Intervention de Ketsia Mutombo

Réunion du 7 mars 2017 à 17h00
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Ketsia Mutombo, membre et cofondatrice du collectif Féministes contre le cyberharcèlement :

Ma présence aujourd'hui, comme personne issue de la société civile, a effectivement été rendue possible par une mobilisation en ligne contre le cyberharcèlement : en premier lieu, le cyberharcèlement à caractère sexuel ; désormais, plus largement, les cyberviolences.

Comme Paye ta shnek, nous nous déployons majoritairement dans l'espace numérique immatériel, où, à l'instar d'Anaïs, qui a donné de la substance à la notion de harcèlement de rue, nous avons pu donner de la substance à la notion de cyberharcèlement – deux phénomènes malveillants que beaucoup de personnes s'acharnaient à dire inexistants. Notre lutte, comme l'a dit Mme Coutelle, a été facilitée par le fondement légal que nous a apporté son amendement à la loi pour une République numérique, en 2016.

On pourrait définir le cyberharcèlement comme une persécution menée à plusieurs ou seul, via les outils numériques et les nouvelles voies de communication, contre un individu, souvent une femme – car il s'agit d'une violence genrée –, dans le but d'atteindre son intégrité morale et physique. Il fait plus largement partie des cyberviolences, qui sont, dans une optique féministe, la continuation, par des canaux modernes de communication et par des outils numériques, des injonctions et violences faites aux femmes.

Le cyberharcèlement a la particularité de réinitialiser tout ce que l'on savait du harcèlement en matière de temps et d'espace : il peut être mené en continu par des centaines de personnes et, en quelques heures, la victime peut devenir une personnalité publique, avec tout ce que cela implique. Cette perte forcée de l'anonymat et du pseudonymat entraîne une mise en danger, une vulnérabilisation, et surtout une surveillance de la personne : de ses déplacements, de ses propos, de son lieu de travail, parfois de son lieu d'habitation.

Ce savoir assez inédit et très peu théorisé, nous l'avons obtenu par l'intelligence collective. Au départ, nous étions une trentaine de jeunes femmes – c'est très important pour la suite. L'intelligence collective, c'est un travail d'équipe dans lequel chaque contributrice apporte un labeur et un savoir situé. Il diffère du simple travail collectif par la relation entre les membres. L'intelligence collective permet le respect mutuel de nos expériences, la priorisation des victimes d'une oppression dans la prise de parole et la dénonciation de cette oppression, et surtout la création d'un savoir dynamique. C'est en ces sens que nous exhortons les associations, organismes et institutions bien installés à collaborer avec nous, jeunes féministes et jeune association, et à nous accorder les moyens et la crédibilité nous permettant d'échanger avec eux d'égal à égal. Nous remercions le Centre régional d'information et de prévention du sida (CRIPS) d'Île-de-France, le HCEfh et le Planning familial, entre autres, qui s'orientent vers cette voie.

Nous agissons selon une démarche d'innovation sociale. L'innovation sociale, c'est l'élaboration de réponses nouvelles à des besoins sociaux nouveaux, impliquant la participation et la coopération des personnes concernées par ces nouvelles problématiques. C'est dans cette optique que nous nous réclamons du féminisme intersectionnel. Car il existe des femmes aux parcours différents, qui subissent des violences différentes, et confrontées à des injonctions différentes.

Notre collectif est majoritairement constitué de femmes afrodescendantes ; en ce sens, nous nous affirmons féministes décoloniales, c'est-à-dire que nous voulons la fin des représentations coloniales qui semblent encore nous entourer et, dans les faits, nous étouffent. Il y a encore des difficultés, dans notre contexte national, à parler de ce pan de notre histoire et de ses conséquences sur la construction des individualités et le rapport à l'altérité. Une association étudiante de Paris 8 en a récemment fait les frais. Mais c'est très important, et je dois vous dire pourquoi.

Lors du premier harcèlement de rue que j'ai vécu – j'avais quinze ans –, un homme d'une cinquantaine d'années, blanc, m'a dit : « Tiens, je te donne mon numéro, parce que moi j'en ai marre des femmes blanches, elles savent pas s'occuper des hommes ; moi j'aime bien les Africaines et les Noires ; tu prends mon numéro, tu me demandes de l'argent quand tu veux. » Cette interaction était non seulement sexiste, et dangereuse en raison de mon âge, mais également raciste. Or c'est le quotidien d'énormément de Françaises et de femmes, en France, issues de l'immigration.

L'origine, il faut l'admettre, est un outil de contrôle des femmes. Elle sert aux personnes malveillantes à les contraindre, à les contenir, à stigmatiser leur expression personnelle, ainsi que leur sexualité ou des caractéristiques assez aléatoires comme le rapport à la douleur. Nous avons remarqué empiriquement que l'origine permet par exemple de légitimer certains cas de cyberharcèlement ou d'hypersexualiser des photos ou des vidéos qui, en elles-mêmes, ne sont ni sexuelles ni intimes.

C'est en ce sens que nous estimons nécessaire d'écouter, comme vous le faites aujourd'hui, ces cyberféministes qui agissent sur le terrain immatériel, car des intersections telles que genre et handicap visible, genre et poids, genre et transidentité peuvent particulièrement exposer aux cyberviolences. (Applaudissements.)

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