Madame la rapporteure, il est évident que lorsque l'on parle, on a toujours un point de vue, une opinion. Ce que je voulais dire, et je me suis certainement mal exprimé, c'est que ce ne sont pas mes données ni mes analyses que je vous ai présentées, mais celles de chercheurs qui ont travaillé et publié dans les meilleures revues académiques mondiales sur le sujet.
Je me suis appuyé sur le processus de validation scientifique de ces études, qui n'est pas le même lorsque l'on publie dans une revue locale ou que l'on publie dans une revue internationale. Il faut savoir qu'il y a des processus de revue par les pairs, anonymes et extrêmement stricts. Les résultats sont « challengés » à de très nombreux niveaux, et l'on demande même aux chercheurs de mettre à disposition leurs données pour pouvoir répliquer ou contester ces résultats. C'est sur ce processus que je me suis fondé pour sélectionner les travaux que je vous ai présentés, et je n'ai sélectionné des résultats que parmi ceux qui ont été publiés dans les meilleures revues au monde, ce qui est un gage d'extrême qualité.
Ensuite, Madame la rapporteure, vous m'avez demandé s'il était nécessaire d'avoir une durée légale du travail, un SMIC, etc. Ces questions me semblent en dehors du propos. On a besoin d'un certain nombre de réglementations pour limiter les abus. Le SMIC en fait partie, tout comme la durée légale. La question est de savoir à quel niveau on le place et comment on fait en sorte qu'il soit compatible avec la productivité de notre pays, certains des emplois salariés étant par ailleurs économiquement très fragiles.
Vous avez cité le cas de l'Italie, de la Grèce et de l'Espagne qui travaillent beaucoup, et le cas de la France et de l'Allemagne qui travaillent beaucoup moins. C'est bien la preuve que la durée légale du travail, ou même la durée effective du travail, est assez peu liée au chômage et à l'emploi. D'où mon propos : il ne faut pas attendre beaucoup des changements de ces durées observées de l'emploi.
Plusieurs d'entre vous ont dénoncé le fait que l'on applique les 35 heures à tous, bien qu'elles ne soient pas adaptées à certaines professions et à certains métiers. Mais la réglementation n'est pas aussi contraignante qu'on le pense pour certaines catégories de salariés et d'entreprises : d'abord, parce que pour les salariés cadres qui sont au forfait, les heures ne sont pas comptées ; ensuite parce que, pour les salariés restés à 39 heures, il est possible de faire 4 heures supplémentaires de manière structurelle – comme certains l'ont remarqué.
La question qui se pose est celle de l'adaptation et du package. Le jour où vous devez appliquer le passage aux 35 heures, cela vous paraît contraignant, surtout avec les gens avec lesquels vous avez conclu un contrat de travail. Mais au fil des années, les gens partent, démissionnent, sont licenciés. Les contrats sont renégociés avec d'autres. Vous prenez en compte la productivité et le salaire. S'il faut 39 heures pour rentabiliser l'emploi du salarié, vous ajustez le package avec 4 heures supplémentaires. Il y a certainement beaucoup de gens, dans notre entourage, qui ne savent même pas qu'ils sont en réalité à 39 heures et qu'ils font quatre heures supplémentaires. Car ce package perdure.
M. Sebaoun s'est demandé si la renégociation des 35 heures pourrait aider certains secteurs. Faut-il aller jusque-là ? Ce que j'ai dit, c'est qu'en France, les secteurs d'activité étaient très différemment contraints par la réglementation du temps de travail. Il se trouve en effet que dans certains secteurs, il y a du travail de nuit, que les accords d'entreprise ou de branche sont appliqués avec plus ou moins de rigueur, que la concurrence internationale est plus ou moins forte suivant les secteurs, etc. J'ai ajouté que le fait d'autoriser les entreprises à redéfinir le seuil de déclenchement des heures supplémentaires pourrait aider certaines entreprises à desserrer certaines formes de contraintes dans certains secteurs. Mais vous dire combien, et lesquels, je ne sais pas. Aujourd'hui, on ne peut pas prévoir avec certitude ce que feraient les entreprises si on les laissait renégocier et décider elles-mêmes du seuil des heures supplémentaires. Et la raison de cette incertitude est que celles-ci se sont déjà arrangées – heures supplémentaires structurelles, packages, annualisation. Tout cela a fini par refléter leur productivité au fil des années. Donc, je ne sais pas si les gens se précipiteraient en cas de réouverture des négociations. Tel était mon propos.
Le dernier point sur lequel je voudrais revenir, monsieur le président, est celui des contreparties. Je pense notamment à l'importance des aides qui ont été accordées aux entreprises au moment du passage aux 35 heures. Le coût des allègements pèse lourd sur la collectivité : entre 10 et 15 milliards par an. C'est une somme considérable, quand on sait que le budget de l'emploi est d'environ 10 milliards par an. Il serait nécessaire d'en discuter régulièrement.
Maintenant, il me semble que les allègements sont ciblés sur les bas salaires. Les études les plus solides dont on dispose aujourd'hui montrent que l'emploi est très sensible à son coût, au niveau du salaire minimum et très légèrement au-dessus. Il faut donc être très vigilant si on décide de remettre en cause les allègements généraux. L'élasticité de l'emploi à son coût est très forte à ce niveau de salaire.
Si on décidait de le faire, il faudrait s'assurer que la durée du travail monte parmi ces salariés, et donc que la productivité augmente. Et encore faudrait-il le faire progressivement. Remettre dès aujourd'hui en cause les allègements généraux et le coût du SMIC, qui a par ailleurs beaucoup progressé, en mettant en avant que les entreprises ont maintenant absorbé les 35 heures, serait à mon avis très dangereux pour l'emploi. En outre, cela impacterait les salariés les plus fragiles, rémunérés au niveau du salaire minimum – souvent des personnes jeunes, et des personnes moins qualifiées. Il faut dont être très attentifs.