Intervention de Michel Vauzelle

Réunion du 17 septembre 2014 à 9h45
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Vauzelle, rapporteur :

Le texte dont nous sommes aujourd'hui saisis a été signé le 29 juin 2012 à Tegucigalpa. Les négociations avaient préalablement abouti à Madrid en mai 2010 lors du 6ème sommet Union européenne - Amérique latine et Caraïbes. Il établit une association entre l'Union européenne et ses États membres d'une part, et les pays du Système d'intégration centre-américain ou SICA (Costa Rica, El Salvador, Guatemala, Honduras, Nicaragua et Panama) d'autre part. C'est à ce jour l'un des accords régionaux les plus aboutis passés par l'Union européenne en Amérique latine.

Comme vous le savez, les autorités françaises ont fait de notre relation avec l'Amérique latine une priorité. M. Laurent Fabius l'a rappelé avec force lors de la dernière conférence des Ambassadeurs, nous devons avoir pour ambition d'y renforcer notre présence, qu'il s'agisse des plus grands pays - Brésil et Mexique auxquels tant de liens nous attachent - ou des néo-émergents comme la Colombie et le Pérou, auxquels nous lient des valeurs, une culture et de considérables possibilités communes.

Dans cette région du monde, l'action de la France s'inscrit dans la durée et dans une stratégie de long terme, portée par ses relations amicales avec tous les États de la zone. Elle peut désormais s'appuyer sur une nouvelle dynamique, celle du dialogue institutionnalisé à la fin des années 1990 entre l'Union européenne et la majorité des pays d'Amérique latine. En effet, sans sous-estimer l'influence réelle qui reste celle des Etats-Unis et en ayant à l'esprit que nombre de pays latino-américains se tourne aujourd'hui résolument vers l'Asie, les Européens ont une carte à jouer en Amérique latine. L'influence grandissante de pays émergents tels que le Brésil et le Mexique, la richesse de la région en matières premières et la place croissante de l'Amérique latine dans l'approvisionnement de l'Union en produits agricoles sont autant de raisons de renforcer le partenariat euro-latinoaméricain. Mais au-delà du seul volet économique et commercial, il s'agit aussi pour l'Union européenne de promouvoir les droits de l'homme, la démocratie et le multilatéralisme.

C'est dans cette logique que s'inscrit l'accord qui est aujourd'hui soumis à notre approbation. Le dialogue entre l'Union européenne et l'Amérique centrale a en effet été d'abord et d'emblée politique, avec le dialogue de San José, lancé en 1984, dont l'objectif était de trouver des solutions aux conflits armés par la voie de la négociation.

Les négociations pour la mise en oeuvre d'un accord d'association visant à remplacer l'accord-cadre de coopération signé en 1993, et l'accord de dialogue politique et de coopération signé en 2003, ont officiellement été lancées en juin 2007 suite au mandat donné par le Conseil à la Commission en avril. Près de 6 ans de négociations, que le Panama a rejointes en cours de route, ont abouti à la signature de d'un accord particulièrement vaste et ambitieux en 2012.

Pour l'Union européenne, il s'agit avec cet accord, tout d'abord, d'ouvrir de nouveaux débouchés à l'exportation vers l'Amérique centrale dans un contexte économique difficile ; ensuite, de rééquilibrer une balance commerciale structurellement déficitaire depuis plusieurs années avec les pays d'Amérique centrale ; enfin de promouvoir de nouveaux domaines de coopération, correspondant à des enjeux globaux tels que le développement durable ou la paix et la sécurité, la démocratie et les droits de l'Homme ainsi que le développement social.

Pour l'Amérique centrale, les enjeux de l'accord ne sont pas moins grands. Cette région se compose de républiques très différentes qui partagent cependant une histoire commune : certains États ont connu une longue période autoritaire (Guatemala, Salvador), le Costa Rica a vécu une expérience atypique, moulée dans le modèle social-démocrate européen depuis le milieu du XXe siècle, alors que d'autres ont conservé une rhétorique révolutionnaire. Au Guatemala, les Accords de Paix de 1996 ont permis le retour de dizaines de milliers de personnes sur leurs terres. Leurs pratiques et traditions économiques sont tout aussi diverses : républiques caféières pour certaines (Guatémala, Costa Rica, El Salvador), production de bananes au Honduras ou encore économie tertiaire s'agissant du Panama, l'Amérique centrale est aujourd'hui ouverte au commerce comme aux investissements, mais peine à combler un déficit flagrant dans le domaine industriel, même si le Costa Rica et le Guatémala sont, sur ce point, en avance sur leurs voisins. La violence et la pauvreté sont aujourd'hui les deux principaux obstacles au développement dans la région, qui s'alimentent mutuellement. Vingt ans après la fin des guerres civiles, l'Amérique centrale se trouve confrontée à de nombreux défis : outre celui du travail de mémoire, de réconciliation nationale, ou même de l'apaisement politique, l'Amérique centrale doit sortir de la violence hélas quotidienne, et trouver les voies d'un développement juste, inclusif et durable (61 % des Honduriens, 44 % des Nicaraguayens, 55 % des Guatémaltèques vivent sous le seuil de la pauvreté en 2013 selon le PNUD). Il s'agit donc à la fois pour ces pays de diversifier leur économie, de défaire leur dépendance à l'égard de leur puissant voisin états-unien, mais aussi de se libérer des inégalités et de progresser dans l'état de droit.

Pour répondre à ces différents défis, l'accord comporte trois volets. Le volet commercial, tout d'abord, prévoit la libéralisation des échanges pour 95% des lignes tarifaires, dont 100% pour les produits industriels. Le calendrier de diminution des droits de douane est asymétrique afin de prendre en compte les différences de développement économique des deux régions ; certains produits, notamment de première nécessité en sont exclus, afin de ne pas déstabiliser l'économie de certains pays.

En complément, l'accord prévoit des engagements pour une élimination progressive de certains obstacles techniques au commerce et une facilitation de la circulation des marchandises. Il couvre enfin la plupart des sujets commerciaux non tarifaires parmi lesquels les mesures sanitaires et phytosanitaires, les services, les marchés publics et la propriété intellectuelle, qui font l'objet de chapitres spécifiques. L'accord prévoit ainsi la reconnaissance et la protection de plus de 200 indications géographiques européennes.

Le volet politique de l'accord prévoit la mise en oeuvre d'un partenariat politique privilégié, fondé sur le respect et la promotion de la démocratie, de la paix, des droits de l'Homme, de l'État de droit, de la bonne gouvernance. Il ajoute aussi plusieurs articles à l'accord-cadre de coopération signé en 2003 entre les partenaires, en particulier sur la lutte contre les armes de destruction massive, le désarmement, la lutte contre le terrorisme et les crimes graves de portée internationale. Il promeut également le renforcement de l'Organisation des Nations unies en tant qu'élément central du système multilatéral.

Le dialogue politique prendra aussi la forme d'une coopération dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité, pour coordonner les positions et prendre des initiatives conjointes au sein des enceintes internationales. On pense notamment aux questions environnementales et climatiques, sur lesquels les pays d'Amérique centrale sont en pointe et qui sont explicitement visés par l'accord.

Le volet coopération a quant à lui pour objectifs de renforcer la paix et la sécurité ; contribuer au renforcement des institutions démocratiques, à l'égalité entre les hommes et les femmes, à la diversité culturelle, à la promotion et au respect des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, à la transparence et à la participation des citoyens ;

Il s'agit aussi de favoriser la cohésion sociale en luttant contre la pauvreté, les inégalités, l'exclusion sociale et toutes les formes de discrimination. Enfin, l'accord comporte un important volet consacré à la coopération culturelle.

Ce volet gagnerait certainement à mieux afficher ses priorités mais devrait, pour cela, pouvoir les identifier avec ses partenaires. Il nous appartiendra de faire de ces grandes ambitions un peu plus que des mots, car les défis en la matière sont majeurs en Amérique centrale. Il faut saluer à ce titre la création d'un mécanisme économique et financier commun, incluant, entre autres, la Banque européenne d'investissement, la facilité d'investissement pour l'Amérique latine et une assistance technique dans le cadre du programme de coopération régionale centraméricaine, pour lutter contre la pauvreté, favoriser le développement et la prospérité globale de l'Amérique centrale.

Pour la France, l'enjeu de cet accord est double. Il est bien sûr économique. Nous avons des marges de progression importantes en matière d'échanges commerciaux, où nous sommes en deçà des niveaux atteints par nos partenaires européens, l'Allemagne, l'Italie ou le Royaume-Uni. La France est le sixième fournisseur européen d'Amérique centrale et son septième client. Pourtant, le potentiel existe et la France a beaucoup à offrir en termes de développement : ces pays ont besoin d'équipements, de matériel électrique et électronique, d'ingénierie et de technologie. Dans ces domaines, la France dispose de plusieurs références positives dans les pays émergents, en Amérique du sud, en Asie et en Afrique.

Mais il ne s'agit pas d'avoir une vision étroitement économique. Les inégalités et l'absence d'état de droit sont aujourd'hui les deux principaux obstacles au développement en Amérique centrale, qui s'alimentent mutuellement. Là, la France a beaucoup à apporter, que ce soit en matière de coopération dans les domaines de la santé et des politiques sociales, de la lutte contre les inégalités, de la coopération en matière de justice et sécurité, mais aussi de développement durable, sujet de préoccupation crucial pour la population d'Amérique centrale et dans lequel la France a une véritable expertise et pourra donner corps à cet accord. Enfin, l'entrée en vigueur de l'accord devrait favoriser le développement d'initiatives au service de la promotion de la diversité culturelle : traductions d'oeuvres littéraires, mise en valeur du patrimoine culturel, apprentissage des langues, etc. Notre pays, à l'origine de la Convention de l'Unesco sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, devra ainsi prendre toute sa part à la concrétisation de cette ambition.

Au bénéfice de ces remarques, je vous invite, chers collègues, à adopter ce projet de loi.

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