Pour la formation, il faut distinguer entre premier et second degré. L'enseignement primaire est caractérisé par une polyvalence qui a cependant été quelque peu délaissée au cours des années récentes, au motif que les maîtres ne pouvaient maîtriser toutes les matières. Mais ce n'est pas en cela que consiste la polyvalence ! C'est la capacité d'enseigner aux élèves les éléments du savoir sans lesquels ils ne pourraient progresser dans chaque discipline. Il faut donc réactiver cette notion de polyvalence dans la réforme de la formation et renouveler sur ce sujet la réflexion épistémologique.
Dans le second degré, chaque maître enseigne une discipline et la question, là, est celle de l'articulation à trouver entre le disciplinaire et le pédagogique afin de ne pas sombrer dans le pédagogisme – dont la définition est simple : ce sont des protocoles sans objet, des procédures. Je viens d'une discipline qui se pense comme étant à elle-même sa propre pédagogie : la philosophie ; mais, dans les autres disciplines, il convient d'entamer une réflexion pédagogique, et une réflexion sur la question de la professionnalité – soit qu'est-ce qu'enseigner aujourd'hui ?
J'en arrive ainsi à la question de l'alternance, qu'on mobilise dès qu'on a un problème. Revenons à sa définition : c'est l'aller et retour entre une situation professionnelle et une situation de formation. Mais il faut évidemment qu'elle participe d'un processus de formation. Il ne suffit pas d'organiser des stages, encadrés par des inspecteurs pédagogiques régionaux ou par des correspondants IUFM : cela a déjà été pratiqué avec des résultats relativement limités. À ce propos, je note que l'« effet maître » est diversement apprécié : l'Institut de recherche sur l'éducation (IREDU) estime qu'il ne compte que pour 2 % dans l'apprentissage des élèves ! N'utilisons que prudemment l'expression « la science montre… » : souvent, elle n'est que controverse !
On dispose sur ces sujets de travaux auxquels on peut reprocher de faire une place insuffisante à la transmission des savoirs, mais qui peuvent aider à penser l'alternance : je pense par exemple à la réflexion sur les pratiques professionnelles menée par Luc Ria au sein de l'Institut français de l'éducation (IFÉ), rattaché à l'École normale supérieure de Lyon.
S'agissant de la recherche, il faut distinguer deux sujets : la place à lui faire dans la formation, d'une part ; la contribution de la recherche en éducation, d'autre part.
Sur le premier point, il y a danger : le futur enseignant devra passer de 30 à 50 % de son temps sur le terrain, suivre le master, préparer et réussir un concours… Actuellement, pour les masters, on en arrive à un volume de 900 ou 1 000 heures : enlevons 30 % de temps consacré au stage, il faudra se contenter de 700 heures au mieux. Ça ne rentre pas ! En tout cas, ce ne sera pas simple et il faudra donc déployer une grande inventivité pour imaginer des moyens de faire irriguer la formation par la recherche. En tout état de cause, cette recherche ne doit pas être « applicationniste », monsieur Hetzel : la praxéologie vise à installer la réflexivité dans la pratique, ce qui ne peut s'acquérir que dans le temps long.
Quel rôle les ESPE peuvent-elles jouer pour ce qui est de la recherche en éducation, qu'il ne faut surtout plus réduire à la recherche « en sciences de l'éducation » ? Je rejoins sur le sujet la position de Denis Kambouchner qui, dans son dernier livre, distingue trois sujets d'étude : les apprentissages, en s'appuyant sur la psychologie cognitive, la culture telle qu'elle peut se concevoir dans une société démocratique moderne, et la consistance des savoirs à enseigner. Tels sont les trois chantiers par rapport auxquels les ESPE auront à se situer.
La formation commune – laïcité, questions de genre, etc. – figurait dans les missions assignées aux IUFM : il fallait construire une culture commune d'appartenance pour le premier et le second degré. Mais c'est un point sur lequel il faut bien constater un échec et ce n'était d'ailleurs pas une mince affaire. Dans le cadre de la concertation, j'ai pour ma part appelé à distinguer trois sortes de savoirs : les savoirs à enseigner, les savoirs pour enseigner et les savoirs pour exercer la mission. C'est parmi ces derniers que se placeraient la formation à la laïcité, l'histoire et la philosophie de l'éducation, sans d'ailleurs qu'ils s'y réduisent : il faut probablement y faire entrer aussi des éléments relatifs aux situations d'enseignement. Jeune professeur à Hénin-Beaumont dans les classes de terminale G3 – techniques commerciales –, j'étais confronté à des élèves rétifs à la philosophie et c'est un peu de sociologie qui m'a aidé : il faut connaître les publics auxquels on s'adresse. C'est d'ailleurs ce qu'enseigne Spinoza : on ne s'affranchit des déterminismes qu'en les connaissant. Cela étant, je n'indique là que des pistes. Je me garderai bien d'être prescriptif sur le sujet.
On m'a posé une question sur ce qu'il convenait de conserver des IUFM, sans doute avec une arrière-pensée : je sais en effet que, les locaux de ces instituts étant en général leur propriété, certains conseils généraux essaient de mettre à profit le vide séparant la mort des IUFM de la naissance des ESPE pour reprendre possession de ce patrimoine, avec l'assentiment des universités qui ne peuvent pourvoir à son entretien. C'est le cas notamment à Besançon où l'université de Franche-Comté n'a pas les 22 millions d'euros nécessaires à l'entretien du fort Griffon, classé au patrimoine mondial de l'UNESCO, et où l'ESPE va être installée sur un autre site où elle se trouvera à l'étroit. Dès lors, je répondrai à celui qui m'a interrogé sur le sujet qu'il m'est égal de conserver ou non ces bâtiments : les IUFM ont eu une histoire diverse et contrariée, mais c'est maintenant l'histoire – à laquelle on consacre d'ailleurs des thèses. Aujourd'hui, il s'agit de repenser la formation des maîtres en sorte qu'elle ne soit plus le parent pauvre qu'elle est depuis les années quatre-vingt.