Intervention de Fanny Dombre Coste

Réunion du 9 juillet 2014 à 16h15
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFanny Dombre Coste, rapporteure pour avis :

Deux jours après la sortie du rapport de la Fondation de France sur l'isolement, on mesure l'importance pour la cohésion sociale d'anticiper, d'un point de vue quantitatif mais aussi qualitatif, ce que l'on peut appeler une révolution de l'âge ou encore le papy-boom.

La France est engagée dans un processus de transition démographique inédit. L'augmentation de la durée de vie est une chance pour la société française, mais aussi un défi immense pour les générations à venir.

Les personnes âgées de 60 ans et plus, au nombre de 15 millions aujourd'hui, seront plus de 20 millions en 2030, et près de 24 millions en 2060, soit une personne sur trois. Parmi eux, le nombre des plus de 90 ans va quasiment quadrupler, passant de 1,5 million aujourd'hui à 5,5 millions en 2060.

Cette révolution de l'âge représente une formidable opportunité de développement économique : c'est le sens du lancement de la filière silver economy par Arnaud Montebourg et Michèle Delaunay en décembre 2013. On peut évoquer les objets connectés, la robotique, la domotique, autant de secteurs identifiés dans le cadre des trente-quatre plans pour une nouvelle France industrielle et qui représentent 300 000 emplois potentiels dans les années à venir. Mais cette révolution est aussi l'occasion d'adapter la ville, les transports, et bien sûr les logements aux personnes âgées. Au vu des chiffres cités, on mesure l'impact en termes d'activité et donc de croissance et d'emplois. Au Japon, par exemple, cette politique, anticipée il y a vingt ans, génère ente 0,3 et 0,5 point de croissance, contre 0,03 dans notre pays.

Au-delà de l'aspect économique, cette révolution de l'âge doit nous amener aussi à changer notre regard. Il s'agit de créer les conditions d'une société plus inclusive, qui anticipe la perte d'autonomie et qui adapte ses politiques publiques dans tous les champs de la société : mobilité, logement, accès aux soins, aménagement du territoire, vie associative, loisirs, cohésion sociale...

C'est tout l'intérêt de ce texte que de mettre en place un cadre pour une approche transversale des enjeux et des réponses à y apporter.

La commission des affaires économiques, au regard de ses compétences en matière de logement et d'urbanisme, s'est saisie pour avis des articles 11 à 16 du projet de loi, relatifs aux habitats collectifs pour personnes âgées et au programme local de l'habitat (PLH).

Avant d'aborder plus précisément ces points, je voudrais tout d'abord apporter une appréciation globale positive sur ce projet de loi.

Je salue la volonté affichée de décloisonnement des politiques publiques, condition indispensable pour apporter une réponse personnalisée à la question du vieillissement. Maintien à domicile ou hébergement collectif, accompagnement social et médical, vie associative, la réponse doit être globale. C'est par cette seule approche que nous pourrons répondre également à la question sociale et lutter contre l'exclusion et l'isolement.

Ce projet de loi d'orientation et de programmation repose sur trois piliers : l'anticipation de la perte d'autonomie, l'adaptation de la société au vieillissement, l'accompagnement de la perte d'autonomie.

Le titre premier du texte met en place une stratégie coordonnée entre acteurs locaux à travers la création d'une conférence des financeurs qui sera le lieu privilégié de programmation, de coordination et de financement des actions individuelles et collectives de prévention de la perte d'autonomie, y compris la lutte contre l'isolement à travers la formation et l'accompagnement des associations et des aidants dans le cadre du projet MONALISA.

Le titre II porte sur l'adaptation de la société au vieillissement. Il aborde plus particulièrement la question du logement, nous y reviendrons, mais également la mobilité et la vie associative, avec la création du volontariat civique senior.

Le titre III traite de l'accompagnement de la perte d'autonomie à travers la revalorisation de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), le renforcement de l'aide à domicile et l'allégement du reste à charge. Il s'intéresse également à la refondation des métiers de l'aide à domicile, la nécessaire qualification de ces métiers et leur formation, mais aussi au soutien aux aidants, avec la création très attendue du droit au répit, ainsi qu'à la refonte de la tarification des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD).

Le titre IV établit la gouvernance des politiques de l'autonomie à travers la création d'un Haut conseil de l'âge qui doit contribuer à l'élaboration de la politique globale de l'autonomie, le renforcement de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) qui assurera le financement de la prévention et l'affirmation du principe de coordination accrue entre les différents intervenants institutionnels sur les territoires.

Il importe de préciser que le projet de loi et le rapport annexé très complet, ont été co-construits avec l'ensemble des acteurs travaillant sur les questions du vieillissement.

J'en reviens à la partie du texte dont nous sommes saisis, les articles 11 à 16 qui concernent le logement.

La question de l'habitat est centrale pour les personnes âgées. De plus, il existe un lien étroit entre habitat et autonomie, car l'environnement matériel, quand il est inadapté, est facteur d'accélération du vieillissement.

Aujourd'hui, 90 % des Français préfèrent adapter leur logement plutôt que de le quitter. Seulement 20 % des plus de quatre-vingt-cinq ans seront concernés par une forte dépendance et auront recours à des établissements médicalisés.

L'objectif premier est de permettre le maintien à domicile le plus longtemps possible et, en conséquence, l'adaptation des logements privés. Cela concerne 75 % des seniors qui sont propriétaires de leurs logements, mais aussi les bailleurs sociaux qui devront adapter leur offre de logement.

Le Président de la République a fixé un objectif : l'État devra adapter 80 000 logements aux contraintes de l'âge et du handicap d'ici la fin du quinquennat.

Dans l'offre actuelle de logements destinés aux personnes âgées, les seniors n'ont le choix qu'entre trois types d'habitat : le logement traditionnel, souvent inadapté à la perte d'autonomie, les résidences médicalisées EHPAD, souvent onéreuses pour les résidents et les collectivités, et les résidences service dont les prix varient entre 1 500 et 5 000 euros par mois pour les plus haut de gamme.

Il y a là un enjeu de mixité sociale et donc de cohésion sociale. D'où l'intérêt de proposer une nouvelle offre destinée aux seniors, alliant prestation de services, préservation du lien social, mixité générationnelle et bâti de qualité.

La réponse à apporter ne peut en aucun cas être uniforme. La diversité de l'offre de logement est indispensable pour répondre à l'ensemble des besoins.

Outre l'objectif du maintien à domicile, le texte traite de la nécessité de développer une offre intermédiaire entre la maison de retraite médicalisée et le domicile.

L'article 11 refonde le statut juridique des logements-foyers pour personnes âgées, rebaptisés « résidences autonomie ». Il consacre leur vocation première de logement intermédiaire en limitant l'effectif de personnes âgées en perte d'autonomie, institue une mission de prévention et un socle minimum de prestations qui sera défini par décret et leur alloue pour le financer, le forfait autonomie.

L'article 12 harmonise les contrats de séjour conclus dans les résidences autonomie en mettant fin à la dualité existant entre le code de la construction et de l'habitation et celui de l'action sociale et des familles.

L'article 13 concerne l'évolution tarifaire des résidences autonomie conventionnées à l'aide personnalisée au logement et vise à lever une ambiguïté entre la part de l'hébergement et la part des prestations.

L'article 14 permet le recensement des logements-foyers et des centres d'hébergement et de réinsertion sociale possédés par les bailleurs sociaux dans le répertoire national des logements locatifs des bailleurs sociaux (RPLS).

L'article 15 réforme le fonctionnement des résidences services ayant le statut de copropriété, afin de garantir l'avenir de leur modèle économique et de mieux protéger leurs occupants.

Le modèle économique des résidences services de première génération ne peut être maintenu en l'État. Dans ces résidences qui mutualisent des prestations très complètes, dont les soins infirmiers et restauration, les charges sont très lourdes pour les propriétaires, que le logement soit occupé ou pas.

Le texte propose de distinguer les services non individualisables – accueil et service de garde 24 heures sur 24, animation – des services individualisables – restauration, soins infirmiers – afin que les charges soient réparties plus équitablement entre les copropriétaires. Pour éviter tout risque de conflit d'intérêts, le syndic ne pourra plus être prestataire des services individualisables ou non individualisables.

L'article 16 assigne un nouvel objectif au PLH qui devra programmer des objectifs de construction et de réhabilitation des logements et répondre aux besoins des personnes en situation de perte d'autonomie liées à l'âge ou au handicap.

Je compléterai mon propos en abordant deux points non traités par le texte, mais qui ont été soulignés à travers les différentes auditions que j'ai menées.

Entre les résidences autonomie et les résidences services, se développent aujourd'hui des projets d'habitat partagé ou regroupé avec le souci de la mixité intergénérationnelle et à coût social. Je pense à un projet porté par la Mutualité française à Montpellier, mais aussi au modèle plus connu des Béguinages ou encore des Babayagas. Ce modèle intéressant, même s'il reste une niche, doit être encouragé et juridiquement consolidé.

Le deuxième point concerne la pratique qui se développe d'intermédiation locative intergénérationnelle, portée par des associations comme le Pari Solidaire. Ce modèle, qui apporte à la fois une réponse à l'isolement et aux problèmes financiers pour nos anciens et nos jeunes, est amené à se développer, particulièrement dans les villes universitaires. Là encore, le cadre juridique est insuffisant et je déposerai des amendements pour le sécuriser.

Pour conclure, anticipation, adaptation et accompagnement assurent la cohérence de ce texte de la politique de l'âge. Cette politique s'appuiera sur la contribution additionnelle de solidarité pour l'autonomie (CASA) dont le montant est estimé à 645 millions d'euros par an dont 375 millions supplémentaires seront consacrés à l'APA.

C'est un texte ambitieux qui se concrétisera par étapes, un changement de paradigme, une autre vision qui nous est proposée du vieillissement, une réponse au défi de la révolution de l'âge au caractère universel dont le principe fondateur est l'égalité de tous les citoyens face au risque de la perte d'autonomie.

En ce sens, ce projet de loi d'adaptation de la société au vieillissement comporte une dimension éthique et sociétale majeure qui fera date, je n'en doute pas.

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