Intervention de Claude de Ganay

Réunion du 14 mars 2017 à 16h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaClaude de Ganay, député, membre de l'OPECST, rapporteur :

– C'est vrai ! Un mécanisme de ce type constituerait selon moi un mauvais signal et découragerait la recherche, l'innovation et l'activité économique. La TVA et l'impôt sur les sociétés (IS) s'appliquent déjà à ces activités – et quand ils ne le font pas il faudra y veiller. C'est notre seul point de désaccord – le mot est trop fort – et nous présentons quinze propositions totalement communes. Dominique Gillot ne propose pas une telle taxe, elle l'évoque comme sujet de réflexion.

Je poursuis avec notre deuxième série de propositions, pour une intelligence artificielle utile, au service de l'homme et des valeurs humanistes.

Notre proposition n° 6 : redonner une place essentielle à la recherche fondamentale et revaloriser la place de la recherche publique par rapport à la recherche privée tout en encourageant leur coopération. Seule la recherche fondamentale peut répondre aux problèmes d'explicabilité des algorithmes et de biais dans les données. Nous en avons besoin. Des enjeux de maîtrise des technologies aux enjeux de financement de la recherche publique, tout se tient.

La recherche fondamentale pose par ailleurs la question du mode de financement des projets : il faut favoriser la recherche transversale et ne surtout pas reproduire l'hyperspécialisation entre sous-domaines de l'intelligence artificielle. Il est en cela nécessaire de mobiliser les équipes de chercheurs autour de grands projets nationaux structurants. Des projets de grandes bases de données labellisées, nécessaires à l'apprentissage machine, pourraient être lancés, par exemple autour de la langue française, du marché de l'emploi ou des données de santé, sous condition d'anonymisation.

Proposition n° 7 : encourager la constitution de champions européens en intelligence artificielle et en robotique, un peu sur le modèle d'Airbus. Sans verser dans le nationalisme industriel, il faut réfléchir aux protections qui pourraient être instituées. En effet, les laboratoires français sont pillés de leurs chercheurs par les multinationales nord-américaines et chinoises.

Proposition n° 8 : orienter les investissements dans la recherche en intelligence artificielle vers l'utilité sociale des découvertes, à savoir des applications à impact sociétal bénéfique comme le bien-être, la santé, la dépendance, le handicap, les infrastructures civiles, la gestion des catastrophes…

Proposition n° 9 : élargir l'offre de cursus et de modules de formation aux technologies d'intelligence artificielle dans l'enseignement supérieur français et créer dans notre pays au moins un pôle d'excellence international et interdisciplinaire en intelligence artificielle et en robotique. Il peut s'agir d'un pôle, de deux ou de trois, en s'appuyant sur l'excellence d'Inria, du LAS de Toulouse, de l'ENS, de l'Institut Mines-Télécom… Mais à défaut d'une création pure et simple, il sera urgent d'encourager la coordination et d'accroître la cohérence des instituts, des centres et des équipes de recherches.

Proposition n° 10 : structurer et mobiliser la communauté française de la recherche en intelligence artificielle en organisant davantage de concours primés à dimension nationale, destinés à dynamiser la recherche en intelligence artificielle. « France IA » est une étape importante dans la mobilisation de la communauté française de la recherche en intelligence artificielle. Il faut continuer et la structurer encore davantage, par exemple à travers l'organisation de concours. Le traitement de grandes bases de données nationales labellisées pourrait être l'objet d'un de ces concours. Un travail avec l'Agence nationale de recherche (ANR) peut être envisagé pour définir une offre française de grands concours primés en IA.

Proposition n° 11 : assurer une meilleure prise en compte de la diversité et de la place des femmes dans la recherche en intelligence artificielle La place des femmes et la question des minorités dans la recherche en intelligence artificielle sont des défis qu'il convient de relever.

J'en arrive à la troisième et dernière série de propositions, pour une intelligence artificielle démystifiée.

Proposition n° 12 : organiser des formations à l'informatique dans l'enseignement primaire et secondaire faisant une place à l'intelligence artificielle et à la robotique. Il s'agit d'aller un peu plus loin que l'offre actuelle.

Proposition n° 13 : former et sensibiliser le grand public à l'intelligence artificielle par des campagnes de communication, l'organisation d'un salon international de l'intelligence artificielle et de la robotique et la diffusion d'émissions de télévision pédagogiques

Un salon international de l'intelligence artificielle et de la robotique est à organiser en France, en s'inspirant de VivaTech et de l'initiative Innorobo portée par Catherine Simon, organisatrice du Salon français de la robotique. Ce salon pourrait être le pendant européen du CES (Consumer electronics Show) organisé à Las Vegas et sans équivalent en Europe.

Les réseaux sociaux ou la télévision pourraient être des supports pour des émissions de partage de la connaissance. Les émissions de télévision du type « la faute à l'algo », diffusées par la chaîne No Life, et certains épisodes de « data-gueule », diffusés par la chaîne France 4, sont des exemples intéressants.

Il faut se saisir du « partnership on AI » pour associer les entreprises à ce travail pédagogique. Là aussi, le coût du financement pourrait être partagé avec les entreprises privées, qui se donnent pour objectif d'informer et d'éduquer sur ces technologies. Je trouve déplorable que les grand-messes d'Apple ne s'accompagnent jamais de présentations pédagogiques sur les technologies d'intelligence artificielle.

Proposition n° 14 : former et sensibiliser le grand public aux conséquences pratiques de l'intelligence artificielle et de la robotisation, il s'agit, en complément de l'offre de formation continue visant l'amélioration continuelle des compétences, de permettre aux travailleurs et au grand public d'envisager de manière positive les transitions à venir en termes de conséquences pratiques de l'intelligence artificielle et de la robotisation. Là encore, le coût du financement pourrait être partagé avec les entreprises privées, qui se donnent pour objectif d'informer et d'éduquer sur ces technologies.

Quinzième et dernière proposition : être vigilant sur les usages spectaculaires et alarmistes du concept d'intelligence artificielle et de représentations des robots. Il s'agit d'éviter les dérapages, mais dans le respect de la liberté de création et de la liberté d'expression. La vérification des publicités serait un premier pas vers une plus grande maîtrise de la communication médiatique sur le sujet. En réaction aux scénarios catastrophistes, il faut sensibiliser les écoles de journalisme.

Pour conclure, j'indique que nos propositions devront être remises en débat à proportion des découvertes scientifiques, de leurs transferts et de leurs usages. Le point d'équilibre issu du rapport doit pouvoir évoluer, en fonction du contexte qui résultera du jeu de ces variables.

Nous faisons une proposition à nos collègues, en plus de nos 15 propositions, une sorte de proposition zéro comme aurait dit Asimov : la poursuite des travaux de l'OPECST sur les enjeux de l'intelligence artificielle en 2017 et 2018. Outre une veille générale des rapporteurs sur le sujet, il s'agira d'un suivi de la reprise de leurs propositions par le Gouvernement ainsi que d'un approfondissement de leur travail. Un suivi du sujet par l'OPECST apparaît indispensable.

Nous appelons par ailleurs à la poursuite du plan national pour l'intelligence artificielle, annoncé en janvier 2017 par le Gouvernement et qui sera précisé de manière plus détaillé à la fin du mois.

Ni quête vaine ni projet de remplacement de l'homme par la machine, l'intelligence artificielle représente une chance à saisir pour nos sociétés et nos économies. La France doit relever ce défi. Les progrès en intelligence artificielle sont d'abord et avant tout bénéfiques. Ils comportent aussi des risques, il serait malhonnête de le nier. Mais ces risques peuvent et doivent être identifiés, anticipés et maîtrisés.

L'avènement d'une super-intelligence ne fait pas partie de ces risques à court et moyen termes. Et, à long terme, la réalité de cette menace n'est pas certaine, quant à son imminence à court ou moyen terme, prophétisée par plusieurs figures médiatiques, elle relève du pur fantasme. Le présent rapport se veut une première contribution au travail indispensable d'identification, d'anticipation et de maîtrise des risques réels, travail de démystification et d'objectivation qui doit être collectif, interdisciplinaire et international.

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