Intervention de Bernard Fontana

Réunion du 25 octobre 2016 à 18h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Bernard Fontana, CEO, AREVA NP :

Depuis le 1er juillet 2016, dans le cadre de la refondation de la filière nucléaire française, nous avons regroupé dans AREVA NP l'ensemble des activités civiles de chaudiériste nucléaire de la filière détenues par AREVA. Ainsi, AREVA NP conçoit et fabrique les composants les plus importants des centrales nucléaires, ceux qui font l'objet des exigences les plus élevées. Avec l'équipe de direction d'AREVA NP, nous avons considéré comme essentiel que cette refondation soit marquée par l'engagement des équipes d'AREVA NP à porter une vision et des valeurs. Notre vision est celle d'hommes, de femmes et de technologies performantes, au service de centrales nucléaires sûres et compétitives dans le monde. Nos valeurs sont la sûreté et la sécurité, qui sont nos priorités absolues, et aussi futur, performance, intégrité et passion. L'intégrité, pour nous, cela signifie démontrer, dans chacun de nos actes et de nos décisions, un engagement fort, une exemplarité dans le respect des valeurs et des exigences. L'intégrité implique notre engagement clair et non négociable à identifier et à traiter les écarts, à faire remonter les problèmes, à dire les choses et à les traiter. Elle signifie, pour chaque manager, de créer et favoriser cette transparence interne. C'est la condition pour maintenir la confiance de nos clients et des autorités de sûreté, confiance qui est fondamentale dans toute industrie, et encore plus dans la nôtre. Nous vivons aujourd'hui un test de nos valeurs, ce n'est pas toujours facile pour nos équipes, mais nous établissons un socle très solide sur lequel nous bâtissons AREVA NP.

La mise à jour de la réglementation relative aux équipements sous pression nucléaires a représenté un changement important dans la manière d'apporter des réponses aux exigences techniques qui ont toujours existées pour les équipements destinés aux chaudières nucléaires. Le niveau de preuve et les modalités de vérification ont été renforcés. Cela nécessite que l'industrie s'adapte. Areva NP s'est engagé dans cette adaptation avec EDF et a lancé un projet de mise à jour de son référentiel de conception et de fabrication, qui va jusqu'à la mise à jour du code utilisé par l'industrie. Ces évolutions nous amènent à réinterroger la conformité technique d'équipements déjà fabriqués. Ainsi, l'interprétation de l'arrêté ESPN implique-t-il à présent un contrôle de l'homogénéité des pièces fabriquée et la vérification des propriétés mécaniques dans toutes les zones, alors que dans la réglementation antérieure elles n'étaient vérifiées que sur des zones dites de recette.

Sur le projet Flamanville 3, la nouvelle réglementation ESPN a été mise en oeuvre par AREVA et EDF dès le lancement du projet, en 2005, de manière proactive par rapport à l'échéance de 2011, à partir de laquelle l'arrêté ESPN devenait obligatoire pour toute nouvelle fabrication. Dans le cadre de la vérification de la conformité de la cuve de Flamanville 3, AREVA a mis en évidence, dans une zone qui n'était pas une zone de recette au titre de la réglementation antérieure, des résultats de résilience inférieurs à la valeur requise par le nouvel arrêté, soit soixante joules en tous points. L'instruction a permis de mettre en évidence une ségrégation majeure positive résiduelle de carbone.

De quoi s'agit-il ? S'agissant d'acier au carbone, la présence de celui-ci n'est pas anormale. Dans le procédé de fabrication de la pièce, le refroidissement est un peu plus lent au centre du lingot, ce qui se traduit par une concentration un peu plus élevée en carbone, d'où des propriétés mécaniques un peu différentes. Cela ne signifie pas que la pièce ne soit pas apte au service. AREVA NP a donc proposé une méthode d'évaluation et de justification, basée sur un programme expérimental sur des calottes sacrificielles et des analyses mécaniques de tenue à la rupture brutale. Cette méthode a été examinée par deux groupes permanents d'experts. Le programme d'essai est sur le point de s'achever et le rapport final de synthèse, comportant l'ensemble des résultats et des analyses, sera émis fin novembre. À date, les résultats des essais sont conformes aux attentes de nos experts.

La prise en compte de la ségrégation dans la calotte et le fond de cuve de Flamanville 3 a conduit à lancer une analyse des autres composants potentiellement concernés. Cette analyse a été partagée avec l'ASN, au printemps 2015. Les autres pièces les plus susceptibles d'être concernées sont deux couvercles de cuves monoblocs, qui ont fait l'objet d'analyses détaillées. Celles-ci ont conclu, conformément à l'avis de nos experts, à l'absence de remise en cause de la tenue. Ces conclusions ont été soumises à l'ASN. Il s'agit aussi de certains fonds primaires de générateurs de vapeur fabriqués à partir de 1989. Ces fonds font l'objet de notes de justification et de campagnes de mesure de taux de carbone sur les générateurs de vapeur du parc EDF. Il faut aussi distinguer les fonds forgés dans l'usine AREVA NP du Creusot, pour lesquelles on a mesuré jusqu'à présent un excès limité en carbone, et ceux forgés chez un fournisseur japonais, pour lesquels les mesures ont mis en évidence une ségrégation de plus grande ampleur. C'est pourquoi EDF va engager, sous trois mois, avec l'aide des équipes d'AREVA NP, des mesures sur les générateurs de vapeur dotés de fonds issus de ce fournisseur japonais, qui n'ont pas encore été vérifiés. Les équipes d'AREVA NP sont évidemment pleinement mobilisées pour réaliser les mesures sur site, ainsi que pour conduire les analyses et justifications nécessaires.

J'aborde à présent un sujet de nature très différente de celui, technique, des ségrégations de carbone et de l'évolution de la réglementation : les anomalies d'assurance qualité au Creusot. Début 2015, des irrégularités ont été mises en évidence dans l'utilisation des machines d'essai de traction au laboratoire des usines AREVA du Creusot. Un audit qualité du Creusot a été décidé et confié à un organisme indépendant. Le rapport remis en septembre 2015 n'ayant pas formulé de conclusion sur la totalité du champ de l'audit, AREVA NP a décidé de prolonger la revue qualité, en lançant une deuxième phase, incluant une inspection des dossiers de fabrication, commandée au même organisme indépendant.

Cette inspection a mis en évidence, début 2016, des anomalies dans les dossiers qui sont les traces de pratiques inacceptables, ayant duré plusieurs décennies, dans l'application des règles d'assurance qualité. Il s'agit de la présence de plusieurs documents incohérents, pour un même essai concernant la même pièce, certains de ces documents étant signalés par des traits. L'audit qualité se consacre alors à l'examen de ces dossiers et documents identifiés par ces traits, dénommés par les équipes les « dossiers barrés ».

Des interviews des collaborateurs actuels et anciens de Creusot-Forge sont organisés, afin de confirmer et préciser l'existence de ces pratiques en écart avec les règles d'assurance qualité. Ces pratiques inacceptables concernent des omissions ou modification de valeurs chimiques ou mécaniques pour des pièces anciennes, mais aussi des composants fabriqués récemment, jusqu'en 2012, des défauts de traçabilité d'opérations de forge, des non conformités à des spécifications internes, non déclarées et non traitées.

Entrent dans le champs de ces pratiques deux cas de chutage insuffisant de lingots. L'un concerne la virole basse d'un générateur de vapeur de Fessenheim 2, et l'autre, toutefois dans des proportions moins importantes, la virole basse d'un générateur de vapeur de Flamanville 3. Il s'agit, dans beaucoup de cas, de manque de rigueur, mais, dans quelques cas, de manquements graves à la culture qualité, qui ont conduit à ne pas déclarer et traiter des écarts suivant les procédures applicables, par exemple en écrivant sur des documents de recette des valeurs différentes. Ces pratiques sont totalement inacceptables et incompatibles avec les valeurs d'AREVA NP.

Ce que nous faisons aujourd'hui consiste à traiter, en 2016, les écarts comme ils auraient dû l'être au moment de la fabrication. En avril 2016, le recensement des dossiers barrés a été effectué à partir de plus de neuf mille dossiers, nucléaires ou non, la forge travaillant aussi pour d'autres secteurs, situés dans les locaux du Creusot et dans les archives, afin d'en établir une liste. Quatre cent trente dossiers barrés sont identifiés, dont deux cent quatre-vingt-trois concernent des composants nucléaires. L'analyse et la caractérisation de ces dossiers a mis en évidence des écarts qui auraient dû être examinés à l'époque de la fabrication et que nous traitons donc aujourd'hui. Quatre-vingt-huit concernent des réacteurs en exploitation et dix-neuf le réacteur EPR de Flamanville 3. Il s'agit d'anomalies inacceptables, comme je l'ai dit. Mais les pièces présentent-elles des caractéristiques mécaniques les rendant aptes au service ? Toutes ces anomalies ont fait l'objet d'une évaluation, puis d'une justification qui a été soumise à l'ASN.

Le redémarrage des réacteurs concernés, après arrêt pour maintenance, a ainsi pu se faire à chaque fois, à l'exception de Fessenheim 2. Dans le cas de la virole basse d'un générateur de vapeur de Fessenheim 2, pour laquelle il s'agit d'un chutage insuffisant, nos experts estiment que les marges disponibles sont telles que les propriétés mécaniques permettent l'emploi de la pièce. Le dossier va être conforté par la réalisation d'essais chimiques et mécaniques dans des viroles représentatives, récemment coulées au Creusot. Le programme d'essai fait l'objet de discussions avec l'ASN et les résultats sont attendus pour la fin de l'année.

Nous avons donc examiné tous les dossiers barrés du Creusot. Mais est-ce suffisant ? En juillet 2016, nous avons procédé à un examen par sondage de dossiers de fabrication ne portant pas les fameuses barres sur la page de garde, dits non barrés. Ce sondage a mis en évidence des écarts similaires à ceux révélés lors de l'examen des dossiers barrés. AREVA NP a alors décidé l'extension de l'audit à la totalité des dossiers, en cours ou archivés par Creusot Forge. La méthodologie a été définie avec EDF et va être présentée à l'ASN. Il s'agit de réexaminer de l'ordre de six mille dossiers de composants nucléaires. Ceci va se dérouler durant toute l'année 2017, en donnant la priorité aux réacteurs en exploitation. Il faut être réaliste, nous nous attendons à trouver dans ces dossiers non barrés des pratiques du même type que celles identifiées dans les dossiers barrés. Nous sommes mobilisés pour traiter ces sujets en priorité et continuer à apporter les éléments d'évaluation et de justification de la tenue en service, comme nous l'avons fait pour les cas issus de dossiers barrés. L'audit a aussi été étendu aux usines de fabrication de Saint Marcel et de Jeumont. À cette date, aucun écart équivalent à ceux trouvés au Creusot n'a été identifié pour ces dernières. Par ailleurs, dans la mesure où nous avions initialement constaté des anomalies dans les essais de traction, nous refaisons près de quatre mille essais de traction pour nous assurer des valeurs.

Un plan d'action qualité des usines a été lancé, afin de tirer les leçons de ces découvertes et de renforcer la culture sûreté et qualité dans les usines. De manière réactive, dès le printemps 2016, des mesures ont été mises en oeuvre, notamment le renforcement de la traçabilité et la mise en place de doubles vérifications, avec une surveillance externe des activités du site du Creusot. Comme vous pouvez le constater, il s'agit d'un travail considérable, réalisé avec détermination et méthode par les équipes d'AREVA NP. Je souhaite saluer leur engagement et leur mobilisation. C'est un travail de mise en lumière systématique qui a lieu. Je suis conscient des possibles développements judiciaires de ces dossiers. Nous travaillons aux options de nature à préserver les intérêts de la société et des parties prenantes. Tout ce que nous faisons, nous le faisons en pleine coopération avec EDF et l'ASN.

Tout ceci ne doit pas nous faire oublier, et je le dis d'autant plus facilement que je n'ai rejoint AREVA NP que depuis une semaine, après trente années passées dans l'industrie, qu'AREVA NP dispose en Bourgogne de plateformes de production dotées de technologies exceptionnelles, au niveau mondial. Je n'ai aucun doute sur notre capacité, avec les personnels d'AREVA NP, à relever les défis auxquels nous faisons face.

En conclusion, suite à la mise en évidence, au sein de Creusot Forge, d'écarts tout à fait inacceptables aux règles d'assurance qualité, et ce pendant plusieurs décennies, les actions lancées par AREVA NP visent, en premier lieu, à purger le passé. AREVA NP est engagé et mobilisé pour aller jusqu'au bout de l'audit, identifier et traiter tous les écarts du passé. Ceci se traduit par le plan d'action exposé précédemment, et la mobilisation de ressources considérables nécessaires pour le mener à bien. En deuxième lieu, ces actions visent à tirer les conséquences de toutes ces pratiques inacceptables, en troisième lieu, à garantir que le recours à des pratiques en écart est impossible aujourd'hui et, en quatrième lieu, à préparer l'avenir de l'usine du Creusot, en engageant des actions de court, moyen et long terme, permettant de renforcer la maîtrise technique, la capabilité des procédés, l'assurance qualité et la culture de sûreté et de qualité. Un programme spécifique a par ailleurs été lancé, afin de réaliser des pièces maîtrisant la ségrégation en carbone. Il s'agit, enfin, de tirer les leçons en matière de procédures de surveillance et d'alerte, à tous les stades de la fabrication.

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