Intervention de Mercedes Erra

Réunion du 4 juillet 2012 à 16h15
Commission des affaires économiques

Mercedes Erra, présidente d'Euro RSCG :

Le sujet proposé est très vaste. Je n'ai donc pas cherché à m'intéresser aux diverses strates de population, pour lesquelles la question se pose en termes très différents. Il va de soi, par exemple, qu'aucune action publicitaire ne pourra donner aux personnes démunies les moyens qu'elles n'ont pas pour consommer davantage !

Comme vous l'avez dit Monsieur le Président, la consommation des ménages représente aujourd'hui plus de 55 % du PIB : aussi, quand la consommation éternue, c'est la croissance qui s'enrhume fortement !

Or, en 2011, la consommation des ménages a marqué le pas avec une progression de 0,3 % en volume. Les prévisions pour 2012, qui anticipent une stagnation voire une baisse, ne sont pas meilleures.

Si la baisse de pouvoir d'achat joue cette année, elle n'explique pas à elle seule l'érosion de la consommation, qui tient aussi à des facteurs irrationnels. Celle-ci est en effet liée à une absence de perspective. Ainsi, en 2008-2009, au plus fort de la crise économique, il n'y a pas eu de baisse du pouvoir d'achat : pourtant, la consommation a chuté de 2 % pendant les neuf premiers mois de 2009. En effet, 80 % des gens pensaient que leur pouvoir d'achat s'était réduit ; 80 % se disaient également touchés par la crise – dont 35 % dans leur vie de tous les jours – contre seulement 30 % des Américains, qui étaient alors confrontés à des problèmes beaucoup plus importants !

Ce sentiment négatif perdure aujourd'hui, en raison d'une absence de confiance des Français, qui limite leur projection dans l'avenir. Il en résulte un accroissement du taux d'épargne aux dépens de la consommation. Le premier enjeu est donc de redonner les clés de la confiance.

Ce sentiment est également lié à une perception d'absence de sens ainsi qu'à une interrogation sur ce qu'on achète et à la notion même de consommation. Pour relancer celle-ci, la façon de la raconter sera donc importante, et on ne pourra le faire de la même manière aujourd'hui qu'hier.

Selon le dernier baromètre de référence sur l'optimisme des pays, la France fait partie des plus pessimistes du monde : nos concitoyens sont ainsi plus pessimistes pour les cinq prochaines années que les Pakistanais, les Irakiens ou les Afghans, même s'ils sont plus optimistes sur des questions plus personnelles !

L'incapacité à se projeter dans l'avenir est liée à un sentiment d'incertitude économique, politique, sociale, voire morale. Je ne citerai que quelques chiffres : 34 % des Français sont inquiets sur leur capacité à boucler leurs fins de mois, 50 % ont peur de perdre leur travail ou de voir leur conjoint perdre le leur – alors que ce risque est en fait de seulement 1 % chaque année lorsqu'on dispose d'un contrat à durée indéterminée (CDI) – et 64 % pensent qu'ils n'auront pas assez d'argent pour prendre leur retraite.

Ces différentes peurs conduisent à différer les achats importants – c'est le cas notamment dans le secteur automobile – et à accroître l'épargne pour faire face à d'éventuelles difficultés. La crainte de s'engager se traduit également par une chute sensible des abonnements.

L'incapacité à se projeter dans l'avenir est également entretenue par des discours ou des mots qui font peur.

À côté de la problématique de la confiance, se pose celle de la demande de sens. La consommation a longtemps remplacé les perspectives offertes par les idéologies du XXesiècle. Le progrès était alors apprécié en fonction des avancées enregistrées dans la consommation. Or aujourd'hui, les gens pensent que leurs enfants auront moins qu'eux-mêmes ce qui conduit à une mise à distance de la consommation. Il faut donc, pour relancer celle-ci, en parler autrement.

C'est la raison pour laquelle les consommateurs ne réagissent plus de la même façon face aux produits et aux marques. En tout état de cause, 60 % des Français disent avoir vécu la crise non seulement comme une crise financière mais aussi comme une crise morale. Ce faisant, ils ont remis en cause la façon dont ils vivaient et, par conséquent, leur manière de consommer. Cette remise en cause est si profonde qu'elle fait dire à 70 % d'entre eux que la société va dans la mauvaise direction, qu'elle est superficielle et paresseuse.

Les gens croient moyennement à la notion de « consommation bonheur » et ne veulent plus entendre parler de futilité ou de plaisir superficiel. Le mot clé aujourd'hui est celui d'utilité, qui ne recouvre pas toujours une logique rationnelle : il peut être incarné par exemple par l'iPhone, qui permet d'être relié au monde moderne. La notion d'essentialité est également importante : il est ainsi très difficile de faire souscrire des crédits revolving pour des achats qui ne sont pas essentiels, alors que les consommateurs sont beaucoup plus ouverts pour des investissements fondamentaux, comme l'éducation de leurs enfants. Un même produit peut donc être jugé tantôt de façon positive, tantôt de façon négative.

Quand on demande aux consommateurs sur quels postes principaux ils seraient prêts à dépenser davantage en cas de hausse du pouvoir d'achat, ils évoquent l'alimentation, la santé, les loisirs, la culture, l'éducation ou l'enseignement. Ces secteurs correspondent d'ailleurs à ceux qu'ils jugent importants pour leur vie personnelle.

En conclusion, pour relancer la consommation, la confiance est un facteur clé. À cet égard, la France, qui est pourtant dans une situation relativement plus favorable que d'autres pays, pourrait tenir un discours plus positif, faute de quoi même les riches arrêteront de consommer ! Par ailleurs, notre terminologie doit changer et nous devons parler différemment de la consommation, sachant que les gens attendent non de consommer plus, mais mieux.

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