Intervention de Rémy Catteau

Réunion du 25 octobre 2016 à 18h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Rémy Catteau, directeur des équipements sous pression, ASN :

Je vais donc détailler chacun des trois embranchements mentionnés par M. Pierre-Franck Chevet, en commençant par la cuve de l'EPR de Flamanville. Vous connaissez l'anomalie affectant cette cuve : un excès de carbone au centre du couvercle et du fond de cuve. L'ASN a accepté, fin 2015, la démarche de justification proposée par AREVA. Cette démarche repose sur un programme d'essais mécaniques sur des composants représentatifs. Comme vous l'a dit AREVA, ces essais sont en cours. AREVA compte nous remettre son dossier fin 2016. Aujourd'hui, ce qu'on peut dire en attendant la fin de ces essais, c'est que l'instruction de l'ASN et de l'IRSN durera au moins six mois sur ce dossier.

Le deuxième embranchement concerne le retour d'expérience que M. Pierre-Franck Chevet a qualifié de technique. Est-ce qu'il est possible, sur le parc en fonctionnement d'EDF, de retrouver la même anomalie, c'est-à-dire un excès de carbone ? Pour avoir la réponse à cette question, l'ASN a demandé à EDF et AREVA de passer en revue de manière systématique l'ensemble des gros composants des réacteurs d'EDF. Cela a conduit à une revue systématique, qui a identifié certains composants comme plus sensibles, en particulier les fonds primaires de générateurs de vapeur.

Un générateur de vapeur est un échangeur de chaleur entre les circuits primaire et secondaire. Le fond primaire est situé tout en bas de ce gros composant qui fait environ vingt mètres de haut et quatre mètres de diamètre. Sur ces fonds primaires de générateurs de vapeur, les contrôles ont permis de confirmer la présence d'une concentration en carbone élevée. Sur les fonds primaires fabriqués par le forgeron japonais JCFC, cet excès de carbone est encore plus intense. Cela a conduit l'ASN à demander à EDF de procéder à des contrôles sur chacun des douze réacteurs concernés.

Ces contrôles ont été réalisés ou sont en cours sur sept réacteurs, à l'occasion des arrêts programmés pour rechargement de combustibles. Les résultats de ces contrôles ont conduit l'ASN à demander que le contrôle des cinq réacteurs restant soit avancé, en particulier sans attendre leur arrêt programmé. L'ASN a prescrit à EDF, par décision du 18 octobre 2016, la réalisation sous trois mois de ces contrôles. L'idée est de vérifier que chacun des fonds primaires concernés rentre bien dans les hypothèses du dossier générique remis par EDF, justifiant leur acceptabilité. L'instruction de ce dossier prendra au minimum quelques semaines, voire davantage et conditionnera le redémarrage de chacun des réacteurs.

Je passe maintenant au troisième embranchement, les irrégularités au sein de Creusot Forge. En 2015, l'ASN a fait le constat de nombreux écarts dans les fabrications issues de Creusot Forge. En fait, ces nombreux écarts se sont déroulés essentiellement entre 2012 et 2015. L'anomalie de la cuve de l'EPR était pour nous l'écart de trop qui a conduit l'ASN à demander à AREVA de lancer un examen approfondi des pratiques passées. Cela s'est traduit par un audit réalisé par AREVA en 2015. Cet audit a été considéré comme insuffisant par l'ASN.

En 2016, AREVA a donc relancé des actions d'audit qui ont mis en évidence, en avril 2016, des dossiers barrés. La double barre en marge de ces dossiers indique des écarts restés au sein de Creusot Forge, qui n'ont été transmis ni à EDF, ni à l'autorité de sûreté. Une fois ces dossiers barrés détectés, la tâche d'AREVA a été relativement simplifiée, puisqu'il s'agissait de trouver chacun des dossiers barrés dans les archives. C'est un travail conséquent, mais il suffisait de chercher les doubles barres. En juillet, à la suite d'une demande de l'ASN et aux investigations d'AREVA, ont été mises en évidence des irrégularités dans des dossiers qui ne sont pas barrés. Dans ce cas, le travail est tout autre. Il ne s'agit plus de chercher les doubles barres, mais d'étudier l'ensemble des dossiers, ce à quoi AREVA a commencé à procéder à partir de septembre.

L'ASN a qualifié ces irrégularités de pratiques inacceptables. Elles concernent la plupart des équipements sous pression, les plus importants pour la sûreté dans un réacteur nucléaire. En France, seul EDF est concerné, en tant qu'exploitant d'installations nucléaires de base (INB). Je passe rapidement sur les chiffres qui vous ont déjà été signalés. Je tiens juste à signaler que parmi la centaine de cas détectés la criticité est très variable. Certains ne révèlent aucun écart, contrairement à d'autres, comme celui de Fessenheim 2, qui a conduit l'ASN à suspendre l'autorisation du générateur de vapeur, délivrée en 2012. Au cours du forgeage d'une partie de ce générateur de vapeur, la virole basse, partie externe du générateur de vapeur, les règles de l'art imposant de couper une partie du lingot d'acier dont celle-ci est issue n'ont pas été respectées. Cette partie est destinée à recueillir des impuretés. Ce procédé courant, bien connu dans le monde du forgeage, n'est pas propre au nucléaire. De ce fait des éléments indésirables se retrouvent dans la pièce finale. Cela a des conséquences sur la sûreté potentiellement majeures. C'est la raison pour laquelle l'ASN a suspendu l'autorisation du générateur de vapeur concerné. Une fiche d'écart qualité précise qu'il n'est pas possible de couper le lingot parce que la longueur de la virole est trop courte et que la solution adoptée consiste à poursuivre la fabrication.

Deuxième exemple, le générateur de vapeur de Flamanville 3 : là aussi une étape de forgeage n'a pas été réalisée, un chutage n'a pas été fait. Alors qu'il fallait couper vingt-deux pour cent de la pièce, dix pour cent de celle-ci a été chuté. Or, les dossiers remis à l'ASN jusqu'en juillet 2016 ne montraient aucun problème. Ainsi, un extrait du dossier indique que le chutage a été effectué à hauteur de vingt-trois pour cent.

Un dernier exemple porte sur le générateur de vapeur destiné à Gravelines 5. AREVA procède, de façon très classique, à des essais mécaniques dans des échantillons, pour vérifier les bonnes propriétés des matériaux produits par Creusot Forge. Ces essais font l'objet de procès-verbaux indiquant les valeurs obtenues. Le procès-verbal dans les archives de Creusot Forge indique des résiliences de quarante-deux, quarante-deux et cent soixante-cinq joules, alors que dans le dossier remis à l'ASN sont indiquées des valeurs de quatre-vingt-dix-huit, cent vingt et cent soixante-cinq joules. Je tiens à préciser que le requis réglementaire étant de soixante joules, le dossier interne d'AREVA montre des valeurs inférieures à celui-ci, alors que le dossier envoyé à l'ASN passe l'exigence.

Je terminerai sur les actions de l'ASN. Tout d'abord, l'ASN s'assure que tout le retour d'expérience de la cuve de l'EPR de Flamanville 3 est bien tiré. Vous avez vu que de nombreux embranchements existent, l'ASN a systématiquement poussé EDF et AREVA à les explorer. L'ASN contrôle l'ensemble des actions qui découlent de ces questions. Depuis début 2016, l'ASN a ainsi réalisé des inspections correspondant à cinquante hommes jours. Par ailleurs, l'ASN instruit, avec l'appui de l'IRSN, et prend position sur chacune des irrégularités détectées au Creusot. Nous donnons la priorité à celles qui ont le plus d'enjeux pour la sûreté, en particulier les irrégularités détectées sur le parc en fonctionnement, avant de traiter celles sur le réacteur de Flamanville 3. L'ASN prend position sur les fonds primaires. Avant chaque démarrage de réacteur l'ASN informe le public, conformément à sa mission d'information dans le cadre de la transparence dans le domaine nucléaire. Pour ne citer qu'un chiffre, l'ASN a publié, depuis 2015, dix-sept notes d'information sur tous ces sujets. Cela correspond à peu près, pour l'ASN, à une dizaine de personnes mobilisées à plein temps sur ces sujets.

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