Intervention de Danielle Auroi

Réunion du 20 janvier 2015 à 16h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanielle Auroi, présidente :

La nouvelle Commission européenne a adopté le 16 décembre 2014 son programme de travail pour 2015, le premier programme de travail de ce mandat.

Ce programme de travail s'approprie les orientations définies par le président de la Commission européenne dans son programme pour 2014-2019, présenté au Parlement européen le 15 juillet dernier. Il s'agit d'un véritable programme politique, centré sur des objectifs précisément définis et donnant une meilleure lisibilité à l'action de la Commission européenne.

Le programme présenté en décembre se caractérise par une volonté affichée d'allègement règlementaire, partant du postulat que les citoyens souhaitent que l'Europe « s'immisce moins » dans leur vie quotidienne, pour reprendre les mots de Jean-Claude Juncker. Ce programme de travail ne prévoit donc que vingt-trois nouvelles initiatives, dont seulement treize comporteront un volet législatif, alors que les précédents programmes de travail pouvaient en contenir plus d'une centaine. Parallèlement, la Commission européenne a fait le choix d'appliquer de manière stricte le principe de la « discontinuité », en passant au crible les 452 propositions législatives actuellement sur la table des négociations pour in fine proposer l'abandon ou la modification de 80 textes n'ayant pas encore été adoptés par le Conseil ou par le Parlement européen. C'est sur ce dernier aspect que les tensions autour de ce programme de travail se sont cristallisées au cours des dernières semaines.

Une telle démarche de simplification et d'efficacité doit bien sûr être encouragée. « Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires », affirmait Montesquieu, et les différentes Commissions européennes qui se sont succédé au cours des dernières années sont probablement tombées dans ce travers.

Ce « mieux légiférer » ne doit pas pour autant se transformer en un « moins légiférer » aveugle. Avant même la publication officielle du programme de travail, plusieurs ONG ont tiré la sonnette d'alarme sur le retrait de textes fortement emblématiques dans le domaine environnemental, relatifs à la qualité de l'air et à l'économie circulaire. J'ai saisi dès le 15 décembre le Vice-Président de la Commission européenne chargé des relations interinstitutionnelles, Frans Timmermans, afin de lui faire part de ma vive inquiétude à ce sujet, et j'ai parallèlement interpellé le Gouvernement lors de la séance de questions du 17 décembre dernier. Dans sa réponse, le Secrétaire d'État aux Affaires européennes a indiqué partager la démarche générale de la Commission européenne visant à « faire le tri dans un ensemble de directives et de projets de législation européenne qui, pour certains, ne correspondent plus aux priorités d'aujourd'hui ou sont enlisés depuis des années faute d'un accord suffisant entre les États membres », tout en rappelant que cet exercice ne doit pas se transformer en « un acte de renoncement ». Il a également indiqué que Mme Ségolène Royal, a adressé au président de la Commission européenne, avec d'autres ministres de l'environnement européens, une lettre l'informant que la France n'accepterait pas de renoncer à avancer sur ces sujets, et que lui-même avait réitéré cette demande lors de la réunion du Conseil des affaires générales du 16 décembre. M. Frans Timmermans a pour sa part répondu le 19 décembre à mon courrier, en précisant que la directive sur la réduction des émissions nationales de polluants ne serait pas retirée mais seulement modifiée, afin d'exploiter les synergies avec le paquet énergie-climat 2030, dont elle fera partie. Les deux autres textes du paquet « air pur » restent sur la table des négociations. En ce qui concerne le paquet « économie circulaire », il affirme dans ce courrier que « l'intention de retirer la proposition législative est motivée par le choix de la Commission de revenir avec un paquet plus ambitieux qui ne couvre pas exclusivement la gestion des déchets mais également les autres éléments du cercle de l'économie circulaire tels que la création d'un marché pour des matières premières après recyclage ». Si ces éléments de réponse vont plutôt dans le bon sens, notre commission doit rester extrêmement vigilante à l'évolution de ces textes.

Les sujets environnementaux ne sont pas les seuls concernés par cette simplification.

Ainsi, en l'absence d'accord au Conseil dans les six mois, la Commission européenne a annoncé le retrait et le remplacement de la directive sur le congé maternité par une nouvelle initiative. Sur un texte porteur de progrès sociaux importants pour les femmes, les États membres n'ont pas été capables depuis 2008 – date à laquelle cette proposition a été présentée – d'aboutir à un consensus. Cet échec est emblématique de la difficulté qu'il y a aujourd'hui à créer une Europe sociale, dès lors qu'il s'agit de sortir des incantations pour prendre des mesures très concrètes.

Enfin, ce rapport appelle également l'attention sur le retrait de la proposition concernant la réciprocité d'accès aux marchés publics, que la Commission européenne souhaite reformater. Il conviendra d'être attentif au sort réservé à ce texte porté par la France.

Surtout, il est nécessaire de s'interroger sur ce que veut dire politiquement ce « moins légiférer ». Prôner moins d'Europe, tout comme prôner moins d'État, conduit souvent à affaiblir ceux qui ont le plus besoin de protection et à affaiblir l'action commune au service des citoyens européens. Dans ce programme de travail, l'accent est mis sur la réduction des charges règlementaires pesant sur les entreprises, et je crains que cet équilibre ne se fasse au détriment de la protection de la santé des consommateurs, de la protection des travailleurs, de la protection de l'environnement.

Bien sûr, cela ne veut pas dire qu'il faut que l'Union européenne continue à intervenir dans le détail dans tous les aspects du marché intérieur – l'on a beaucoup raillé sous la législature précédente les propositions de la Commission européenne relatives à la taille des bouteilles d'huile d'olive ou à la création d'un label écologique pour les chasses d'eau. Oui, le principe de subsidiarité implique que l'Europe laisse les États membres légiférer pour ce qui peut se faire de manière plus pertinente au niveau national. Mais ayons le courage de dire que ce principe de subsidiarité implique également, dans le sens inverse, que les États membres acceptent de déléguer au niveau européen les actions qu'il serait bien plus efficace de mutualiser. Les champs où l'Union européenne aurait une immense valeur ajoutée et sont pourtant inexplorés restent nombreux, en matière sociale, dans le domaine de la recherche, en matière fiscale encore très largement du ressort des États, en matière de politique étrangère et de défense, comme l'a souvent souligné la commission des Affaires européennes.

Jean-Claude Juncker a prévenu que cette nouvelle Commission européenne serait « la Commission de la dernière chance ». Elle doit donc, dès 2015, répondre aux deux urgences majeures auxquelles elle doit faire face : l'urgence sociale d'un côté, l'urgence environnementale de l'autre. Pour y parvenir, seules des propositions ambitieuses pourront donner à l'Union européenne le « nouvel élan » que la Commission appelle de ses voeux.

En matière sociale, ce « nouvel élan » pourrait passer par la mise en place du principe d'un salaire minimum européen, différencié par pays, par la convergence des systèmes sociaux, y compris à travers des coopérations renforcées, ou encore par l'accroissement des moyens de l'Union européenne dédiés à la lutte contre la pauvreté.

En matière environnementale, 2015, année de la conférence de Paris sur le climat, sera une année décisive pour l'Union européenne. Cette conférence suppose en effet, pour réussir, que l'Europe soit exemplaire en matière de lutte contre le changement climatique.

Si le recul sur certains textes environnementaux est regrettable, je ne peux que me satisfaire du souhait de la Commission européenne d'adopter un « cadre stratégique pour l'Union de l'énergie », une idée portée par la commission des Affaires européennes depuis plusieurs années. Le programme de travail est assez peu explicite sur le détail des propositions qui seront faites en 2015, mais de nombreuses initiatives seront nécessaires afin de permettre le succès d'un tel projet. La Commission européenne a annoncé qu'elle ferait des propositions dans les prochaines semaines.

Au Parlement européen, le programme de travail a fait l'objet d'un intense débat lors de la session plénière du 15 janvier dernier. Lors de ce débat, les groupes politiques n'ont pas été en mesure de s'entendre sur une résolution commune, et aucune résolution n'a obtenu de majorité suffisante. Il n'y aura donc pas de position formelle du Parlement européen sur ce programme, bien que de nombreux députés européens aient formulé des inquiétudes qui rejoignent celles exposées dans le présent rapport.

Ce rapport revient plus en détail sur chacune des propositions formulées par la Commission européenne, mettant en exergue ici les progrès, ici les lacunes de ce programme. Il ne s'agit cependant pas de se prononcer dès maintenant sur des propositions sectorielles qui restent pour le moment très floues : ce sera le rôle des rapporteurs de notre commission tout au long de l'année, dans le cadre de l'examen de chacun de ces textes. Ce rapport et l'adoption d'une résolution européenne sur ce programme doit avant tout permettre, en éclairant les propositions contenues dans ce programme de travail, de réaffirmer les priorités stratégiques de l'Assemblée nationale pour l'année à venir en matière européenne.

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