Avec Pierre Cahuc, nous avons étudié l'impact de cette mesure sur la durée effectivement travaillée. Nous avons publié cet article en début d'année, dans le Journal of Labor Economics, où nous montrons que cette loi n'a eu aucun effet significatif sur les heures effectivement travaillées, parce qu'il y a optimisation : les entreprises ont modifié le « package » versé à leurs salariés, en recyclant en heures supplémentaires officielles des heures qui étaient déjà travaillées. Tout le monde était d'accord, puisque les salariés bénéficiaient d'un avantage fiscal. Cela permettait aux entreprises de donner un petit avantage aux salariés et peut-être même d'y gagner.
Au final, on n'observe aucune augmentation des heures travaillées sur la période, en appliquant une méthode avec un groupe traité et un groupe de contrôle, un peu comme je vous l'avais présenté précédemment.
Quelles sont les raisons de cette difficulté de la réglementation du temps de travail à impacter l'emploi et la quantité de travail ?
Tout d'abord, les salaires sont négociés entre salariés et employeurs ; ce sont des packages « duréesalaire », qui dépendent avant tout de la productivité de chacun. Lorsqu'il n'y a pas d'augmentation de la productivité, il est très difficile de modifier de manière notable ces packages. Et quand on change la réglementation, ces packages s'ajustent et, au final, ils reflètent toujours la productivité du salarié.
Par ailleurs, la durée effective du travail est difficilement observable ou contrôlable, notamment dès lors que les employeurs et les employés sont d'accord pour déclarer un certain nombre total d'heures travaillées sur le mois. Dans quelques professions, les horaires sont strictement observés, notamment dans les ateliers où l'on pointe de manière assez précise, avec des horaires et des équipes qui tournent. En dehors de tels cas, la plupart des salariés ont des horaires assez flexibles et difficiles à contrôler. Il est donc facile de les déclarer de la manière qui arrange les salariés et les employeurs à un moment donné.
En guise de conclusion : les résultats que je viens de vous donner ne constituent pas mon opinion personnelle. C'est une synthèse des recherches disponibles sur ce sujet depuis de nombreuses années, qui essaie de faire la part des choses entre les articles qui ont une méthodologie fragile, et les articles qui ont une méthodologie plus solide, pour tenter d'identifier un effet causal, ou une interprétation causale des liens entre la RTT, l'emploi et les salaires.
Si l'on s'appuie sur ces études, on constate que, d'une manière générale, il ne faut pas attendre beaucoup, en matière d'emploi et de chômage, de changements de la réglementation qui concernent le temps de travail ou les heures supplémentaires. Je dirais que la RTT n'est pas d'abord une politique de lutte contre le chômage. C'est une politique sociétale. C'est un choix politique, qui peut se défendre pour diverses raisons, mais il me semble fragile de mettre en avant les effets de la réduction de la durée du travail en matière d'emploi. En effet, toute RTT qui a pour contrepartie une compensation salariale a peu de n'avoir un effet sur l'emploi, voire plutôt un effet négatif pour certains salariés si la baisse de la compétitivité est importante.
Le revers de cette conclusion, c'est qu'il ne faut pas non plus attendre beaucoup de la possible remise en cause des 35 heures, à moins qu'elle n'entraîne une baisse du coût du travail horaire, ce qui signifie une baisse du salaire horaire. Il faudrait alors que les salariés acceptent de travailler plus pour le même salaire. Comment l'obtenir ? Politiquement, il est difficile d'adopter une loi qui aille dans ce sens. Socialement, il est difficile, pour les salariés, d'accepter une telle situation.
Cela dit, la réglementation française est aujourd'hui complexe, et sans doute coûteuse et contraignante pour certains secteurs d'activité – avec une grande hétérogénéité dans les arrangements. Elle est également coûteuse et contraignante dans la fonction publique, notamment dans la fonction publique hospitalière, dont les coûts d'organisation sont particulièrement lourds – travail de nuit et horaires compliqués. Et pourtant, de nombreux assouplissements de la réglementation des 35 heures ont eu lieu au fil des ans. C'est ainsi qu'en 2003, le contingent légal (d'heures supplémentaires) a été augmenté et qu'en 2008, les entreprises ont eu la capacité de négocier ce contingent à leur niveau.
En dernier lieu, il me semble que si on laissait les entreprises négocier le seuil de déclenchement des heures supplémentaires et si on revenait sur le fait d'appliquer à toutes les entreprises la même toise des 35 heures, le système ne s'en trouverait pas simplifié pour autant. Cela apporterait davantage de flexibilité à certains secteurs qui en ont besoin, mais il n'est pas certain que toutes les entreprises s'engagent dans de telles négociations : elles ne voudront pas réduire le salaire horaire des salariés ; elles ont précédemment obtenu des avantages en compensation. Il n'est donc pas certain que cela donne lieu à une large remise en cause des accords actuels.