque ou corse ou de terrorisme international en lien, notamment, avec l'islam radical.

Les BRI font désormais partie intégrante du dispositif national de lutte contre le terrorisme et possèdent une compétence avérée et reconnue de longue date en la matière, en particulier grâce à la participation des BRI de Bayonne et de Toulouse à la lutte contre l'ETA, et de celles d'Ajaccio, de Bastia, de Nice et de Marseille à la lutte contre les groupes nationalistes corses. En 2014, un dialogue engagé en collaboration étroite avec le RAID a abouti à la création du protocole FELIN, qui permet de mobiliser les BRI en cas d'attentat ou de prise d'otages multiple dans le cadre d'une bulle tactique d'intervention associant le RAID, les brigades de recherche et d'intervention de la DCPJ et la direction centrale des CRS. Les BRI sont alors chargées de la sécurisation rapprochée du site d'intervention du RAID, de l'exfiltration des suspects après leur neutralisation par le RAID, de l'évacuation des blessés et de la mise en sécurité des otages et des victimes ; les CRS se chargent de l'étanchéité extérieure de l'ensemble du dispositif. Les compétences des uns et des autres sont clairement définies et réparties en trois zones concentriques attribuées aux trois services impliqués. C'est dans le cadre de ce protocole que, lors des attentats de janvier et de novembre 2015, plusieurs unités placées sous mon autorité, j'étais alors chef de la BRI nationale, ont été intégrées aux nombreux dispositifs de surveillance et d'interpellation en soutien de la SDAT et du RAID. Ce fut le cas le 9 janvier 2015, lors de la neutralisation d'Amedy Coulibaly à la Porte de Vincennes, à Paris, le 16 janvier lors de l'arrestation de son complice à Fleury-Mérogis, ou encore le 18 novembre à Saint-Denis.

J'en viens aux circonstances précises de l'intervention des BRI de la DCPJ suite aux attentats contre Charlie Hebdo. Le jour même de l'attentat, alors que les premières pistes étaient révélées concernant les frères Kouachi et que des opérations devaient être envisagées à Reims, les différentes BRI de la DCPJ mobilisées – en particulier la BRI nationale, composée d'une trentaine d'agents basés à Nanterre, et la BRI de Versailles, la plus proche du lieu de l'attentat, composée d'un nombre équivalent d'agents – ont été mises en alerte dès midi. Le RAID ayant eu pour mission de se transporter vers Reims et Charleville-Mézières, le directeur central de la police judiciaire (DCPJ) a activé le protocole FELIN en attribuant clairement aux différentes BRI la mission d'agir en soutien des opérations d'interpellation que le RAID aurait à conduire concernant les frères Kouachi ou au domicile de certains de leurs proches dans les deux villes précitées. Pour ce faire, j'ai très vite décidé de solliciter l'appui complémentaire des BRI de Lille et de Strasbourg, les plus proches du lieu d'opération. Le soir même, pas moins d'une centaine d'enquêteurs de ces BRI ont été mobilisés en appui à Reims pour veiller à l'étanchéité du dispositif et récupérer les victimes le cas échéant, voire les malfaiteurs en cas d'interpellation – ce qui ne fut pas le cas.

Suite à ces opérations conduites le soir même de l'attentat contre Charlie Hebdo, plusieurs groupes opérationnels des différentes BRI mobilisées ont été laissés sur place à Reims et Charleville-Mézières, car certains membres de l'entourage des frères Kouachi, ciblés mais absents de leur domicile, n'avaient pas été interpellés. Les groupes restés sur place pouvaient ainsi apporter leur soutien aux autres opérations du RAID qui auraient éventuellement à être planifiées en urgence, en exerçant les mêmes missions d'étanchéisation du dispositif et, le cas échéant, de récupération des victimes ou des blessés. Je rappelle que la mission première des BRI de la DCPJ est une mission de filature et de surveillance en tenue civile de malfaiteurs aguerris qu'il faut souvent interpeller sur la voie publique. En janvier, néanmoins, alors que des opérations étaient encore en cours à Reims et à Charleville-Mézières, une réserve de fonctionnaires de BRI a été laissée sur place en appui à la SDAT pour surveiller les domiciles susceptibles d'être utilisés ou fréquentés par des membres de la famille Kouachi, voire par les fugitifs eux-mêmes.

La SDAT a alors identifié à Villers-Cotterêts une autre piste qui méritait d'être exploitée. Dès le lendemain, des agents de la BRI nationale qui n'avaient pas été déployés à Reims et Charleville-Mézières ont commencé à assurer la surveillance permanente de différentes adresses dans la commune de Villers-Cotterêts, avec l'appui d'agents des BRI de Versailles et de Lille. Les BRI de la DCPJ n'avaient pas participé aux opérations de ratissage conduites par le RAID, la BRI de la préfecture de police et le GIGN dans le secteur de Villers-Cotterêts ; elles n'accomplissaient que des missions très discrètes de surveillance, de filature et d'observation en civil afin d'interpeller les fuyards et d'éviter un surattentat ou la commission d'autres actes criminels. La présence des frères Kouachi était peu à peu ciblée à Dammartin, puis la prise d'otages fut avérée dans l'imprimerie ; j'ai donc modifié le dispositif relevant de ma compétence en demandant à l'intégralité des fonctionnaires de BRI déployés à Villers-Cotterêts d'abandonner leurs postes de surveillance pour gagner Dammartin, et j'ai pris la direction des effectifs de la BRI nationale et de la BRI de Versailles pour me mettre sur place à la disposition du chef du RAID dans le cadre du protocole FELIN déclenché par le DCPJ, alors que le GIGN exerçait le contrôle des opérations à ce stade de la crise.

En début d'après-midi, nous avons été avisés de la prise d'otages qui s'était produite dans le magasin Hypercacher de la Porte de Vincennes. En accord avec ma direction, j'ai alors décidé de maintenir une partie du dispositif à Dammartin-en-Goële en appui aux unités du RAID présentes sur place – et dans l'éventualité de l'assaut qu'elles auraient pu avoir à donner elles-mêmes ou lors duquel elles auraient eu à soutenir le GIGN. J'ai ensuite rassemblée environ 25 fonctionnaires de police et nous nous sommes transportés rapidement vers la Porte de Vincennes, où nous avons dressé un PC à proximité immédiate du magasin. Il va de soi que, dans ce type d'opérations, les enquêteurs de la BRI sont équipés d'une protection balistique maximale et d'un armement ad hoc tout en conservant la souplesse nécessaire pour pouvoir se projeter rapidement. Je me suis alors placé à la disposition du chef du RAID. Les missions de chacun étaient clairement définies en vue de l'assaut qui serait donné sur le magasin dans les heures suivantes. Lors de l'assaut, nous nous sommes placés en soutien des colonnes du RAID. La mission qui nous avait été confiée – et que nous avons exécutée – consistait à récupérer les otages et à veiller dans la mesure du possible à ce qu'aucun terroriste ou complice ne se soit dissimulé parmi eux. Une fois l'assaut terminé et les premiers otages libérés, nous les avons récupérés puis accompagnés, en sécurité et sous protection balistique majeure, à une centaine de mètres de l'établissement, au poste médical avancé, ou un premier tri devait être effectué entre ceux qui, blessés, devaient être conduits en urgence dans le secteur hospitalier, et ceux qui, choqués, devaient être examinés sur place par les médecins et services de secours tels que le SAMU et la Croix-Rouge. Nous avions également pour mission de récupérer certains fonctionnaires de police du RAID blessés lors de l'assaut et, toujours sous protection balistique, de les mener au poste médical avancé.

C'est là que s'est arrêtée ma mission concernant la prise d'otages au magasin Hypercacher. Dès le lundi 12 janvier, néanmoins, la SDAT a confié aux BRI une mission concernant le soutien logistique apporté à Coulibaly dans l'Essonne, notamment à Fleury-Mérogis. Ce jour-là, outre les unités mobilisées les jours précédents – la BRI nationale et la BRI de Versailles – avaient été mises sous alerte les BRI les plus proches, c'est-à-dire celles de Rouen et d'Orléans ; nous avons été chargés d'effectuer vingt-quatre heures sur vingt-quatre la surveillance de tout ou partie des soutiens logistiques de Coulibaly jusqu'à leur interpellation par le RAID dans la nuit du jeudi 15 au vendredi 16 janvier. À cette occasion et toujours dans le cadre du dispositif FELIN, nous avons conduit les colonnes d'assaut du RAID au plus près du lieu d'interpellation et nous sommes mis à disposition pour récupérer d'éventuels blessés et otages et assurer la sécurité arrière des opérations du RAID.

Telles furent les missions confiées aux différentes BRI de la DCPJ et la chronologie des opérations qu'elles ont conduites lors des attentats de janvier. Une centaine d'agents ont été mobilisés du 7 au 16 janvier, dès le début des événements et sur plusieurs sites : à Reims, à Charleville-Mézières, à Villers-Cotterêts, à Dammartin-en-Goële puis à la Porte de Vincennes et, enfin, dans l'Essonne.

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