Intervention de Didier Migaud

Réunion du 12 avril 2017 à 10h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Didier Migaud, président du Haut Conseil des finances publiques :

Je vous remercie d'avoir bien voulu m'inviter, en tant que président du Haut Conseil des finances publiques, pour présenter les principales conclusions de l'avis que nous venons d'adopter sur les prévisions macroéconomiques associées au projet de programme de stabilité pour les années 2017 à 2020. Je suis accompagné de trois membres du secrétariat permanent du Haut Conseil : François Monier, rapporteur général, Vianney Bourquard, rapporteur général adjoint, et Vladimir Borgy, rapporteur.

C'est la cinquième fois que le Haut Conseil est appelé à se prononcer sur le programme de stabilité. En 2013, il y a quatre ans, presque jour pour jour, je présentais devant votre commission le tout premier avis du Haut Conseil. Il portait sur le programme de stabilité pour la période de 2013 à 2017.

Il est inutile d'insister sur le contexte particulier de cette année : celui d'une fin de mandature et d'un programme de stabilité qui sera transmis aux autorités européennes, la Commission et le Conseil, à la fin du mois d'avril, entre les deux tours de l'élection présidentielle. Dans ce contexte, le Haut Conseil a souhaité rassembler dans cet avis certains messages tirés de son expérience. Ces enseignements pourront, je l'espère, être utiles à la préparation du prochain projet de loi de programmation des finances publiques.

Autre remarque liminaire : comme vous le savez, notre avis, pris en application de l'article 17 de la loi organique du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, porte sur les prévisions macroéconomiques sous-jacentes à la trajectoire de finances publiques jusqu'en 2020. Toutefois, le Haut Conseil, s'il se prononce sur les prévisions macroéconomiques, doit tenir compte des éléments relatifs aux finances publiques qui ont un impact sur la macroéconomie.

Avant d'en venir aux observations du Haut Conseil sur les prévisions du Gouvernement dont nous avons été saisis le mardi 4 avril dernier, je souhaite revenir brièvement sur le contexte macroéconomique actuel.

Je rappelle à cet égard que le Haut Conseil ne produit pas lui-même de prévisions. Nous nous appuyons sur celles d'un ensemble d'organismes comprenant la Commission européenne, le Fonds monétaire international (FMI), l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ainsi que de nombreuses institutions ou instituts de prévision nationaux – l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), la Banque de France, le Centre d'observations économiques et de recherches pour l'expansion de l'économie et le développement des entreprises (COE-Rexecode) ou encore l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).

S'agissant du contexte macroéconomique donc, le Haut Conseil constate un environnement économique mondial et européen plus favorable.

Nous observons en effet, tout d'abord, un regain de vigueur de l'économie mondiale. Les États-Unis accélèrent après une année 2016 en retrait. La croissance chinoise se stabilise. La Russie se redresse. Le Brésil sort de la récession. Pour sa part, le commerce mondial reprend depuis la fin de 2016.

L'environnement mondial s'annonce donc plus favorable pour la zone euro et pour la France. La croissance européenne, alimentée dans un premier temps par des facteurs extérieurs et s'inscrivant dans le cadre de politiques budgétaires globalement moins restrictives, est devenue plus solide à mesure qu'elle s'est étendue à l'ensemble des composantes de la demande et qu'elle entraîne d'importantes créations d'emplois. C'est le sens des graphiques projetés, notamment sur la demande intérieure en France et dans la zone euro, ainsi que sur le climat des affaires et la confiance des ménages dans la zone euro.

Le Haut Conseil estime toutefois que cette reprise reste soumise à des aléas importants.

Il y a d'abord les incertitudes liées aux échéances électorales en France et en Allemagne. Nous pensons aussi bien sûr aux aléas liés à l'économie américaine : augmentation de l'inflation, rythme de remontée des taux d'intérêt, impact d'éventuelles mesures protectionnistes notamment. Nous pensons enfin à d'autres risques : les déséquilibres internes de l'économie chinoise ; la mise en place effective du Brexit ; mais aussi les risques financiers toujours présents dans certains pays émergents et de la zone euro. Notre avis en relève plusieurs.

S'agissant de la France, les perspectives se sont améliorées. Mais une interrogation subsiste sur la capacité de notre économie à répondre à l'augmentation de la demande.

La France a connu une reprise de sa demande intérieure comparable à celle de la zone euro en 2015 et 2016. Mais la croissance de notre produit intérieur brut (PIB) a été moindre que celle de nos voisins européens, surtout en 2016. Cette croissance plus modérée provient principalement de la contribution fortement négative du commerce extérieur à la croissance.

Cette évolution fortement négative du commerce extérieur en 2016 est due pour moitié à des facteurs exceptionnels identifiés – chute de la production agricole, recul de la fréquentation touristique. Mais la question se pose toujours de la capacité de l'appareil productif français à tirer avantage de l'augmentation de la demande, nationale et étrangère. Le Haut Conseil relève à cet égard que la compétitivité de l'économie française reste fragile.

J'en arrive désormais aux observations du Haut Conseil pour l'année 2017. J'évoquerai tout d'abord la croissance de l'activité, puis l'emploi et la masse salariale, enfin les prix à la consommation.

Pour la croissance, la prévision du Gouvernement s'élève à 1,5 % pour cette année. Cette prévision est inchangée par rapport à celle associée à la loi de finances pour 2017. Le Haut Conseil souligne qu'elle est légèrement supérieure à la plupart des prévisions disponibles. En effet, les organisations internationales s'accordent à prévoir pour la France une croissance de 1,4 %. Tel a été le cas de la Commission européenne en février dernier, de l'OCDE en mars ou du FMI en avril.

Malgré certaines données d'activité de l'économie française un peu décevantes en janvier et février – avec quelques mauvais indicateurs, notamment quant à la production industrielle et au commerce extérieur – le Haut Conseil considère que la prévision du Gouvernement reste plausible au regard des enquêtes de conjoncture favorables et de l'amélioration de la croissance mondiale, même s'il existe un risque que le premier trimestre soit moins bon qu'espéré.

Le Haut Conseil juge également plausibles les prévisions d'augmentation de l'emploi salarié (+ 170 000) et de masse salariale privée (+ 2,8 %) pour 2017, même si, là aussi, la prévision est légèrement supérieure à d'autres estimations.

Enfin, s'agissant des prix à la consommation pour 2017, le Haut Conseil estime que la prévision d'inflation du Gouvernement à 1,2 % est raisonnable. Elle se situe dans le bas de la fourchette du consensus de mars 2017, qui est de 1,4 %.

Le Gouvernement a relevé sa prévision de hausse des prix à la consommation pour 2017 à 1,2 % en moyenne annuelle, contre 0,8 % en septembre dernier dans les hypothèses associées au projet de loi de finances (PLF) pour 2017. Le glissement annuel des prix à la consommation s'est en effet redressé, au cours des derniers mois, avec le retour à une contribution positive des prix pétroliers. La prévision du Gouvernement est en ligne avec celle de l'INSEE pour le premier semestre.

J'en viens aux prévisions pour les années 2018 à 2020.

Le Haut Conseil note la révision à la baisse des hypothèses de croissance du PIB et d'inflation dans la prévision du Gouvernement. Cette révision à la baisse va dans le sens des observations formulées dans notre avis sur le programme de stabilité d'avril 2016 puisque nous avions jugé ces hypothèses optimistes.

Le Haut Conseil estime que ce scénario de croissance du PIB et d'inflation retenu pour les années 2018 à 2020 est plus prudent. Il peut constituer une base raisonnable pour la programmation des finances publiques, donc la construction de trajectoires de finances publiques.

J'en viens enfin au quatrième et dernier point que je souhaitais vous présenter, celui des enseignements tirés par le Haut Conseil sur les hypothèses d'écart de production et de croissance potentielle.

Le Haut Conseil relève, comme dans ses avis précédents, que la croissance potentielle retenue dans le programme de stabilité est nettement supérieure aux estimations des organisations internationales et de la Commission européenne.

S'agissant de l'écart de production qui, je le rappelle, correspond à l'écart entre le PIB effectif et le PIB potentiel, il est estimé par le Gouvernement à –3,1 % pour l'année 2016 dans son présent programme de stabilité. Il est inchangé par rapport au programme de l'année dernière.

Cet écart de production est nettement plus creusé que celui évalué par la Commission européenne et par le FMI – respectivement –1,3 % et –1,8 %. Pour le Gouvernement, cet écart resterait très important pour l'ensemble de la période 2017-2020.

Un écart de production aussi creusé est censé traduire une sous-utilisation significative des facteurs de production. Cette hypothèse est peu compatible avec le niveau, proche de sa moyenne historique, du taux d'utilisation des capacités de production dans l'industrie observé au cours des derniers trimestres.

Cette surestimation vraisemblable de l'écart de production induit un biais dans la décomposition du déficit public entre sa composante conjoncturelle et sa composante structurelle, en minorant cette dernière.

Le Haut Conseil insiste une nouvelle fois sur le caractère peu vraisemblable des estimations d'écart de production et de croissance potentielle présentées par le Gouvernement. L'évaluation d'un écart de production très important conduit à minorer l'effort à réaliser pour rééquilibrer les finances publiques.

Pour illustrer ce point, le Gouvernement estime que le déficit structurel est limité à 1,5 point de PIB en 2016, alors que l'estimation de la Commission est supérieure d'un point – soit 2,5 points de PIB. Un effort structurel d'environ 0,5 point par an permettrait un retour à l'équilibre en trois ans si l'on retient l'estimation du Gouvernement, mais il faudrait cinq ans en partant de celle de la Commission.

J'ajoute que, pour le Haut Conseil, des risques importants pèsent sur la réalisation des objectifs de déficit public, structurel et effectif, pour 2017. À cet égard, les dernières informations budgétaires et mesures communiquées par les administrations ne modifient pas l'appréciation critique formulée par le Haut Conseil dans son avis de septembre dernier sur la prévision de déficit public pour 2017.

Au-delà, le Haut Conseil a souhaité souligner les problèmes de cohérence posés par les estimations d'écart de production et de croissance potentielle.

Je rappelle que les hypothèses retenues dans la loi de programmation de décembre 2014 pour l'écart de production et la croissance potentielle étaient à l'époque en phase avec celles de la Commission européenne. Mais la Commission les a révisées à la baisse à plusieurs reprises alors que le Gouvernement français a non seulement conservé son estimation d'écart de production pour 2014, mais encore relevé ses hypothèses de croissance potentielle pour les années 2016 et suivantes dans le programme de stabilité présenté en avril 2015, moins de quatre mois après la promulgation de la loi de programmation.

Il en a résulté très vite une divergence entre les estimations d'écart de production de l'administration française et celles de la Commission. Cette divergence n'a cessé de s'aggraver.

Ces évolutions conduisent aujourd'hui à un écart de production peu vraisemblable et à une incohérence entre cet écart et le scénario de croissance, plus réaliste, retenu par le Gouvernement. Les deux exercices d'estimation du PIB potentiel et de construction de prévisions à moyen terme sont de ce fait déconnectés, alors même qu'ils devraient être intimement liés.

Voilà pourquoi le Haut Conseil estime indispensable que la prochaine loi de programmation corrige ces estimations et fixe sur des bases réalistes les hypothèses d'écart de production et de croissance potentielle. Les estimations initiales de la loi de programmation doivent être fixées à des niveaux assurant la cohérence interne du scénario macroéconomique et doivent tenir compte des estimations réalisées par les institutions et organismes extérieurs. Ces hypothèses doivent pouvoir être adaptées entre deux lois de programmation si nécessaire.

Enfin, compte tenu de l'instabilité de la mesure de l'écart de production, et donc de l'estimation du solde structurel, le Haut Conseil suggère que l'appréciation des finances publiques prenne également en compte d'autres indicateurs reflétant mieux l'orientation de la politique budgétaire, comme l'effort structurel. C'est un point dont nous avons discuté l'an dernier au moment de notre avis sur le projet de loi de règlement pour 2015 – je sais qu'un certain nombre d'entre vous mènent également une réflexion à ce sujet.

Nous notions que les données de solde structurel étaient soumises à des révisions fréquentes et significatives, pouvant résulter de facteurs autres que la stricte orientation de la politique budgétaire, reflétant notamment des révisions du PIB sur les années passées ainsi que des variations de l'élasticité des recettes à la croissance. Pour cette raison, le Haut Conseil a suggéré d'élargir son analyse à d'autres indicateurs.

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