Intervention de Anne-Cécile Mailfert

Réunion du 7 mars 2017 à 17h00
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des femmes :

Je vous remercie de m'avoir invitée en qualité de « nouvelle féministe ». Mais si j'ai pu me découvrir telle, c'est parce qu'il y a eu d'innombrables féministes avant moi. Beaucoup sont présentes aujourd'hui et je vous remercie de ce que vous avez fait pour nous ; si nous sommes ici, c'est aussi grâce à celles qui ont mené ce combat avant nous. (Applaudissements)

La création de la Fondation des femmes s'explique par l'urgence de parvenir à une égalité tangible dans une situation paradoxale. D'une part, on assiste à un bouillonnement d'initiatives féministes à la visibilité croissante : même si elles demeurent périphériques, les féministes n'étaient pas aussi visibles que nous le sommes il y a vingt ou trente ans, époque à laquelle aucune star internationale ne se déclarait féministe pendant des concerts, devant des centaines de milliers de personnes. Il y a un élan vers une plus grande égalité, et la majorité des Françaises se déclareraient féministes ; on progresse donc, d'autant que, ces dernières années, les législateurs ont beaucoup travaillé en ce sens, en France en particulier.

Mais, dans le même temps, on ressent une recrudescence sournoise de la domination masculine, sous de nouvelles formes, et l'explosion d'une violence de plus en plus forte à l'encontre des femmes. Cela est dû à l'apparition du nouveau territoire qu'est l'espace numérique, où prévaut la notion de liberté sans partage – mais toute féministe sait ce que signifie la liberté quand elle n'est pas assortie de l'égalité : la liberté totale, c'est la loi du plus fort. C'est ce qui se passe sur l'internet, où des groupes d'hommes mènent des raids à l'encontre de femmes dont l'expression, singulièrement quand elles se déclarent féministes, ne leur convient pas. La violence exercée est telle que certaines femmes en viennent à quitter cet espace. De même que le harcèlement de rue les conduit à abandonner l'espace public, par exemple en ne sortant plus tard le soir ou en rentrant en taxi ou en métro plutôt qu'à pied, de même, dans l'espace numérique, les femmes, par peur, sont contraintes de se cacher, de s'exprimer sous pseudonyme, de cesser de donner leur opinion.

La violence prend aussi la forme de la vengeance par la pornographie – revenge porn –, pratique consistant à diffuser des images à caractère sexuel sans le consentement des personnes concernée. La Fondation des femmes a travaillé sur ce sujet. En effet, nous appuyons les associations financièrement, matériellement et juridiquement. Notre réseau d'une soixantaine d'avocates bénévoles sont à leur disposition et toutes peuvent faire appel à nous pour toute question d'ordre juridique. Ces avocates ont accompagné un collectif d'associations afin de déterminer comment mieux condamner le revenge porn ; cela a été fait dans le cadre de la loi pour une République numérique promulguée en octobre dernier.

Outre le fait qu'Internet a permis l'apparition de nouvelles formes de violences et qu'il les démultiplie, le capitalisme et la marchandisation de toute chose contribuent à la diffusion de représentations de plus en plus genrées et stéréotypées : il va sans dire qu'en fabriquant des dentifrices bleus « pour les hommes » et roses « pour les femmes », on incite les familles à acheter deux tubes quand un seul suffirait.

L'époque est celle d'une représentation hyper-sexualisée très violente pour les femmes – voyez combien est dégradante et humiliante la dernière campagne publicitaire de la maison Saint Laurent ! Que se passe-t-il donc dans la tête des hommes ? Comment expliquer la haine des femmes qui explose dans ces images ? La diffusion massive de la pornographie n'aide pas, et le pire est que la multiplication de telles images fait que l'on s'y accoutume ; il en résulte ainsi qu'un homme venu à une réunion de la Fondation des femmes il y a quelques jours m'a dit ne pas comprendre ce que ces images ont de choquant. Simone de Beauvoir le disait justement : « Ce qu'il y a de scandaleux dans le scandale, c'est qu'on s'y habitue ».

Prévaut aujourd'hui une grande sournoiserie : le prétendu « blues de l'homme blanc » – le pauvre ! – qui s'invente une perte de pouvoir. Ce discours sur une prétendue « dévirilisation » de la France, dont le sort funeste tiendrait à ce qu'elle s'est féminisée, est relayé par MM. Zemmour, Buisson et Debray depuis une quinzaine d'années et de plus en plus fortement depuis cinq à sept ans ; il influence les esprits. De même, il est très regrettable, et même révoltant, de savoir qu'une majorité de femmes blanches ont voté pour Donald Trump alors que son élection à la présidence des États-Unis a été analysée comme la revanche des hommes blancs. Un discours masculiniste particulièrement pervers se développe, qui appelle la plus grande vigilance.

Nous avons donc créé la Fondation des femmes car, face à ces menaces, un tissu d'associations engagées est indispensable, et des solutions tangibles pour répondre à l'espérance d'égalité qui se manifeste. Cela montre l'importance d'associations telles qu'En avant toute(s), que nous accompagnons et qui apporte des solutions concrètes à des jeunes femmes victimes de violences. De plus grands moyens sont nécessaires pour permettre à ces associations de se développer et de travailler ensemble, car faire émerger le « nous féministes » demande du temps, des espaces collectifs et, un jour peut-être, de cités des femmes. La Fondation des femmes se concentre sur les moyens à apporter aux associations et collectifs centrés sur les femmes, les féministes et les droits des femmes, sans entrer dans les débats qui peuvent les opposer.

Mme Monique Dental a évoqué les « porteurs de valises », faisant référence aux compagnons de route français anticolonialistes du FLN algérien. C'est l'optique de la Fondation des femmes : nos valises sont l'argent et les armes juridiques que nous allons chercher pour les mettre à la disposition du plus grand nombre possible d'associations, afin de renforcer les droits des femmes confrontées à des menaces croissantes. (Applaudissements)

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