Intervention de Emmanuel Macron

Réunion du 22 avril 2015 à 12h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique :

Comme vous l'avez constaté, j'ai évité de vous assener des chiffres lors de mon exposé initial, car je suis très prudent en la matière : il est très difficile d'expliquer, toutes choses égales par ailleurs, des impacts en points de PIB à l'horizon 2020. Il est important de les avoir en tête, mais il faut aussi savoir relativiser. Précisons à ce propos qu'il ne s'agit pas d'éléments de croissance, mais de points de PIB additionnels.

Nous disposons de deux approches complémentaires. La première approche est celle faite sur la base du modèle MÉSANGE de Bercy, qui conduit à des évaluations en points de PIB brut à l'horizon 2020. « Brut », cela signifie qu'il faut prendre en compte le financement de ces mesures : or, celui-ci est parfois nul, comme c'est le cas pour la réforme territoriale, tandis que d'autres réformes nécessitent des financements, notamment en matière de compétitivité-coût du travail.

Le modèle MÉSANGE prévoyant des fiches techniques jointes au PNR, je suis tout à fait disposé à ce que l'on discute de chaque fiche individuellement : chacune d'entre elles couvre bien des éléments identifiés et elles sont toutes auditables. Pour en revenir à la question sur le dialogue social, l'impact en la matière a été identifié : il s'agit d'abord de modifications des comportements – en l'occurrence, une diminution de la conflictualité des plans sociaux – liées à la loi de sécurisation de l'emploi, une loi qui a assoupli les procédures, donné plus de visibilité sur les licenciements collectifs, encadré les procédures dans le temps et limité leur montant. La réforme des prud'hommes et celle de l'assurance chômage, la « loi Rebsamen » et l'atténuation des effets de seuil produiront également des effets qu'il est possible de modéliser, dans les limites que comporte un tel exercice : pour ma part, je suis toujours prudent quant à l'impact a priori de telle ou telle mesure. Quoi qu'il en soit, cette méthodologie est transparente, auditable par Bruxelles, et aboutit aux chiffrages qui vous ont été indiqués.

En complément, l'OCDE a fait de son côté un travail en octobre 2014, selon une méthodologie qui lui est propre, mais qui aboutit néanmoins à des chiffrages extrêmement convergents. Ainsi, l'OCDE prévoit 3,7 points de PIB à un horizon de dix ans, et chiffre également l'impact de la transition énergétique à 0,8 point. Cela n'a au demeurant rien d'étonnant, puisque cette loi va se traduire par des travaux, notamment le grand carénage du parc nucléaire, et par des éléments de relance à court terme – je pense au CITE et à la rénovation thermique, qui vont donner des motifs de satisfaction au secteur du BTP dans les mois à venir. Enfin, il ne faut pas raisonner comme si le prix du CO2 devait rester éternellement à zéro : ce n'est pas le cas et, pour tenir compte de l'évolution à venir dans ce domaine, des investissements sont à réaliser pour adapter notre organisation productive et notre capital productif.

À court et moyen terme, les impacts évalués par l'ensemble des modèles sont positifs, même si les chiffres, toujours pris toutes choses égales par ailleurs, doivent être relativisés. Il n'en demeure pas moins que deux approches complémentaires très différentes, car ne reposant pas sur les mêmes modèles, parviennent à des éléments de chiffrage bruts comparables, faisant apparaître que certaines réformes sont de nature à améliorer la croissance potentielle à l'horizon de cinq ou dix ans.

Pour ce qui est de la réforme territoriale, l'OCDE s'est concentrée, pour aboutir à sa prévision de 0,3 point de PIB, sur Paris et Aix. Ce sont les processus de métropolisation qui doivent produire des éléments de relance, notamment grâce à la suppression des financements croisés, jugés sous-efficients, et à la réduction du nombre d'acteurs. Là encore, tous ces éléments sources d'économies, mais aussi d'investissements, ont des effets économiques positifs chiffrables et modélisés.

J'en viens à la situation de la France par rapport aux autres pays. Notre pays se trouve dans une situation singulière car, si l'on observe le paysage européen, on peut distinguer trois situations. Premièrement, certains pays ont connu une crise très dure dans les années 1990, et y ont trouvé l'occasion de revoir en profondeur leur modèle économique et social : ce sont les pays scandinaves ; deuxièmement, on trouve des pays comme l'Allemagne, ayant fait le choix de se moderniser et de se réformer en profondeur dans un contexte de croissance et en négociant une relâche budgétaire ; troisièmement, enfin, certains pays ont subi la crise de plein fouet – beaucoup plus brutalement que nous – et en ont profité pour procéder, dans un contexte de consensus social, à des ajustements budgétaires et de réforme : c'est le cas de l'Espagne, de l'Irlande et du Royaume-Uni.

La France est un cas à part : elle n'a pas fait les réformes proprio motu et en temps voulu. La spécificité française commence au début des années 2000 par une série de choix imputables aussi bien à la droite qu'à la gauche – vous pouvez citer la réforme du temps de travail si vous voulez – et par des relâches budgétaires négociées sans procéder dans le même temps à des réformes structurelles. Aujourd'hui, nous nous trouvons donc placés face à l'obligation de procéder à des ajustements budgétaires et des réformes au pire moment, c'est-à-dire dans le contexte d'une croissance extrêmement plate et de taux qui, s'ils nous procurent une protection artificielle, agissent un peu à la manière de la morphine.

Dans ce contexte, nous avons le choix entre abandonner l'un des deux – les ajustements ou les réformes – ou, comme l'ont fait l'Espagne et l'Irlande quand elles étaient au fond du trou, ce qui n'est pas notre cas, taper très fort dans les deux domaines. Notre situation n'est pas si désespérée que celle qu'ont connue ces pays, car nous avons bénéficié d'amortisseurs de crise, et nous ne pouvons pas agir comme ils l'ont fait. Se concentrer uniquement sur la politique budgétaire sans rien moderniser constitue de notre point de vue un mauvais choix. Cela dit, compte tenu de notre place dans la zone euro et de l'instabilité de celle-ci depuis 2012, nous devons tenir un cap en la matière. Nous avons opté pour un cap médian, celui des 50 milliards d'euros que, bien sûr, certains vont trouver trop dur et les autres pas assez. En effet, ce cap ne permet pas une politique de relance conjoncturelle ; il est donc plutôt douloureux à court terme sur le plan économique – et sur le plan politique, cela n'aura échappé à personne –, mais il témoigne d'une politique de sérieux.

Quant à la politique de réforme qui doit être menée en parallèle, elle ne peut consister à casser tous les stabilisateurs en réformant de manière trop brutale, mais à avancer étape par étape de manière continue, afin de moderniser les différents marchés. Une partie des mesures à prendre relève de la relance, celle-ci étant cependant beaucoup plus timide que ce qui a été fait par le passé : ce n'est donc pas un plan de relance, mais un plan d'accompagnement conjoncturel lié à des problèmes identifiés et d'un plan de modernisation de l'économie consistant en un train continu de réformes menées depuis 2013 et ayant vocation à continuer au cours des années à venir. Notre choix politico-économique consiste à mener des réformes de manière continue, de façon progressive mais à bon rythme, sur l'ensemble des volets, compte tenu de la situation dans laquelle notre pays s'est mis il y a quinze ans. En résumé, nous ne venons pas de nulle part, et nous devons tenir compte de notre environnement.

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