Intervention de Marie-Ophélie Latil

Réunion du 7 mars 2017 à 17h00
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Marie-Ophélie Latil, fondatrice du collectif féministe Georgette Sand :

Madame la présidente, je vous remercie d'avoir invité Georgette Sand à prendre part à ce colloque. Nous faisons partie de ce qui constitue effectivement une véritable constellation d'associations et de collectifs féministes – il s'en crée actuellement environ un par jour.

Constitué en 2014, le collectif Georgette Sand était initialement sous-titré : « Faut-il s'appeler George pour être prise au sérieux ? ». Nous avions effectivement constaté que, même au sein d'une école aussi prestigieuse que Science Po, par exemple, il n'était pas rare que George Sand soit plus connue pour ses amours romantiques avec Chopin et Musset que pour les nombreux ouvrages qu'elle avait elle-même publiés et pour les deux journaux politiques qu'elle avait créés. Très peu de gens savent, par ailleurs, que lorsque Gambetta a fui Paris au moment de la Commune, il l'a fait à bord d'un ballon portant le nom de George Sand, ce qui montre l'importance et la notoriété qu'elle avait de son vivant.

S'il est frappant de constater que cette femme a dû, de son temps, singer les codes de la masculinité, en prenant un nom et un costume d'homme, pour être prise au sérieux, il est tout aussi frappant de voir que, de nos jours, être un homme, le plus viril possible, constitue un gage de sérieux, tandis que la femme est condamnée à rester une petite chose mignonne qui gambade aux alentours, pour le plaisir des yeux. Nous regrettons que la publicité et les médias s'en tiennent, aujourd'hui encore, à cette image de la femme. La majorité des femmes intervenant dans les médias le font au titre de victimes ou de témoins, rarement d'expertes, et elles ont intériorisé cette représentation, puisqu'elles se présentent elles-mêmes par leur prénom plutôt que d'indiquer, ou d'exiger que l'on indique en s'adressant à elles, également leur nom de famille.

L'idée qui a présidé à la création de notre collectif est donc la suivante : au XXIe siècle, il n'est plus nécessaire d'être un homme pour être pris au sérieux. Nous avons choisi de nous constituer en collectif plutôt qu'en association, ce qui nous permet de ne pas avoir de structure juridique, de conseil d'administration, d'assemblée générale ou encore de budget. Pour travailler, nous nous réunissons au domicile de l'une d'entre nous et, partant d'un sujet sur lequel nous avons repéré un article intéressant, par exemple, nous approfondissons ce sujet en menant une discussion.

Nous avons ainsi travaillé sur des questions très diverses, notamment celle des stéréotypes, consistant à se demander s'il y a vraiment d'un côté les hommes, de l'autre les femmes, traditionnellement gentilles et dotées d'une grande capacité d'écoute.

Constatant que les insultes sont souvent à caractère sexiste, nous avons lancé sur internet un concours d'insultes qui ne seraient pas fondées sur cette caractéristique.

Nous organisons également des débats mouvants, tel celui qui aura lieu ce soir sur le thème de la libération de la prise de parole féminine.

Nous avons mené une campagne sur les hommes dans le féminisme, car notre collectif est mixte – même s'il comprend actuellement moins de garçons – et se revendique comme tel, ce qui constitue à nos yeux une avancée par rapport au féminisme de la génération précédente. Nous partons en effet du principe qu'il ne saurait y avoir de révolution si seulement 51 % de la population veut s'engager en faveur d'une égalité réelle entre les droits des femmes et ceux des hommes.

Deux campagnes ont joué un rôle particulier dans la médiatisation de notre cause : celles consacrées à la « taxe tampon » et à la « taxe rose ». Concernant cette dernière, tout est parti de la lecture d'un article paru aux États-Unis sur la différenciation des prix des articles vendus dans le commerce, selon qu'ils sont destinés aux hommes ou aux femmes. Nous nous sommes rendues au Monoprix, où nous avons photographié des rasoirs et des déodorants, mettant ainsi en évidence des différences de prix – ce qui est d'autant plus aberrant que les femmes sont moins bien payées que les hommes ! Sur un mode collaboratif, notre alerte a donné lieu à des centaines de signalements, y compris à l'étranger. La secrétaire d'État chargée des droits des femmes nous a appelées, Le Parisien nous a consacré sa une et, un beau jour, nous nous sommes même retrouvées à la une du New York Times !

Peu de temps après, des femmes se sont mises à manifester en Argentine pour une « mutuelle sans utérus », c'est-à-dire contre le fait que, pour bénéficier du même tarif de mutuelle que les hommes, les femmes devaient signer une déclaration par laquelle elles renonçaient expressément à la prise en charge des frais d'obstétrique – gynécologie et maternité. Alors que notre téléphone n'arrêtait pas de sonner, nous avons compris que nous avions déclenché un phénomène que nous ne contrôlions plus. À partir de ce moment, nous avons été contactées par des femmes de tous horizons et avons même dû recruter des Georgette interprètes afin de pouvoir communiquer avec ces femmes de Pologne, de Chine, du Congo ou du Sénégal.

Nous nous félicitons de cette ouverture qui fait que, globalement, notre combat s'étend au-delà des droits économiques ou relatifs à la santé des femmes pour porter sur d'autres sujets tels que la polygamie, par exemple. Les différents collectifs féministes ne travaillent pas en concurrence, mais en complémentarité. C'est ce qui fait toute leur beauté et leur richesse, et c'est également ce qui fait que l'on ne saurait nous reprocher de travailler uniquement sur la taxation des tampons, des coupes menstruelles et des serviettes hygiéniques, alors qu'il y a évidemment des thèmes plus graves.

Il faut reconnaître qu'il existe aujourd'hui plusieurs formes de féminismes, notamment celui véhiculé par Beyoncé, qui donne lieu à de vrais débats au sein des mouvements féministes, au même titre que le voile ou la prostitution. Beyoncé est une artiste qui, tout en arpentant la scène en culotte, reprend, dans sa chanson Flawless, la définition que donne l'écrivaine nigériane Chimamanda Ngozi Adichie du féminisme : « Féministe : une personne qui croit en l'égalité des sexes au niveau social, économique et politique ». On peut en penser ce qu'on veut, notamment qu'une telle conception du féminisme est fortement marquée par les impératifs du marketing, mais le fait est que, grâce à Beyoncé, de très nombreuses personnes se revendiquent aujourd'hui féministes. Je le répète, c'est toute la beauté, mais aussi l'efficacité, de la nébuleuse de collectifs féministes que de s'intéresser à tant de sujets différents et d'apporter une telle diversité de points de vue, sans que, pris individuellement, aucun de ces collectifs prétende défendre l'intégralité de la cause féministe et encore moins sauver les femmes. La contribution de Georgette Sand à cette oeuvre collective consiste à se demander comment faire pour que les femmes soient prises au sérieux. (Applaudissements.)

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