Intervention de Anne Burstin

Réunion du 4 juillet 2012 à 10h30
Commission des affaires sociales

Anne Burstin, inspectrice générale des affaires sociales :

Je tenterai de répondre dans la mesure du possible à toutes vos questions, même si, n'étant pas médecin, certaines d'entre elles sont à la limite de ma compétence. C'est tout l'intérêt du binôme constitué par la direction générale de l'institut et sa présidence, aujourd'hui assurée par une hématologue.

La lutte contre les inégalités, notamment en matière de dépistage, est une des priorités de l'INCa. Il est vrai que certaines populations – personnes défavorisées ou d'origine étrangère – bénéficient peu du dépistage organisé du cancer du sein. D'une manière générale, seules 53 % des femmes de la classe d'âge concernée – c'est-à-dire entre 50 et 74 ans – ont accès à ce dépistage, ce qui reste insuffisant. Il convient d'en comprendre les raisons, grâce à une analyse fine par territoire, et d'identifier plus précisément les catégories de population qui ne se mobilisent pas, celles qui ont des difficultés à bénéficier de telles prises en charge. On les trouve en particulier dans les quartiers, dans le monde agricole ou parmi les personnes d'origine étrangère. C'est pourquoi certaines expérimentations innovantes ont été lancées avec la Mutualité sociale agricole ou l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances (ACSé). C'est un des aspects du processus de personnalisation dont je parlais à l'instant : il s'agit de comprendre les facteurs de blocage, les raisons pour lesquelles certaines personnes placent la santé au second rang de leurs priorités.

M. Bapt m'a interrogé sur mon rôle à l'AFSSAPS à l'époque où celle-ci traitait le dossier du Mediator®, entre 2006 et 2008. En raison du partage des rôles entre moi-même et le directeur général – indispensable compte tenu de la charge de travail à laquelle nous étions confrontés –, je suis restée à l'écart de cette affaire et suis donc incapable d'expliquer la façon dont elle s'est déroulée. En effet, mon parcours professionnel m'a plutôt amenée à gérer des situations d'urgence sanitaire – comme lors de la crise de la pharmacie Demours, au cours de laquelle des femmes sont tombées dans le coma après avoir abusé d'extraits thyroïdiens de porc mal dosés – ou à travailler sur des dossiers transversaux : projet d'établissement, accompagnement à l'innovation, équilibre entre évaluation interne et externe, prévention des conflits d'intérêts, etc. De son côté, le directeur général était en charge du processus réglementaire et signait à ce titre les autorisations de mise sur le marché.

De même, j'ai découvert bien après, par la presse, l'existence de relations entre M. Jean Marimbert et cette conseillère de Servier, et j'ignore tout à fait quelle était la nature de leurs liens – peut-être l'avait-il connue dans d'autres circonstances. La seule chose que je peux dire, pour avoir fréquenté M. Marimbert pendant un peu plus de deux ans, est que je suis convaincue de son intégrité.

Vous avez souligné mon investissement dans la gestion des liens d'intérêts et des conflits d'intérêts. Quoi que l'on ait pu en penser ensuite, c'était, bien avant même mon arrivée, une des priorités de l'AFSSAPS : nous avions déjà l'habitude de publier les déclarations publiques d'intérêts – DPI – lorsque l'affaire que vous évoquez est survenue. J'avais même parfois l'impression de fouetter mes équipes en ce sens, tant nous étions conscients de l'importance de ce sujet. Mais recueillir des déclarations est une chose, et les exploiter en est une autre. Cela représentait une charge extrêmement lourde, et il était parfois difficile de confier aux évaluateurs un travail qu'ils considéraient comme étant d'abord d'ordre administratif, les dossiers d'évaluation scientifique étant prioritaires à leurs yeux. Je n'ai pourtant eu de cesse de leur expliquer à quel point cette préoccupation était fondamentale.

Une personne était d'ailleurs spécifiquement chargée de gérer cette question, tandis qu'une commission déontologique réfléchissait aux liens susceptibles d'influencer ou non la prise de décision. Nous avions également à coeur d'inciter les présidents de commission à écarter les experts dont la situation pouvait poser problème.

Il était cependant difficile d'expliquer à ces derniers que leur honnêteté n'était pas en cause, qu'il s'agissait avant tout d'une question d'indépendance objective, conformément à la fameuse théorie des apparences du Conseil d'État. En outre, en tant que personnel administratif, nous ne pouvions pas être présents dans toutes les commissions. Il fallait compter, enfin, sur les relations entre membres, la gêne que l'on peut éprouver à écarter un collègue dont l'honnêteté ne fait pas de doute. Pour toutes ces raisons, la gestion des liens d'intérêts n'a pas toujours été aussi exigeante que nous l'aurions souhaité. Si je dois assumer la direction de l'INCa, il est clair que je devrai faire preuve d'une plus grande vigueur et montrer plus de pédagogie sur ce sujet, afin que les règles soient appliquées sans défaut.

Mais l'enseignement que je tire de l'affaire du Mediator®, c'est aussi l'importance d'un fonctionnement collégial et de la transparence, autant d'aspects que je souhaite privilégier au sein de l'Institut national du cancer. À l'AFSSAPS, nous étions plutôt en avance sur les textes, même si la mise en oeuvre de cette transparence faisait l'objet de tâtonnements. Par exemple, nous avons parfois craint, en mettant en avant l'opinion minoritaire d'une personne, de l'exposer à une attention excessive, voire à des pressions. L'exemple de Servier n'a-t-il pas montré à quel point les relations avec les industriels pouvaient être violentes ? Pourtant, il est clair que de tels états d'âme ne doivent plus avoir cours : nous devons nous montrer plus déterminés.

Le rapport sur la mise en oeuvre par les agences régionales de santé des politiques de santé-environnement était une initiative prise par l'IGAS sur ma suggestion. Après avoir abordé ces questions à la DRASS d'Aquitaine, je m'étais en effet convaincue que l'environnement constituait un déterminant essentiel de l'état de santé. Je souhaitais savoir si les agences régionales de santé s'étaient emparées du sujet, ce qu'elles ont fait de manière inégale. Pourtant, le groupe de travail constitué autour du préfet Ritter avait jugé décisif qu'une autorité de santé puisse exprimer, sur des problèmes mettant en jeu des intérêts contradictoires, un point de vue libre et indépendant. Dans notre rapport, nous avons donc insisté sur la responsabilité des agences, seules susceptibles de jouer un tel rôle. En effet, même si, dans ce domaine, le ministère de l'environnement tend à monter en puissance, il ne dispose pas de l'expertise d'ingénieurs spécialisés ou de médecins de santé publique, et n'a pas la connaissance des enjeux épidémiologiques nécessaires pour apprécier les situations de crise. Or, pour avoir travaillé, dans le cadre du rapport de l'IGAS, sur la question des sites pollués, je sais combien de tels enjeux vont gagner en importance.

Vous m'avez interrogée sur les conséquences de la publication de ce rapport. Le secrétariat général du ministère de la santé en a tenu compte dans l'élaboration des contrats d'objectifs et de moyens passés avec les agences régionales de santé, de façon à mieux structurer les orientations et à renforcer les partenariats entre agences. J'ai donc le sentiment que ce travail n'est pas resté sans effet.

J'évoquerai brièvement les moyens dont dispose l'INCa. Son budget est d'environ 100 millions d'euros, dont 45 sont consacrés à la recherche et 35 aux soins. L'effectif est pour l'instant d'environ 170 personnes, même si les arbitrages budgétaires en cours laissent craindre une réduction.

J'en viens à la coopération avec les acteurs de terrain dans le cadre du pilotage du Plan cancer, et en particulier au problème de la pollution de l'air. Les analyses européennes montrent toute l'importance de l'enjeu, puisque plusieurs millions de personnes, en Europe, décèdent du fait de cette forme de pollution. C'est pourquoi le rapport de l'IGAS soulignait la nécessité d'une vigilance accrue en ce domaine, tout comme il mettait l'accent sur les risques en matière de santé au travail. Tous ces enjeux sont d'ailleurs pris en compte par le plan national Santé-environnement (PNSE). Celui-ci donne ainsi la priorité à la connaissance des risques cancérogènes liés à certains produits utilisés au travail : vous avez évoqué les pesticides, mais on peut aussi citer le perchloréthylène employé dans les pressings. En tout état de cause, c'est bien un des rôles majeurs de l'INCa que de développer – en lien avec les instances internationales chargées de classer les substances en fonction du risque qu'elles entraînent – la recherche sur les déterminants de la maladie cancéreuse.

La qualité de l'air intérieur est également un des axes importants du plan national Santé-environnement, d'ailleurs bien repris par les différents programmes régionaux. Des référents en matière de qualité de l'air ont ainsi été mis en place, soit dans les agences régionales de santé, soit dans les directions régionales de l'environnement.

N'étant pas médecin, les questions de bon usage et d'encadrement des actes et des prises en charge ne seront évidemment pas de ma responsabilité. Mais l'institut dispose d'experts très compétents en ce domaine, et un des axes importants de son action consiste, en lien étroit avec la Haute Autorité de santé, à élaborer les référentiels nécessaires. S'il lui appartient de définir les bonnes pratiques, il laisse toutefois à d'autres acteurs – notamment aux agences régionales de santé – la responsabilité de les évaluer.

En ce qui concerne les appels à projets, les priorités concernent avant tout ce que nous appelons la recherche translationnelle, c'est-à-dire le transfert aussi rapide que possible de la recherche fondamentale vers la recherche clinique. C'est la vocation première des Sites de recherche intégrée sur le cancer (SIRIC) : rapprocher les équipes de façon à accélérer la diffusion des connaissances.

Les essais précoces, visant à faire bénéficier les patients, le plus en amont possible, des thérapies innovantes, constituent une autre priorité. Dans ce domaine, l'INCa a joué un rôle de pionnier, reconnu au niveau international, en mettant en place sur l'ensemble du territoire dix-huit plateformes génétiques moléculaires destinées à analyser les caractéristiques génétiques d'une tumeur et à mettre au point des traitements personnalisés. Il a également financé l'accès à ces tests lorsqu'ils n'étaient pas encore remboursés, du fait de l'inachèvement de certaines procédures. L'objectif était de faciliter l'accès aux soins par le recours aux techniques les plus sophistiquées de diagnostic.

S'agissant du suivi de la radiothérapie, l'épisode d'Épinal, que j'ai vécu lorsque je travaillais à l'AFSSAPS, a mis en évidence des déficiences en matière d'équipements – insuffisamment contrôlés – ou de moyens humains. Le nombre de radiophysiciens était par exemple très faible, alors que leur rôle est essentiel dans l'ajustement et le ciblage des matériels. Depuis, leurs effectifs ont triplé, des efforts très importants ont été consentis en matière de bonnes pratiques, et la matériovigilance a été renforcée. Les progrès sont donc significatifs, même si, d'une manière générale, les moyens humains et médicaux restent un des points faibles du Plan cancer. Ainsi, les effectifs d'internes, de professeurs d'université et de praticiens hospitaliers spécialisés en cancérologie restent aujourd'hui insuffisants.

Vous m'avez interrogée sur l'avenir après l'échéance du second plan. Le Haut conseil en santé publique, qui vient de procéder à son évaluation, souligne le bon taux de réalisation de ses actions. Sur les 1,9 milliard d'euros mobilisés par le Plan cancer, environ 880 millions ont été dépensés, ce qui correspond à peu près aux prévisions. La plupart des objectifs ont été atteints, sauf en matière de démographie médicale. Le Haut conseil a également souligné la nécessité de développer les relations avec le niveau régional, c'est-à-dire les agences régionales de santé.

En matière de prévention, l'INCa, en lien avec l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé – INPES –, pilote un certain nombre de campagnes nationales : lutte contre le tabac et l'alcool – respectivement premier et deuxième déterminants des pathologies cancéreuses –, par exemple, mais aussi contre l'exposition excessive au soleil, responsable des cancers de la peau. Cependant, au plus près du terrain, il appartient aux agences régionales de santé de promouvoir ces politiques, au travers des programmes régionaux de santé ou des schémas régionaux de prévention qu'elles ont mis en oeuvre au cours de l'année 2011.

Les liens, monsieur Robinet, ont toujours été étroits entre l'INCa et l'AFSSAPS, puis avec la nouvelle agence – ANSM. En matière d'accès aux thérapies innovantes, une coordination très étroite est ainsi nécessaire, notamment pour définir les référentiels temporaires d'utilisation, qui permettent à des personnes ne pouvant pas bénéficier d'autres thérapeutiques de se voir administrer certains médicaments un peu avant leur autorisation de mise sur le marché. Bien entendu, ces liens perdureront et seront même renforcés.

L'articulation entre l'action de l'institut et celle des agences régionales de santé fait partie des chantiers que j'aurai à conduire, dès cette année, en lien avec le secrétariat général du ministère. Des jalons ont déjà été posés, puisqu'une analyse du champ – immense – d'interactions entre l'INCa et celles-ci a été effectuée.

S'agissant des relations entre l'INCa et les organismes de recherche, la constitution d'un groupement d'intérêt public, dont sont membres le CNRS ou l'INSERM, constitue une première réponse. Le fait que le directeur général adjoint en charge de la recherche à l'INCa, et celui de l'institut thématique dédié au cancer au sein de l'INSERM, soient une seule et même personne, est également un facteur de bonne coordination. Enfin, INCa et INSERM ont élaboré un plan commun prospectif dans le domaine de la recherche contre le cancer.

M. Accoyer m'a interrogée sur les perspectives en matière de recherche et les risques de dérives dans l'application du principe de précaution. Assurément, ce principe nous impose d'objectiver au plus vite les situations, si nous ne voulons pas voir notre action bloquée trop longtemps et de manière trop préjudiciable. Il nous incite également à user de pédagogie à l'égard des populations, et à bien expliquer ce que sont les enjeux. Or, pour avoir tenté à certaines occasions d'expliquer la notion de rapport bénéfices-risques d'un médicament, je sais combien un tel travail peut être difficile. Nous devons pourtant nous y consacrer de manière acharnée.

L'après-cancer est également un sujet majeur suivi par l'INCa. À cet égard, les travaux sur la vie des patients après la maladie, réalisés en lien avec la Ligue contre le cancer, se sont révélés très instructifs et devraient contribuer à l'amélioration de leur prise en charge. L'accès aux assurances ou aux prêts bancaires, en particulier, doit faire l'objet d'une attention vigilante, afin que les malades puissent se réinsérer et que leur projet de vie ne subisse pas d'entraves.

Mme Bulteau a abordé les relations entre l'INCa et les collectivités locales. Lorsque je travaillais à la DRASS Aquitaine, le dépistage du cancer du sein nous a amenés à développer des relations très étroites avec les conseils généraux, responsables des structures de gestion. En dépit de la recentralisation du dépistage, près de la moitié des départements reste très impliquée dans cette politique.

Les relations avec les associations de prévention et les observatoires régionaux de santé me semblent plutôt relever de la responsabilité des agences régionales de santé. Quant aux registres des cancers, l'INCa est évidemment positionnée sur ce sujet, en lien avec l'Institut de veille sanitaire – InVS. Nous avons à coeur de renforcer et développer ces registres, afin d'affiner notre connaissance des pathologies cancéreuses.

Par ailleurs, le comité des patients et des proches est constitué notamment de représentants d'associations telles que la Ligue contre le cancer ou la Fondation ARC.

La question des éventuelles conséquences sanitaires des lignes à haute tension dépasse ma compétence, mais elle fait l'objet d'une certaine vigilance de la part de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail – ANSES –qui a mis en place des groupes de réflexion spécifiques. À l'évidence, une étude épidémiologique en ce domaine peut constituer l'un des objectifs du programme santé-environnement de votre région. Cependant, un lien avec l'ANSES reste indispensable, car les agences régionales de santé ne disposent pas des connaissances ni des compétences suffisantes pour creuser un tel sujet.

Enfin, une question concernait l'évaluation des équipes de soins et leur encadrement, à partir de l'exemple d'Épinal. L'INCa a la charge de définir les référentiels sur lesquels se fondent les autorisations. En effet, une procédure d'autorisation des structures en charge de la cancérologie a été mise en place il y a quelques années, afin de préciser les exigences en termes de compétences, de moyens ou de procédures. L'objectif de cette campagne, dont l'INCa a défini le cadre mais que les agences régionales de santé ont mise en oeuvre, était d'augmenter le niveau de qualité de la prise en charge du cancer dans les établissements de santé. Un budget important – près de 30 millions d'euros – a été consacré au renforcement des équipes et des structures hospitalières spécialisées dans la cancérologie.

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