Intervention de Grégoire Doré

Réunion du 11 mai 2016 à 16h15
Commission d'enquête relative aux moyens mis en œuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier

Grégoire Doré, chef adjoint de l'Unité de coordination des forces d'intervention, UCOFI :

Je suis très honoré d'être auditionné par votre commission d'enquête. D'une part, parce que c'est la première fois que l'UCOFI est sollicitée pour un tel exercice, d'autre part, en raison de l'importance de la problématique qui a motivé cette sollicitation et sur laquelle vous travaillez depuis plusieurs mois.

Mon propos liminaire portera sur les missions initiales et les réalisations de l'UCOFI depuis sa création ainsi que sur les mesures prises depuis les attentats de janvier 2015, puis de novembre 2015, ayant impliqué ou concerné l'UCOFI. Je conclurai en évoquant les perspectives de l'unité, notamment dans le cadre du schéma national d'intervention et de la procédure d'urgence absolue.

L'unité de coordination des forces d'intervention a été créée au sein du ministère de l'intérieur, le 1er juin 2010, à la suite de l'une des recommandations de la mission d'étude conduite par le général d'armée Guy Parayre et le contrôleur général Luc Presson. Organiquement rattachée à la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN), elle est fonctionnellement subordonnée aux deux directeurs généraux de la gendarmerie nationale et de la police nationale, et au préfet de police de Paris. Elle est animée par un officier de gendarmerie et par un commissaire de la police nationale. À sa création, elle était dirigée par un général de brigade de gendarmerie, secondé par un commissaire divisionnaire. Aujourd'hui, en tant que commissaire de la police nationale, j'ai l'honneur d'être à sa tête, secondé par un lieutenant-colonel de la gendarmerie. Cette structure est très rapidement appelée à être étoffée.

Aucun lien hiérarchique ne la rattache aux unités d'intervention de la gendarmerie et de la police nationales. Elle est chargée, sans remettre en cause leurs identités respectives, de donner davantage de cohérence, de transparence et d'efficience collective au dispositif des forces d'intervention du ministère de l'intérieur. Elle doit aussi les préparer à l'interopérabilité, qui est le coeur de mission de l'unité.

Au titre de son mandat initial, l'UCOFI a plusieurs missions :

Faciliter la coordination et la coopération entre les unités sans rechercher l'homothétie mais en favorisant, au contraire, les partenariats et les synergies opérationnelles. L'UCOFI a notamment permis d'élaborer un langage tactique opérationnel commun emprunté à celui de l'OTAN, car pour bien travailler ensemble, il faut employer les mêmes mots, par exemple « neutraliser », « fixer », « confiner ». L'unité suit aussi actuellement les travaux du service des technologies et des systèmes d'information de la sécurité intérieure (ST(SI)2) sur l'interopérabilité radioélectrique afin que les postes radio de l'ensemble des unités d'intervention soient interopérables, ce qui n'est pas le cas actuellement ;

Évaluer la mise en application des directives communes édictées par les directeurs généraux de la gendarmerie et de la police nationales ainsi que par le préfet de police, tant par des réunions fréquentes et régulières que par des visites sur le terrain ;

Faire la synthèse et évaluer, à l'attention des directeurs généraux et du préfet de police, les points de vue des chefs des unités d'intervention de la gendarmerie et de la police nationales, favorisant les convergences afin de tendre vers des interopérabilités ;

Élaborer des exercices conjoints et proposer des entraînements, des formations, des échanges, voire des procédures d'engagement commun. Elle peut ainsi proposer l'organisation de retours d'expérience (RETEX) des missions majeures, des entraînements et des exercices importants, et y participer ;

Assurer le suivi hebdomadaire et mensuel des activités des unités et en effectuer la diffusion aux autorités, services et unités qui ont droit et besoin d'en connaître. Elle doit être informée en amont des projets de convention et protocole qui lient ces unités à des partenaires publics ou privés, afin de veiller à leur cohérence au sein du ministère. Elle veille à la cohérence et à la pertinence des partenariats avec les armées en évitant les concurrences et en préservant les identités et cultures propres aux unités – je pense notamment au groupe interarmées d'hélicoptères (GIH). Elle doit être informée de toutes les actions internationales conduites par les deux forces, GIGN et RAID. Enfin, elle organise des réunions régulières avec les chefs des unités, et elle en adresse les comptes rendus aux deux directeurs généraux et au préfet de police de Paris.

À l'époque de sa création, l'UCOFI a effectué un premier recensement des différentes capacités développées par les unités d'intervention spécialisée du haut du spectre : le RAID, le GIGN, la BRI dans sa configuration BAC, les groupes d'intervention de la police nationale (GIPN), les groupes de pelotons d'intervention (GPI), les ex-pelotons interrégionaux d'intervention de la gendarmerie (PI2G), devenus des antennes du GIGN. Ce recensement, déclaratif, a été effectué en 2011, mis à jour une première fois en 2013, puis une deuxième fois en 2016, dans le cadre de l'élaboration du schéma national d'intervention.

Une note conjointe, rédigée par l'UCOFI en juillet 2014, a permis de formaliser la coopération et la coordination des unités d'intervention spécialisée de la gendarmerie et de la police nationales. Cette note, élaborée en concertation avec les unités d'intervention spécialisée, a posé des principes essentiels, dont celui du menant-concourant.

Dès sa création, l'UCOFI s'est penchée, avec les forces d'intervention, sur des scénarios concernant des tueries de masse ou planifiées, ou des prises d'otage de masse qui nécessiteraient des interventions conjointes. Un exercice de réaction à une tuerie de masse, avait été prévu en janvier 2015, au centre commercial Belle Épine, dans le Val-de-Marne, mais avait dû être annulé ; reprogrammé au centre commercial de Vélizy 2, le 17 novembre 2015, il avait de nouveau été annulé. Vous voyez, en tout cas, que la problématique des prises d'otages et des tueries de masse a été traitée très tôt par l'UCOFI, en particulier à partir de 2013 et l'attaque du centre commercial de Nairobi.

J'en viens aux mesures prises après les attentats de janvier 2015.

Le mardi 31 mars 2015, l'UCOFI a organisé un retour d'expérience sur la coordination entre les unités lors des attaques terroristes de janvier 2015. Ce RETEX s'est tenu à Bièvres, au siège du RAID, en présence des chefs du RAID, du GIGN, de la BRI et de l'UCOFI. Il en est notamment ressorti que l'articulation entre les deux forces a été efficace grâce à l'application du principe du menant-concourant dans la mission de recherche d'individus en fuite, en l'occurrence les frères Kouachi. Le GIGN a fait état d'une réflexion interne sur sa faculté à se déployer sur plusieurs crises avec des capacités dimensionnées aux besoins opérationnels.

Les événements de janvier 2015 ont également été l'occasion de mettre en oeuvre un schéma simple de coordination : un assaut coordonné sans application du menant-concourant, chacun intervenant dans sa zone de compétence. Les deux forces se coordonnent au niveau des structures de commandement par l'intermédiaire d'officiers de liaison, sans conséquence sur l'organisation des postes de commandement. Ce premier niveau de coordination est acquis par les unités.

Au mois d'avril 2015, les sept groupes d'intervention de la police nationale (GIPN) de métropole, qui étaient tous rattachés à la direction centrale de la sécurité publique (DCSP), ont été intégrés à l'échelon central du RAID, à Bièvres, afin d'assurer une meilleure coordination et d'optimiser l'emploi des opérateurs qui composent ce « grand RAID ».

Réclamée par un mandat du ministre de l'intérieur, le 8 juin 2015, l'évolution de la doctrine d'intervention conjointe entre la police et la gendarmerie a été mise au point et a donné lieu à une note conjointe entre DGPN, DGGN et préfet de police, le 16 octobre 2015. Cette note met, en particulier, en avant le développement de la primo-intervention des forces d'intervention intermédiaire, notamment avec le plan BAC-PSIG, pour engager sans attendre les unités spécialisées Cette question a fait l'objet d'une annonce du ministre, le 30 octobre 2015, à Rouen. Ce principe constitue une véritable révolution doctrinale pour la police et la gendarmerie dans la gestion de ce type d'événement.

La doctrine d'intervention conjointe prévoit également la mise en place d'un volet équipement et formation pour optimiser la réponse en cas de crise – un plan d'équipement a été mis en place très rapidement.

S'agissant des attentats de novembre 2015, le RETEX a été intégré dans les réflexions du groupe de travail pour la rédaction du schéma national d'intervention.

Les deux directions, DGPN et DGGN, ont formulé le fruit de leurs réflexions respectives dans des notes spécifiques sur la gestion des tueries de masse, au mois de décembre 2015. La préfecture de police a adapté son dispositif de gestion de crise au moyen de la disposition générale EVENGRAVE, le 16 novembre 2015. Un mandat a été confié à l'UCOFI afin qu'elle élabore le schéma national d'intervention. Ce mandat a été signé et validé par les directeurs généraux et le préfet de police, le 31 décembre 2015, mais l'UCOFI y travaillait déjà depuis le 23 novembre.

Le schéma national d'intervention a été validé par les deux directeurs généraux et par le préfet de police le 23 mars 2016. Il a été présenté par le ministre le 19 avril 2016. Un exercice majeur, organisé par l'UCOFI, a eu lieu avec succès dans la nuit du 19 au 20 avril, à la gare de Montparnasse, pour illustrer le schéma national d'intervention. RAID, GIGN et BRI sont intervenus de manière coordonnée sur trois points distincts pour neutraliser une équipe de terroristes fictive lors d'une simulation de tuerie de masse.

Je termine avec les perspectives qui sont aujourd'hui les nôtres.

La mise en oeuvre du schéma national d'intervention doit débuter par l'évaluation de trois premières capacités des forces d'intervention au cours de ce mois de mai. Dans ce cadre, l'UCOFI doit monter en puissance. L'unité a été renforcée par l'arrivée, le 28 mars 2016, d'un lieutenant-colonel de gendarmerie. Deux officiers, l'un de police, l'autre de gendarmerie, viendront prochainement l'étoffer.

L'UCOFI se positionne également comme le point d'entrée des forces d'intervention dans le cadre des travaux d'élaboration du protocole GIH et des plans gouvernementaux « Pirate » pour les forces d'intervention. Elle se rapprochera aussi des structures de coopération internationale pour savoir si une structure similaire de coordination existe à l'étranger, et éventuellement s'en inspirer.

Si vous le souhaitez, je vous communiquerai une synthèse des points principaux du schéma national d'intervention.

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