Intervention de Nicole Ameline

Réunion du 6 février 2013 à 16h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaNicole Ameline, rapporteure :

Cette convention est le treizième instrument international de lutte contre le terrorisme adopté sous l'égide des Nations Unies. En l'absence d'accord sur une définition générale du terrorisme et de convention globale sur ce sujet, c'est une logique sectorielle et pragmatique qui a prévalu. Il existe notamment une convention contre la prise d'otage, une convention pour la répression d'actes illicites contre la sécurité de la navigation maritime, une convention pour la répression du financement du terrorisme et une autre encore pour la répression des attentats terroristes à l'explosif.

Il est vrai qu'aucun acte de terrorisme nucléaire n'a jamais été commis jusqu'à présent – et c'est heureux –, mais les risques ne sont pas une vue de l'esprit ou un fantasme. « Tout ce qui est imaginable est possible », disait Picasso, et l'on a pu constater les capacités d'imagination de certains groupes terroristes depuis 2001. Les responsables du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) et le Haut fonctionnaire de défense et de sécurité du ministère en charge de l'énergie, que j'ai souhaité rencontrer pour la préparation de mon rapport, tiennent compte de cette menace et s'y préparent activement. Il en est de même pour Interpol, qui a notamment créé une équipe de prévention du terrorisme radiologique et nucléaire.

De quoi s'agit-il ? Quatre risques distincts ont été identifiés par l'Agence internationale de l'énergie nucléaire (AIEA) : le détournement d'armes nucléaires détenues par des Etats dotés, officiellement ou non ; la fabrication de dispositifs explosifs nucléaires à partir de matières dérobées ; l'emploi de bombes radiologiques ; des actes de malveillance contre des installations nucléaires ou des opérations de transport.

Tous ces risques ne sont bien sûr pas équivalents.

Celui de voir des groupes terroristes s'emparer d'armes nucléaires est considéré comme très limité compte tenu du faible nombre d'Etats dotés, des mesures de sécurisation mises en place, ainsi que des connaissances et des technologies nécessaires pour faire fonctionner ces armes très sophistiquées.

Le risque de voir des organisations terroristes fabriquer leurs propres dispositifs explosifs nucléaires est également limité, car il faudrait acquérir des matières fissiles très protégées, disposer de connaissances physiques très poussées et mettre en oeuvre des moyens technologiques très importants et assez peu discrets. Même si des craintes ont pu voir le jour à la chute de l'ex-URSS, la prolifération nucléaire ne paraît donc pas accessible à des acteurs non étatiques : selon le SGDSN, les risques de dissémination des matières nucléaires, des personnels scientifiques et des connaissances sont désormais bien identifiés et contenus.

En revanche, le risque de voir des groupes terroristes fabriquer et utiliser des bombes dites « radiologiques » est jugé élevé. Il s'agirait de combiner des explosifs classiques et des matières radioactives non susceptibles de produire une explosion nucléaire mais dangereuses pour la santé humaine et l'environnement en raison des rayonnements ionisants émis. L'effet psychologique et économique serait bien réel.

Enfin, en ce qui concerne les installations nucléaires, plusieurs risques sont envisageables : des incursions terrestres, à l'image de celles très médiatisées mais non malveillantes – j'y insiste – qui ont été commises récemment en France par Greenpeace, mais aussi la chute intentionnelle d'un avion ou encore des cyberattaques. Des menaces de référence ont été établies dans la directive nationale de sécurité (DNS) du sous-secteur nucléaire, mais la description détaillée de ces menaces et de leurs effets potentiels est couverte par des mesures de confidentialité stricte.

Même s'ils sont plus ou moins élevés selon les cas, ces risques ne sont pas imaginaires. Ils ont déjà été pris en compte au plan international par plusieurs initiatives que je vais rapidement présenter. Elles témoignent de l'importance accordée au terrorisme nucléaire et constituent le cadre dans lequel vient s'insérer la convention dont nous sommes saisis.

Dans le cadre des Nations Unies, la résolution 1540, qui a été adoptée en 2004 par le Conseil de sécurité, vise à lutter contre le risque de prolifération nucléaire par des organisations terroristes en imposant une série d'obligations aux Etats : d'abord une obligation d'abstention qui consiste à n'apporter aucun appui à des acteurs non étatiques désireux de fabriquer ou de se procurer des armes nucléaires ; puis deux obligations positives, la première consistant à adopter et à appliquer une législation interdisant et réprimant de telles activités, la seconde consistant à mettre en place des dispositifs internes de contrôle pour lutter contre la prolifération nucléaire.

Les risques de détournement ont également été traités dans le cadre du partenariat mondial du G8 contre la prolifération des armes de destruction massive – le PMG8. De nombreux projets de démantèlement de sous-marins nucléaires hors service, d'élimination de matières nucléaires fissiles et de reconversion d'anciens chercheurs du secteur de l'armement ont vu le jour depuis 2002.

Par ailleurs, depuis 2006, une initiative globale pour combattre le terrorisme nucléaire (GICNT) a été lancée conjointement par les Etats-Unis et la Russie pour améliorer la culture de sécurité des Etats participants, pour mieux partager des outils de prévention, de détection et de réponse, et plus généralement pour renforcer la coopération contre le terrorisme nucléaire.

A cela s'ajoutent toutes les actions entreprises au sein de l'AIEA en matière de prévention et de détection des risques. L'Agence a développé un ensemble de documents qui, bien que dépourvus de portée obligatoire, servent de cadre international dans le domaine de la sécurité nucléaire. L'AIEA apporte aussi une aide directe à ses Etats membres par divers moyens : des plans intégrés d'appui en matière de sécurité nucléaire (INSSP), des missions d'évaluation sur lesquelles j'aurai l'occasion de revenir, de nombreuses formations dispensées dans le monde, ainsi qu'une base de données sur le trafic illicite (IDTB) qui est tenue à jour depuis 1995.

Tel est le cadre général dans lequel vient s'insérer la convention pour la répression des actes de terrorisme nucléaire. Il témoigne d'une volonté commune d'approfondir la coopération internationale dans ce domaine.

Comme son nom l'indique, la convention tend d'abord à organiser une répression efficace des actes de terrorisme nucléaire au plan international. Son objectif premier est de garantir que les Etats parties disposent en droit interne de normes pénales adaptées pour poursuivre les auteurs d'une liste d'infractions à caractère international, concernant plusieurs Etats.

Ces infractions, définies à l'article 2, couvrent toutes les formes de terrorisme nucléaire que j'ai évoquées. Je n'y reviens donc pas. L'article 5 vise à incriminer ces infractions et à les réprimer par des peines tenant dûment compte de leur gravité.

Selon l'étude d'impact accompagnant le projet de loi, notre droit interne répond d'une manière satisfaisante à ces exigences, notamment du fait de notre culture de sécurité et de notre implication dans les négociations internationales. Aucune modification législative ne s'imposerait donc en France. La convention pourrait cependant avoir un effet directement utile pour d'autres pays. Elle demande de veiller à instaurer un arsenal pénal efficace dans tous les Etats ayant ratifié la convention.

Il faut également noter que le texte ne concerne pas les activités des forces armées en période de conflit armé, au sens donné à cette notion en droit international humanitaire, ou dans l'exercice de leurs fonctions officielles. C'est un point qui a fait l'objet d'un blocage assez longtemps, mais qui est désormais acté. L'insertion d'autres éléments a permis d'obtenir un compromis, en particulier le paragraphe 4 du même article 4, en vertu duquel l'exclusion des activités des forces armées ne doit pas être interprétée comme excusant ou rendant licites des actes par ailleurs illicites.

A ce volet de nature répressive s'ajoutent des stipulations tendant à garantir une coopération efficace au plan international : la convention demande des échanges d'information afin de prévenir les actes de terrorisme définis à l'article 2 ; elle exige une enquête lorsqu'un Etat partie est informé qu'une infraction visée par la convention est ou a été commise sur son territoire ou que son auteur pourrait s'y trouver ; elle impose de juger ou d'extrader l'auteur présumé d'une infraction ; elle prévoit une entraide judiciaire « la plus large possible » en matière pénale ; elle demande la remise temporaire de personnes détenues à des fins d'identification ou de témoignage dans le cadre d'une enquête ou de poursuites engagées en vertu de la convention ; elle exige enfin la communication aux autres parties, par l'intermédiaire du Secrétaire général des Nations Unies, du résultat des poursuites engagées au plan national. La confidentialité qui prime souvent dans ce domaine ne fait donc pas obstacle à l'échange d'un certain nombre d'informations en matière de sécurité.

Enfin, contrairement à ce que pourrait laisser entendre le titre de la convention, relative à « la répression des actes de terrorisme nucléaire », des stipulations de nature préventive sont également prévues.

L'article 7 demande ainsi aux Etats de collaborer en prenant toutes les mesures possibles afin de prévenir ou de contrarier la préparation, sur leurs territoires respectifs, des infractions visées à l'article 2. L'article 8 invite ensuite plus spécifiquement à adopter des mesures appropriées pour assurer la protection des matières radioactives en tenant compte des recommandations de l'AIEA. C'est une novation qu'il faut saluer. A la différence de la convention sur la protection physique des matières nucléaires, telle qu'elle a été amendée en 2005, la présente convention n'impose cependant pas d'obligation contraignante en matière de protection des matières radioactives. Il est simplement stipulé que les Etats « s'efforcent d'adopter des mesures ».

En France, dans l'attente de l'adoption du projet de loi sur la protection des sources radioactives contre les actes de malveillance et de ses textes d'application, il n'existe pas d'exigences législatives ou réglementaires explicitement relatives à la protection des matières radioactives. Certaines dispositions du code de la santé publique contribuent à la sécurité des sources, mais la convention invite utilement à parachever le travail engagé dans notre pays.

Au total, la convention qui nous est soumise est très complète puisqu'elle comporte un volet répressif, des stipulations tendant à garantir une coopération internationale efficace, ainsi qu'un volet préventif.

Le seul manque est peut-être celui d'un mécanisme permettant de surveiller la mise en application effective de la convention par les Etats l'ayant ratifiée. L'article 20 se contente de demander aux parties de se consulter directement ou par l'intermédiaire du Secrétaire général des Nations Unies, au besoin avec l'assistance d'organisations internationales, telles que l'AIEA, pour assurer la bonne application du texte.

Cette lacune est bien sûr regrettable, mais assez compréhensible. Un examen périodique des mesures prises au plan national impliquerait en effet un droit de regard sur les dispositions adoptées par chaque Etat pour protéger ses installations nucléaires de toute nature et pour sécuriser les matières nucléaires et radioactives présentes sur son territoire. Comme l'a rappelé le communiqué final du deuxième sommet sur la sécurité nucléaire, organisé à Séoul en 2012, c'est d'abord aux Etats eux-mêmes qu'il revient de prendre les mesures nécessaires, dans le respect de leur souveraineté nationale.

Plusieurs stipulations favoriseront cependant la bonne application de la convention. Les Etats doivent notamment se tenir informés de la compétence qu'ils établissent en vertu de leur législation nationale pour connaître des infractions visées par la convention. Par ailleurs, en cas de différends concernant l'interprétation ou l'application du texte, un arbitrage est prévu, avec une saisine de la Cour internationale de justice si cet arbitrage échoue.

Enfin, les Etats parties à la convention pourront faire appel à des services consultatifs et à des mécanismes d'examen par les pairs dans le cadre des missions d'experts réalisées par l'AIEA. Il s'agit notamment du service consultatif international sur la sécurité nucléaire (INSServ) et du Service consultatif international sur la protection physique (IPPAS) que je présente dans mon rapport écrit. L'AIEA fournit aussi une aide aux Etats pour la définition d'une menace de référence afin de concevoir, d'évaluer et d'actualiser les mesures de sécurité nécessaires. Au 30 juin 2012, l'AIEA avait organisé 49 ateliers nationaux sur la définition, l'application et la tenue à jour d'une menace de référence.

Malgré la lacune que j'ai signalée, nous sommes saisis d'un texte très utile, qui s'inscrit dans la famille des instruments internationaux visant à renforcer la lutte contre le terrorisme sous toutes ses formes, et qui présente une réelle valeur ajoutée. La France est très attachée à ce texte qui permettra de faire évoluer la réponse internationale à un risque qui l'est aussi de plus en plus. Il permettra de mieux coordonner les réponses apportées. C'est pourquoi je vous invite à adopter le projet de loi autorisant la ratification de cette convention.

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