Intervention de Danielle Bousquet

Réunion du 7 mars 2017 à 17h00
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Danielle Bousquet, présidente du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes, HCEfh :

C'est un plaisir tout particulier de revenir à l'Assemblée nationale en cette veille de 8 mars, journée que nous célébrons avec beaucoup de solennité car elle est extrêmement importante au plan international.

Je vous remercie chaleureusement, monsieur le président de l'Assemblée nationale, de vous engager aujourd'hui en signant cette convention pour une communication publique sans stéréotype de sexe. Soit dit en passant, nous devons réfléchir collectivement à trouver un autre nom ou acronyme pour cette convention car l'appellation actuelle est un peu compliquée à utiliser.

Ce guide, que vous avez entre les mains, n'est pas un prêt-à-penser. Il n'est pas à prendre tel quel ou à laisser. Ce document est un élément dans une démarche qui tend à l'égalité entre les femmes et les hommes. La mise en oeuvre des dix engagements qu'il comporte relève d'une appropriation et d'échanges au sein de chaque institution signataire. Pour ce faire, il faut avant tout une volonté et une impulsion politiques. Je vous remercie, monsieur le président, d'en avoir fait preuve.

Ce guide et le rapport que nous avons produit sur les stéréotypes de sexe plaident pour une démarche structurée et structurante, qui ait le souci de la cohérence entre le discours politique et les politiques publiques. La pratique d'une langue est tout sauf neutre. Elle est profondément politique. Elle est le reflet de notre société, de nos choix. Elle traduit nos valeurs, ce que nous sommes et ce que nous voulons être. Elle illustre notre vivre ensemble. Nommer les femmes, les rendre visibles dans la sphère publique comme dans la sphère privée ne relève pas de l'anecdote. C'est le coeur même de l'enjeu d'égalité de droits entre les femmes et les hommes. Nous nommer au féminin, nous faire exister aux yeux de tous et de toutes, c'est refuser une société où les femmes auraient un second rôle. Puisque nous ne sommes pas des secondes mais que nous nous revendiquons des égales, n'hésitons pas à user du féminin.

Pourquoi interroger le langage et les images qui sont des vecteurs de lourds stéréotypes sexistes ? Certains pensent, de manière tout à fait légitime, qu'il existe des questions plus importantes dans le combat féministe : le plafond de verre, l'égalité de salaire ou encore la lutte contre les violences. Pourtant, je pense que l'usage du féminin dans la langue est directement lié à ces sujets. Les mots ont un sens : ils sont le reflet de nos représentations ; ils véhiculent les stéréotypes qui entretiennent les inégalités. La question du langage, comme celle de la parité, renvoie à la manière dont s'est construite la République française, en excluant les femmes de la citoyenneté et de la vie de la cité.

Réjane Sénac, politiste et présidente de la commission parité du HCEfh, analyse brillamment comment la République s'est prétendue, s'affirme et se veut encore égalitaire, mais s'est construite en excluant les femmes et tous les autres « non-frères », c'est-à-dire les non-hommes blancs. Cela explique pourquoi l'expression « droits de l'homme » et l'usage du masculin, considéré comme neutre dans la langue française, se fondent sur un prétendu universalisme où « le masculin l'emporte » et représenterait les femmes et les hommes.

Plus personne ou presque ne conteste désormais qu'il demeure un problème de représentation dans les assemblées politiques qui sont encore composées en très grande majorité d'élus hommes. Pourtant, sur la question du langage, nous sommes encore très loin de l'adhésion. Un vrai travail pédagogique de conviction reste à faire. Ceux qui s'opposaient hier à la parité s'opposent aujourd'hui au remplacement de « droits de l'Homme » par « droits humains ». Ce sont les mêmes qui s'opposent au rétablissement de l'usage du féminin dans la langue française. C'est bien d'un rétablissement qu'il s'agit puisque, jusqu'au Moyen Âge, l'usage du féminin et du masculin pour les professions était la norme. Ce n'est qu'à partir du XVIIIe siècle et par la volonté de l'Académie française que « le masculin l'a emporté » sur le féminin dans la grammaire et dans les titres. C'est ainsi qu'on dit encore couramment madame le député ou madame le vice-président de l'Assemblée nationale, ce qui est totalement insupportable.

Cette convention que vous allez signer, monsieur le président, est inspirée de toute cette réflexion et est proposée à la signature de toutes les organisations qui le souhaitent : ministères, administrations centrales, établissements publics, collectivités territoriales, associations, etc. Nous proposons trois engagements aux signataires : reconnaître l'importance de prévenir et faire reculer les stéréotypes de sexe dans la communication publique, en interne comme en externe ; adopter le guide pratique et le diffuser à leur personnel ; transmettre le guide aux prestataires extérieurs qui communiqueront ou élaboreront des communications pour le compte de l'institution.

À ce jour, la liste des signataires compte des institutions prestigieuses : le Conseil économique, social et environnemental (CESE), le Conseil national de la fonction publique territoriale (CNFPT) qui forme les fonctionnaires territoriaux ou encore l'École nationale d'administration (ENA). Plusieurs ministères ont également signé : le ministère de la Justice, le ministère des Familles, de l'Enfance et des Droits des femmes, le ministère des Affaires sociales et de la Santé, le ministère de l'Agriculture. La convention a également été signée ce matin par Najat Vallaud-Belkacem, la ministre de l'Éducation nationale, et par tous les recteurs et rectrices d'académie. Le ministre de l'Intérieur a aussi demandé à la signer très rapidement.

Le HCEfh est fier de pouvoir dorénavant compter l'Assemblée nationale parmi les signataires. C'est une pierre supplémentaire à l'édifice construit année après année, grâce notamment à votre soutien, monsieur le président, et à l'impulsion de député.e.s féministes extrêmement déterminé.e.s que l'on a pu voir effectuer un travail remarquable pendant ces cinq années. Je souligne en particulier le travail remarquable effectué par la Délégation aux droits des femmes qui a redoublé d'efforts de conviction et de vigilance, et qui a apporté son expertise sur tous les sujets.

Il faut bien prendre en compte une chose : considérer les politiques publiques comme étant neutres du point de vue du genre est souvent synonyme de reculs. À l'inverse, prendre en compte l'impact différencié que peuvent avoir les lois sur les femmes et les hommes, c'est faire en sorte que celles-ci soient synonymes de progrès pour toutes et tous.

Ce travail, vous l'avez fait, Madame la présidente, en défendant des amendements aux projets et aux propositions de loi, et en réalisant un remarquable travail de conviction auprès de vos collègues. Je tiens bien évidemment à saluer l'impulsion que vous avez initiée par le biais de la Délégation. Vous en avez parlé dans votre discours introductif et votre très riche rapport de bilan en atteste. Pour avoir déjà utilisé ce rapport, j'encourage tout le monde à se le procurer. Il va aider à faire connaître et à rappeler ces avancées, ce qui est très important pour ne pas céder à la résignation et pour montrer que l'on peut continuer à avancer grâce aux lois, aux politiques publiques et à l'application des sanctions. Faire connaître ces avancées est aussi le meilleur moyen de les graver dans le marbre pour qu'elles ne puissent être remises en cause.

Vous avez adopté des textes remarquables : la loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes, la loi du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées et, tout récemment, la loi relative à l'extension du délit d'entrave à l'interruption volontaire de grossesse, concernant les sites internet, définitivement adoptée en février 2017.

Le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh) a fait son travail en nourrissant les travaux des parlementaires. Près de 40 % de nos recommandations ont été reprises dans des textes de loi ou des politiques publiques. Le HCEfh est d'ailleurs désormais pérennisé par la loi du 27 janvier 2017 relative à l'égalité et à la citoyenneté, ce dont je remercie les parlementaires.

Monsieur le président, vous avez soutenu les députés qui ont porté cette question d'égalité. En octobre dernier, vous inauguriez le buste d'Olympe de Gouges, ardente défenseure des droits des femmes et des droits humains. Le buste d'Olympe de Gouges à l'Assemblée nationale, c'est un symbole de reconnaissance de la place des femmes dans l'histoire et en politique. Il a fallu enlever un autre buste pour installer le sien dans la salle des Quatre-Colonnes. Je comprends bien que cela ne s'est pas fait tout seul…

Le 2 février, nous avons rendu public notre rapport sur l'application des lois relatives à la parité depuis les dernières élections locales. Il y a une parité quantitative dans la quasi-totalité des assemblées, sauf à l'Assemblée nationale et au Sénat, mais ce n'est pour le moment qu'un partage des places et non un partage du pouvoir. Les progrès réalisés montrent que c'est avant tout la voie législative qui permet d'avancer. Il ne faut donc pas hésiter à légiférer dans ce domaine.

Les freins à l'entrée des femmes en politique sont également liés aux préjugés sexistes dont elles sont l'objet. Vous avez pointé du doigt ce problème en faisant tout un travail à l'Assemblée nationale pour montrer que les femmes sont à leur place dans cette institution, alors que ces préjugés sont un moyen très efficace pour signifier qu'elles sont illégitimes en politique. Monsieur le président, vous avez pris à bras-le-corps cette problématique soulevée notamment par le collectif Chair collaboratrice.

Rendre vivante la convention du HCE est la première étape d'une démarche qui va prendre du temps, qui va exiger du travail de sensibilisation en interne et une volonté affichée au plus haut niveau. Le travail entrepris ici depuis plusieurs semaines est un gage de réussite à long terme. J'en profite pour remercier de leur présence le secrétaire général de l'Assemblée nationale ainsi que des responsables de la communication. C'est un travail à poursuivre au-delà de cette législature.

Pour conclure, je me réjouis de voir que cette signature va avoir lieu en présence de jeunes féministes dont nous avons apprécié le talent, l'engagement et les méthodes terriblement modernes comparées aux nôtres. Nous avons besoin de vous comme vous avez besoin de nous. Il ne faut pas croire que vous allez inventer le monde à vous seules. On est encore là et on vous aidera autant qu'il le faudra ! (Sourires.) Il faut que l'égalité et la parité, qui sont des principes inscrits dans notre Constitution, deviennent des droits effectifs pour chacune des femmes vivant en France. Nous allons y travailler ensemble. (Applaudissements.)

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