Intervention de Joaquim Pueyo

Réunion du 27 octobre 2015 à 17h00
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJoaquim Pueyo, rapporteur :

Le Partenariat oriental est, avec l'Union pour la Méditerranée, l'une de deux plateformes régionales sur lesquelles s'appuie la Politique européenne de voisinage (PEV). Couvrant six États d'Europe de l'Est et du Caucase Sud, il est axé sur trois priorités : accélérer l'association politique ; approfondir l'intégration économique ; organiser la mobilité des citoyens.

Les pays visés, de tailles diverses, naguère républiques de l'Union soviétique, ont évolué selon des dynamiques politiques et économiques divergentes depuis leur accession à l'indépendance. Leurs relations diplomatiques et commerciales avec l'Union européenne sont par conséquent de natures et d'envergures très hétérogènes. Rappelons que trois d'entre eux seulement – la Géorgie, la Moldavie et l'Ukraine – ont signé des Accords d'association très aboutis, contenant un volet de coopération politique sans précédent et prévoyant la constitution de zones de libre-échange approfondi et complet.

Ces partenaires orientaux présentent toutefois une caractéristique commune : ils se trouvent partagés entre l'attirance pour l'Europe et les liens qui les unissent à la Fédération de Russie. Il en résulte que l'ensemble de la zone est sujette à une instabilité inquiétante pour la sécurité de toute l'Europe, qui tend à s'aggraver depuis que le Président Vladimir Poutine s'est fixé le dessein de bâtir une Union économique eurasiatique (UEEA).

Alors que le Partenariat oriental a parfois été présenté à tort comme un premier pas vers un nouvel élargissement, l'Union européenne, de son côté, n'est pas en mesure d'offrir des perspectives d'adhésion. Cette ambiguïté doit être levée car elle entretient un faux espoir parmi nos voisins orientaux les plus pro-européens, qui font régulièrement part de leurs « aspirations ».

Depuis le début de la crise aiguë que traverse l'Ukraine, notre Commission a produit de nombreux travaux à ce propos. La Présidente Danielle Auroi avait notamment présenté une communication pour analyser l'accord de Minsk 2 du 12 février, qui s'est traduit par des résultats tangibles, quoique imparfaits, sur le terrain.

L'échéance du 31 décembre 2015 envisagée au départ pour la réalisation de l'ensemble du dispositif de pacification s'est révélée irréaliste, en raison de la persistance des violences de haute intensité dans les mois qui ont suivi la signature de l'accord.

Aujourd'hui, le cessez-le-feu est globalement respecté, sous le contrôle de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). La Russie « lâche du lest » sur le dossier ukrainien, en compensation, d'une certaine façon, de son engagement politico-militaire de plus en plus actif sur le théâtre syrien.

Le 2 octobre, les chefs d'État et de gouvernement ukrainien, russe, allemand et français se sont rencontrés en format dit « Normandie », afin de prendre acte de ce nouveau contexte et d'ajuster le calendrier, surtout en ce qui concerne le volet politique.

Les élections locales se sont tenues comme prévu dimanche dernier à l'Ouest de l'Ukraine. En revanche, celles que les autorités régionales de fait de Donetsk et de Lougansk avaient programmées ont été reportées à 2016, afin de créer les conditions d'un scrutin incontestable. Une nouvelle loi électorale doit être élaborée, après quoi les élections pourront être organisées dans un délai de 90 jours. Le jour même de ces élections entrera en vigueur, à titre provisoire, la loi constitutionnelle spéciale pour les régions contestataires, qui doit leur accorder une autonomie importante.

Ce nouveau pas vers le rétablissement de l'intégrité territoriale ukrainienne est un simple aménagement de calendrier, sans aucune concession sur le fond. Il valide une fois de plus la pertinence du format « Normandie ». De plus, la détermination franco-allemande a, d'une certaine façon, été entérinée par la communauté internationale, puisque l'Ukraine vient d'être élue Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations unies.

Par ailleurs, l'Union européenne a prorogé de six mois l'application de ses mesures restrictives. Le dispositif sera réexaminé en décembre à Bruxelles mais son maintien s'avère indispensable, au moins tant que l'Ukraine n'aura pas recouvré le contrôle de ses 400 kilomètres de frontières avec la Russie.

La crise sécuritaire ne doit pas faire oublier l'échéance du 1er janvier 2016, à laquelle doit entrer en vigueur le volet commercial de l'Accord d'association. Afin de le mettre en oeuvre de façon concertée, des discussions trilatérales avec la Russie se poursuivent.

Pour échapper à la faillite, le pays dépend de l'aide européenne et internationale. Or le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque centrale européenne (BCE) conditionnent leurs allégements de dette et leurs allocations macrofinancières à des réformes domestiques plus appuyées. L'Ukraine doit en effet mener une seconde guerre : celle contre les vieux démons de la corruption, de l'opacité des affaires et de la mauvaise gouvernance. La libéralisation des visas de court séjour, ardemment attendue par Kiev, dépend aussi des avancées en la matière.

Enfin, le 25 septembre 2015, grâce, là encore, aux bons offices de l'Union européenne, les deux ministres de l'énergie ont paraphé un accord garantissant la livraison de gaz russe à l'Ukraine jusqu'au début du printemps 2016.

L'Union européenne est le principal partenaire commercial de la Moldavie, pays le plus pauvre du Partenariat oriental, dont le gouvernement ne cesse de réclamer une adhésion rapide à l'Union européenne. Du point de vue européen, cette relation répond avant tout à des considérations politiques : s'attaquer aux fléaux de la criminalité organisée et de l'émigration mais aussi assurer la stabilité.

La Moldavie est en effet le théâtre d'un conflit gelé dans sa province orientale de Transnistrie, où un gouvernement indépendant autoproclamé a pris le pouvoir en 1991, sous la pression militaire de la Russie. L'enjeu est donc d'apporter une réponse adaptée à l'envie d'Europe, tout en évitant une escalade avec la Russie.

Les deux parties ont aussi signé, le 28 avril 2014, un accord très attendu sur la libéralisation des visas de moins de trois mois.

Depuis les élections législatives du 30 octobre 2014, le pays est en proie à une grande instabilité politique. Les trois partis pro-européens ont certes emporté la majorité absolue mais leur leadership est contesté par deux nouveaux mouvements pro-russes et ils sont extrêmement divisés, sur fond d'intérêts divergents entre oligarques.

Alors que la Moldavie a longtemps été considérée comme le bon élève du Partenariat oriental, sa superstructure politico-administrative s'est montrée incapable de mener à bien les réformes structurelles auxquelles elle s'était engagée.

Juste avant les élections législatives, 927 millions d'euros – soit 12,9 % de la richesse nationale – se sont volatilisés du système bancaire ! Un ancien premier ministre, soupçonné par le parquet d'avoir lui-même soustrait 225 millions d'euros dans cette affaire, a été arrêté.

L'instabilité politique chronique et ce « vol du siècle » suscitent un mouvement de protestation populaire sans précédent, avec un campement permanent et des manifestations quotidiennes réunissent jusqu'à 100 000 personnes. Cette contestation radicale des élites pro-européennes porte en germe la remise en cause du tropisme occidental manifesté par la Moldavie depuis son accès à l'indépendance.

En rétorsion des violations constantes des droits de l'homme en Biélorussie, l'Union européenne a adopté des sanctions dès 2004.

En raison de cette situation, la ratification de l'Accord de partenariat et de coopération avec l'Union européenne signé en 1995 est suspendue depuis 1997. Il n'existe pas non plus de plan d'action pour la Biélorussie dans le cadre de la PEV. Bien qu'elle appartienne au Partenariat oriental, elle ne participe qu'à son volet multilatéral.

La Biélorussie est membre fondatrice, avec la Russie et le Kazakhstan, de l'UEEA, mais le Président Loukatchenko prend manifestement garde de ne pas transformer cette union douanière en une union politique, qui serait de nature à diluer la souveraineté nationale dans une structure supra-étatique dominée par la Russie. Il a en outre refusé de reconnaître l'annexion illégale de la Crimée et d'adopter un train de sanctions à l'encontre de l'Union européenne dans la foulée de celui décidé par Moscou.

Il s'est aussi révélé un intercesseur coopératif pour trouver une porte de sortie à la crise dans le Donbass, en recevant les quatre dirigeants du format « Normandie »à Minsk, à deux reprises, en septembre 2014 et en février 2015.

Sur le plan intérieur, le 11 octobre 2015, le Président Loukatchenko a été réélu pour un cinquième mandat avec 83,49 % des voix, mais dans un climat beaucoup plus serein que lors des précédents scrutins. De plus, les six derniers prisonniers d'opinion ont été libérés le 22 août.

Les dirigeants européens souhaitent encourager ce mouvement significatif de normalisation en suspendant rapidement l'essentiel de leurs sanctions et peut-être en les levant courant 2016, à condition que des progrès continuent à être constatés en matière de démocratie et de respect des libertés fondamentales.

Des négociations en vue de l'approfondissement de la coopération bilatérale dans le cadre du Partenariat oriental pourraient alors être envisagées. Dans cette perspective, l'Union européenne bénéficie manifestement des bonnes grâces d'une partie des technocrates biélorusses, qui jugent préférable, pour leur pays, de se tourner vers une Union européenne potentiellement généreuse en fonds structurels plutôt que vers une Russie économiquement exsangue.

En Azerbaïdjan, au contraire, l'heure semble être à une dégradation du climat politique, avec l'incarcération de trois figures emblématiques de la société civile, pour des motifs fallacieux d'évasion et de fraude fiscales.

Le 10 septembre, le Parlement européen a adopté une résolution d'actualité condamnant les violations des droits de l'homme en Azerbaïdjan. En rétorsion, le Parlement azerbaïdjanais lançait une procédure de retrait d'Euronest, l'assemblée parlementaire du Partenariat oriental.

Par ailleurs, le pays est traumatisé par le conflit territorial du Haut-Karabakh, région montagneuse du centre du pays mais majoritairement peuplée d'Arméniens, sécessionniste de fait depuis 1991, avec le soutien militaire de l'Arménie voisine. Donald Tusk a récemment rappelé que l'Union européenne « soutient l'intégrité territoriale, l'indépendance et la souveraineté de l'Azerbaïdjan » et qu'elle n'a « pas reconnu le Haut-Karabakh ».

L'Azerbaïdjan affiche le PIB par habitant de loin le plus élevé des pays du Partenariat oriental. C'est en effet un producteur majeur sur le marché des hydrocarbures, ce qui en fait un partenaire stratégique de l'Union européenne, désireuse de diversifier ses sources d'approvisionnement.

Les marges de manoeuvre financières dont jouit l'Azerbaïdjan grâce à cette richesse en ressources naturelles le rendent modérément intéressé par l'intégration de l'acquis communautaire ; dans cette même logique, il se montre d'ailleurs indifférent au dessein russe de confédération eurasiatique. En outre, le Président Ilham Aliev est rétif à toute ingérence étrangère en matière de droits de l'homme et donc au principe de conditionnalité des aides européennes.

Bakou aspire en réalité à établir avec l'Union européenne une coopération sur un pied d'égalité, organisée dans le cadre de sommets bilatéraux réguliers. Dans cet esprit, l'ouverture de négociations en vue de la signature d'un Accord de partenariat stratégique est envisagée. Le coup de froid consécutif à l'adoption de la résolution critique du Parlement européen étant passé, l'administration présidentielle azerbaïdjanaise semble demandeuse de discussions plus approfondies en ce sens.

L'Arménie est le pays le moins peuplé et le plus enclavé du Partenariat oriental. Sa survie économique dépend dans une large mesure du soutien de la Russie ; elle a d'ailleurs adhéré à l'UEEA. Des négociations en vue de la conclusion d'un Accord d'association avec l'Union européenne avaient pourtant été clôturées en juillet 2013 mais l'Arménie a fait volte-face au dernier moment.

La coopération bilatérale s'était néanmoins approfondie en 2012, avec la signature d'un protocole relatif aux principes généraux de la participation de l'Arménie aux programmes de l'Union européenne. De plus, un accord visant à faciliter la délivrance des visas et un accord de réadmission entre l'Union européenne et l'Arménie sont entrés en vigueur en 2014.

Pour ouvrir de nouvelles perspectives, la Commission européenne et la haute représentante viennent de se voir confier un mandat de négociations avec Erevan en vue de la signature d'un nouvel accord-cadre plus approfondi en matière de dialogue politique, de relations commerciales et de promotion des investissements, et élargi à des sujets comme la justice, la liberté et la sécurité. L'ensemble des dispositions devront être compatibles avec les obligations internationales respectives des deux parties, notamment celles de l'Arménie vis-à-vis de la Russie.

Les discussions prendront sans doute plusieurs années mais, à terme, l'Arménie pourrait être amenée à jouer un rôle de passerelle entre la Russie et l'Union européenne.

Celle-ci a salué le projet de transition d'un régime présidentiel vers un régime parlementaire, présenté en avril 2014, même si l'absence de consensus politique sur la question empêche aujourd'hui sa mise en oeuvre. Des progrès ont également été réalisés en matière d'indépendance du secteur judiciaire, même si la méfiance de la population à l'égard du pouvoir judiciaire persiste. Néanmoins, l'absence de progrès dans le renforcement des droits de l'homme et la lutte contre la corruption constitue un défi majeur.

L'économie géorgienne a bien résisté au conflit d'août 2008 avec la Russie mettant en jeu les régions séparatistes d'Abkhazie et d'Ossétie du Sud, majoritairement peuplés de russophones.

Ceux-ci ont signé avec la Russie des « traités d'alliance et d'intégration », ce qui constitue une nouvelle étape dans la violation de la souveraineté géorgienne. De plus, ils viennent d'installer des panneaux de démarcation sur la frontière administrative les séparant du reste de la Géorgie, 1,5 kilomètre au-delà des limites prévues.

L'Union européenne, extrêmement attentive à un retour à la légalité, a créé la fonction de représentant spécial pour le Caucase Sud et la crise en Géorgie. Dans le cadre des discussions menées à Genève avec la Russie, la Géorgie et les entités séparatistes, elle ne cesse de soutenir l'intégrité territoriale de la Géorgie au sein de ses frontières internationalement reconnues et se déclare déterminée à chercher une résolution pacifique.

Ces événements ont poussé la Géorgie à se tourner résolument vers l'Union européenne, qui est son premier partenaire commercial. La relation entre l'Union européenne et la Géorgie s'est intensifiée à partir de 2003, avec la « Révolution des roses », et est aujourd'hui structurée par un Accord d'association. Ce texte est considéré par la Géorgie comme un point de non-retour pour faire reconnaître le fait qu'elle est européenne.

Par ailleurs, la Géorgie coopère à la Politique de sécurité et de défense communes à travers un accord-cadre qui l'a amenée à participer à deux opérations de l'Union européenne, sur les théâtres centrafricain et malien.

Elle aspire également à adhérer à l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN), qui s'apprête à ouvrir un centre d'entraînement sur son territoire. Un élargissement de l'Alliance transatlantique à la Géorgie constitue cependant, du point de vue de la Russie, une ligne jaune.

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