Permettez-moi tout d'abord de remercier Corinne Erhel pour son propos liminaire. Avant d'exposer la situation de la filière des télécommunications, je souhaiterais insister sur le fait que lors de chacune de nos auditions, nous avons eu le sentiment d'une forte crispation sur l'ensemble de la filière. Celle-ci amène certains acteurs à peut-être s'autocensurer, notamment en raison d'une certaine peur des représailles ressentie par plusieurs commentateurs. Nous souhaitions en rendre compte dans notre rapport, qui mentionne le fait que plusieurs journalistes ont été poursuivis dans le cadre de leur métier, qu'un chercheur a fait l'objet d'une saisine par huissier des données contenues sur son ordinateur portable à la demande du quatrième opérateur, ou encore que les procès se multiplient entre acteurs économiques.
Corinne Erhel l'a rappelé, l'entrée du quatrième opérateur sur le marché mobile a eu un très bon impact pour le consommateur, c'est indéniable, mais force est de constater que dans le même temps, il y a eu des suppressions d'emplois. Celles-ci ne sont certes pas uniquement liées à l'entrée du quatrième opérateur sur le marché mobile : certains acteurs devaient sans nul doute identifier des gains de productivité et rationnaliser la production. Néanmoins, c'est évident, l'entrée du quatrième opérateur a bouleversé le marché et certainement accéléré le processus : 856 suppressions de postes chez SFR, 556 chez Bouygues Télécom, décision d'Orange de ne pas remplacer intégralement les départs à la retraite. S'agissant des équipementiers, la problématique est légèrement différente. Confrontés à une concurrence mondiale, alors que les opérateurs évoluent dans un marché plutôt national, les équipementiers sont en concurrence frontale avec les acteurs asiatiques comme Huawei et ZTE, soupçonnés par la Commission européenne d'être financés par l'État chinois. Ainsi, NSN a annoncé 17 000 suppressions d'emplois, tandis qu'Alcatel-Lucent a prévu de supprimer 5 490 postes, dont 1 430 en France. L'effet sur les PME est plus insidieux car il est invisible, dans la mesure où les pertes d'emplois sont pour l'instant principalement dues à des non renouvellements de CDD.
J'en viens à présent aux centres d'appels : il est notable de préciser que si Free a créé environ 2 500 emplois, dont environ 2 000 emplois dans les centres d'appels, les représentants syndicaux nous ont indiqué estimer les destructions d'emplois dans les centres d'appels à au moins 4 000. Je tiens à souligner le fait que ces suppressions s'expliquent également par des changements de pratiques des consommateurs. En effet, de plus en plus de personnes prennent leurs abonnements sur internet, sans acquérir de terminaux – le quatrième opérateur a à ce titre fait montre d'innovation en proposant des forfaits Sim only et en orientant ainsi le marché – tandis que le nombre d'appels a diminué en raison de l'amélioration du service fourni dès le premier appel et de l'habitude prise par les consommateurs de privilégier l'assistance en ligne, sur internet. Ces changements de pratiques ont également eu un effet indéniable sur les réseaux de distribution, qui recouvre aussi bien les boutiques propres des opérateurs que les magasins indépendants ou les distributeurs mondiaux. Alors que les revenus qui proviennent des opérateurs représentent 60 % à 70 % de la marge brute du secteur, la contraction de l'activité a fortement pesé sur les distributeurs. S'agissant des réseaux propres des opérateurs, on constate un phénomène de storisation, c'est-à-dire la constitution de grandes boutiques sur le modèle des Apple stores, au détriment des boutiques de proximité sur nos territoires. Pour résumer, alors qu'il y avait auparavant une boutique France Télécom dans chaque sous-préfecture, aura-t-on encore une boutique de vente de proximité de terminaux dans ces villes à l'avenir ? Dans le même temps, d'autres réseaux de proximité se lancent dans la commercialisation des terminaux – je pense au groupe La Poste – ce qui représente peut-être une piste intéressante. En conclusion, s'il faut reconnaître une tendance de fond à la réduction de l'emploi sur le secteur, l'arrivée du quatrième opérateur a provoqué un choc brutal qui n'a pas été suffisamment été anticipé, et force est de le constater, les créations d'emplois n'ont pas compensé les suppressions constatées sur la seule année 2012.