Madame la présidente, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames et monsieur les rapporteurs, mesdames et messieurs les députés, Sénèque disait qu'il faut commander à l'argent, et non pas le servir. Vingt siècles plus tard, cette maxime n'a perdu ni de son tranchant, ni en vérité de sa pertinence.
Reprendre la main face aux dérives de la finance, répondre avec précision aux causes profondes de la crise financière qui a ébranlé les économies occidentales, renforcer – et c'est votre rôle – le contrôle démocratique sur un secteur qui depuis fait l'objet d'une défiance certaine – soyons lucides à cet égard – telle est l'ambition du projet de loi soumis à votre examen, de cet effort affirmé et assumé de régulation, de moralisation et de contrôle que nous menons ensemble et que je suis fier de porter devant la représentation nationale.
Notre devoir collectif, celui de l'exécutif bien sûr, mais aussi celui de la représentation nationale, consiste à tout faire pour éviter qu'après les errances qui ont engendré la crise de 2008 et celles des années qui l'ont précédée, les mêmes causes ne produisent demain, sait-on jamais, les mêmes effets.
C'est pourquoi le projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires a pour fondement une analyse à la fois précise et sans complaisance des causes de la crise financière, qui sont évidemment multiples et complexes. J'ai déjà fait part de ma lecture de ces causes à la commission des finances, dont nous examinons aujourd'hui le texte. Je me contente donc de les évoquer brièvement, pour rappeler à tous le contexte.
Si la crise financière est bien, notamment, une crise de l'endettement, c'est largement le manque de régulation de la finance et, en son sein, des activités du secteur bancaire, qui a mis le feu aux poudres. Pour être précis, c'est la conjonction de trois facteurs qui selon moi a provoqué la déflagration de 2008.
Le premier facteur, tout d'abord, tient à une mauvaise compréhension et à une mauvaise gestion des risques, liées à la complexité et au manque de transparence des acteurs financiers.
Le deuxième facteur tient à des incitations perverses pour les acteurs de la finance, largement liées à ce que l'on appelle l'aléa moral, lequel amène les États à garantir in fine les risques excessifs pris par les banques sans forcément obtenir de contrepartie adéquate. Je ne veux pas revenir ici sur le débat précédent concernant le dépôt du rapport annuel de la Cour des comptes : je brûlais d'envie de le faire, mais nous y reviendrons ultérieurement.
Le troisième facteur enfin repose sur une approche de la régulation trop axée sur les comportements individuels, et qui ne prend pas en compte les déséquilibres globaux – appelons-les « systémiques » – du système financier.
L'objet du projet de loi que je vous présente est donc simple : répondre, point par point, à chacune de ces défaillances, parce que si nous apurons encore aujourd'hui le passé, il nous appartient d'écrire un avenir différent. C'est même notre responsabilité.
Pas plus que cette assemblée, le Gouvernement ne se résout à l'impuissance face aux dérives de la finance. Le projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires vient donc, j'ai la prétention de le dire, réformer durablement le secteur. Nous ne sommes pas là en train de faire une loi de papier, une loi de circonstance, une loi éphémère. En outre, notre réforme sera la première à entrer en vigueur en Europe. Elle s'organise autour de trois grandes lignes de force.
Tout d'abord, le projet de loi s'attaque aux activités spéculatives des banques, en matérialisant notamment la promesse de campagne de François Hollande, alors candidat, de séparer « les activités des banques qui sont utiles à l'investissement et à l'emploi, de leurs opérations spéculatives » ; il s'agit là de son septième engagement.
Par ailleurs, la réforme protège les dépôts des épargnants, mais aussi les contribuables, dont l'argent ne doit plus être, comme c'est le cas aujourd'hui, le premier mis à contribution pour sauver un établissement en faillite.
Enfin, il s'agit d'instaurer un contrôle efficace et préventif des risques, au sein des banques, et plus largement pour le système financier dans son ensemble.
J'ai parlé de trois grandes lignes de force, mais nous sommes au pays d'Alexandre Dumas, et il y en a donc forcément une quatrième – plus concrète, tournée vers les consommateurs et à laquelle je suis profondément attachée : elle permettra de renforcer la protection des clients, à commencer par les plus fragiles. Cela répond à une attente forte de nos concitoyens, qui ont eu, et ont encore – avouons-le – le sentiment que l'État se préoccupait jusqu'alors davantage des banques que de leur propre sort, idée qu'il convient de renverser.
Voilà très succinctement brossés les grands axes de ce projet de loi, les principes clés qui m'ont guidé dans son élaboration. Si ces combats doivent également être portés au niveau européen et international – nous l'avons évoqué tout à l'heure à propos des paradis fiscaux – il nous revient, ici et aujourd'hui, de tracer la voie et de faire la démonstration qu'une régulation efficace et intelligente du secteur bancaire est possible, dans la discussion et la coopération avec la majorité, dans le débat avec l'opposition – et il a été respectueux – mais en gardant toujours en tête que ce que nous faisons, nous le faisons pour notre pays, pour le redressement de notre économie et pour l'avenir de notre jeunesse.
Je vais à présent reprendre ces différents points. Le projet de loi qui vous est soumis met tout d'abord en oeuvre avec précision et fidélité – j'y insiste – l'engagement pris par le Président de la République, François Hollande, de séparer les activités utiles au financement de l'économie et à l'emploi des activités spéculatives des banques. Il le fait en ayant l'ambition de changer à la fois les structures et les comportements. C'est l'une des mesures essentielles de ce texte, qui isole strictement – j'ai parlé de « mise en quarantaine » – les activités spéculatives, c'est-à-dire des activités que la banque mène pour compte propre mais en exposant au risque les dépôts de ses clients.
Les banques devront à l'avenir, si vous le décidez, créer une filiale ad hoc, soumise à une réglementation prudentielle stricte, et isoler dans cette filiale leurs activités spéculatives. Cette filiale qui, selon un amendement de la commission des finances que j'ai accepté, n'aura ni le même nom ni la même gouvernance que la maison mère devra être capitalisée et financée de manière autonome. Elle aura, en vérité, sa vie propre.
Cette disposition peut paraître technique. Elle a en réalité une portée dont il faut bien mesurer l'ampleur : la banque ne pourra plus utiliser demain les dépôts des épargnants pour financer les activités spéculatives de la filiale ou pour la sauver si cette filiale venait à rencontrer des difficultés. Ce dernier point, renforcé par le travail en commission, est essentiel : il signifie concrètement que, même en cas de difficultés, la maison mère ne pourra pas financer davantage sa filiale, quitte à la condamner. Ce sont ceux qui ont pris la responsabilité de spéculer qui devront en payer le prix.
Si le texte choisit d'isoler spécifiquement ces activités, c'est parce que ce sont elles qui ont concentré le gros des pertes que les banques françaises ont essuyées sur les marchés pendant la crise. Le cantonnement aura donc un double effet : il va à la fois protéger la maison mère et ses clients, et empêcher que les activités pour compte propre ne retrouvent leur niveau d'avant la crise, lorsqu'elles menaçaient la stabilité financière. J'insiste encore une fois : si la filiale venait à se trouver en difficulté, la loi prévoit explicitement que la maison mère ne pourrait se mettre en danger pour la sauver. Elle instaure pour cela des règles dites « d'exposition » très strictes.
Quant aux activités qui ne seront pas cantonnées dans la filiale, elles ne seront pas pour autant laissées sans surveillance. Au contraire, elles feront l'objet d'un encadrement très précis et d'une surveillance étroite de la part de l'Autorité de contrôle prudentiel, qui devient l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution. Au total c'est l'ensemble des activités que les banques mènent sur les marchés financiers qui seront à l'avenir soumises à des règles strictes et à un contrôle étroit.
La séparation des établissements faisait, et fait encore l'objet d'importantes attentes chez certains d'entre vous. Je veux donc vous dire ici ce qui a fondé l'approche retenue dans ce projet de loi. Si j'avais estimé que couper les banques en deux pouvait permettre d'une quelconque manière de répondre aux causes profondes de la crise, je l'aurais fait. Ce n'est pas par compromission ou à la suite de je ne sais quelle intervention que ma main a tremblé ; ce n'était simplement pas ma conviction. J'ai donc fait le choix, assumé, de ne pas poursuivre au nom d'une pureté des formes qui pouvait pourtant être séduisante une option qui aurait risqué, compte tenu de la spécificité du modèle bancaire français, de mettre en danger le financement de nos entreprises sans pour autant traiter les causes de la crise.
J'ai eu l'occasion de le dire souvent, je le redis devant la représentation nationale : je suis le ministre de tutelle des banques et, à ce titre – personne ne m'en voudra ! – le partenaire des banquiers ; mais je ne suis ni leur avocat, ni leur défenseur – je le dis avec la même tranquillité. Nous avons eu, pour préparer ce projet de loi, des échanges nombreux, courtois – c'est bien le moins – mais aussi vifs et parfois tendus – ce qui est également normal. Les banquiers ne souhaitaient sans doute pas ce texte, ils n'étaient pas demandeurs ; il fallait néanmoins faire cette réforme. Ils la trouvent à certains égards trop dure : je l'assume ; ils peuvent sans doute vivre avec : je l'assume aussi. Car au final, mon but n'est pas de faire mal aux banques ! C'est de faire mieux pour le financement de l'économie. En vérité, l'amélioration du financement de l'économie est compatible avec une vraie réforme.
Nous avons longuement évoqué ce sujet en commission des finances, je ne m'y attarde donc pas. Je voudrais simplement rappeler quelques faits. D'abord, aucun type de banque n'a été épargné par la crise. Des banques d'investissements comme des banques commerciales ont dû être sauvées, alors que nos banques universelles, combinant banques de dépôt et banques d'investissement, ont plutôt mieux résisté. Nous discutions ce matin, au conseil Ecofin, des principes du FMI et de l'évaluation qu'il fait des systèmes bancaires nationaux : les ratios de solvabilité ou de liquidité de nos banques ont plutôt de quoi nous rassurer, ce qui n'est pas une mauvaise chose.
Le problème n'est donc pas là, et l'ensemble des acteurs que j'ai consultés, au premier rang desquels les syndicats, sont d'ailleurs en accord sur ce point. Ensuite, couper les banques en deux aurait impliqué de créer – ou recréer – des banques d'investissement indépendantes. Or la crise a montré la très grande fragilité de ces acteurs, qui ont presque tous disparu depuis, à l'exception de Goldman Sachs et Morgan Stanley, lesquels ont joué, chacun à leur manière, un rôle particulier pendant la crise. Comme responsable du financement de notre économie, mais tout autant comme homme de gauche, je ne recommande pas ces modèles à nos établissements. Je ne vois pas l'intérêt de créer en France des banques de dépôt privées d'accès aux financements de marché et des banques d'affaires moins compétitives, et donc vulnérables et soumise aux prédations internationales. Enfin, ayons conscience du fait que couper les banques en deux conduirait à faire disparaître une offre de services que les banques françaises peuvent aujourd'hui proposer à nos entreprises, et que ces dernières devraient sinon aller chercher ailleurs, auprès des banques étrangères. J'y vois donc non seulement une question de financement de l'économie, mais aussi de souveraineté.
Ceci posé, il y avait un curseur à placer, et j'ai d'emblée fait part de ma disponibilité pour discuter avec vous, mesdames et messieurs les députés, du juste équilibre à trouver. J'ai entendu les critiques exprimées sur la taille jugée trop modeste des filiales cantonnées – on a parlé de 1 à 3 % – ainsi que les doutes sur la nature réelle des activités dites de tenue de marché, ce que l'on nomme en anglais le market making. Celles-ci, comme l'ont dit aussi bien la Banque centrale européenne que le commissaire européen chargé de la réforme bancaire, Michel Barnier, ne peuvent être considérées comme purement spéculatives, même s'il est vrai que de la spéculation peut s'y dissimuler, ce dont nous devions tenir compte.
C'est pourquoi il fallait aller plus loin que la rédaction initiale du projet, pour donner la main au politique. Les propositions de la commission – et je veux saluer ici les solutions ambitieuses et intelligentes de la rapporteure, Karine Berger, tout particulièrement sur ce sujet – ont permis de renforcer la séparation des opérations spéculatives des banques de leurs activités utiles à l'économie réelle, autour d'un mécanisme à la fois précis et souple. Le texte prévoit aussi d'encadrer l'activité de tenue de marché en la définissant strictement, ce qui n'était pas le cas jusqu'à présent, grâce à une série d'indicateurs proposés dans un amendement adopté à l'initiative de Laurent Baumel, pour que les banques ne puissent y dissimuler des opérations spéculatives. Tout cela donne au ministre de l'économie et des finances le pouvoir de limiter le montant des opérations de tenue de marché conservées dans la banque universelle.
En permettant au Gouvernement de disposer de ciseaux ou, en d'autres termes, d'élargir le périmètre des filiales dans lesquelles seront cantonnées demain les activités spéculatives ou les activités pour compte propre des banques, et en donnant au ministre – à tous les ministres qui se succéderont à Bercy – le pouvoir de fixer le seuil à partir duquel les activités de tenue de marché pourront être filialisées, le texte vient donc garantir – ce qui est une avancée essentielle – que le régulateur puisse s'adapter aux évolutions de la spéculation, sans peser à l'excès sur le financement de l'économie. Et je crois sincèrement que le travail fait par votre commission des finances sur ce sujet est exemplaire.
Ces filiales seraient sans doute aujourd'hui beaucoup plus petites qu'elles ne l'auraient été en 2008, car la spéculation a diminué dans nos banques. Qui s'en plaindrait ? Pas moi. Elles pourraient aussi, si le politique en décide, et notamment si une spéculation exubérante devait reprendre demain, devenir beaucoup plus importantes. Notre démarche conjugue donc fermeté et souplesse. Nous avons là – et j'en remercie la majorité, qui a oeuvré bien seule lors de l'examen du texte en commission – une avancée majeure du texte, qui préserve ses grands objectifs et à laquelle chacun, je pense, peut aujourd'hui se rallier.
Mais le projet de loi ne vise pas seulement à changer les structures : il veut aussi et avant tout peser sur les comportements. De ce point de vue, les dispositions relatives à la « résolution » des banques en difficulté sont un complément indispensable du volet « séparation ».
Observez d'ailleurs – et je reparlerai de l'Europe – que, quand nous parlons d'union bancaire à l'échelle européenne, nous ne parlons pas uniquement de la supervision mais également de la résolution et de la garantie des dépôts, dimensions que notre projet de loi prend toutes en compte.
Il s'attaque en effet directement à l'« aléa moral » qui existe aujourd'hui dans les banques et qui, de manière particulièrement choquante pour nos concitoyens, est l'une des causes essentielles de la crise. J'appelle chacun d'entre vous ici à y réfléchir, car je lis parfois que cette réforme serait une réforme pour rien. C'est ignorer que nos concitoyens attendent, eux, un véritable changement – qu'il est certains comportements qu'ils ne supportent plus.
Souvenons-nous de 2008 : à l'époque, des États ont été contraints d'intervenir avec l'argent des contribuables pour empêcher des faillites de banque, qui auraient eu des conséquences désastreuses pour l'économie. Ces banques avaient pris des risques excessifs, anticipant qu'en cas de banqueroute l'État viendrait à la rescousse. En d'autres termes, elles ont risqué l'argent des déposants tout en étant assurées que le contribuable viendrait à leur secours. Il est essentiel de désamorcer ce mécanisme, non seulement, et évidemment, amoral – d'où l'expression « aléa moral » – mais qui conduit même à maximiser la prise de risque, précisément parce que les spéculateurs savent qu'in fine ils ne seront pas les payeurs. Je résumerai donc un peu sommairement le volet « résolution » du projet de loi par la formule « qui faute, paie », en ajoutant que celui qui faute ne doit plus pouvoir décider : il doit être sanctionné.
L'objectif est de protéger les déposants et les contribuables en renforçant la capacité d'intervention des autorités publiques, qui doivent pouvoir prendre la main lorsque cela est nécessaire.
Le projet de loi prévoit tout d'abord de doter le superviseur bancaire, l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, de vrais pouvoirs d'intervention dans la structure et le fonctionnement de la banque. Ces pouvoirs doivent lui permettre d'empêcher qu'une banque en difficulté ne fasse faillite, par exemple en transférant ou en cédant d'office tout ou partie de ses actifs ou de son activité, en nommant un administrateur provisoire ou en créant une banque relais en vue d'une cession.
Depuis neuf mois que j'occupe mes fonctions au ministère des finances, il m'eut été utile de disposer de tels outils dans des situations concrètes que je ne peux évoquer ici.
Surtout, cette nouvelle autorité pourra en premier lieu faire peser les pertes d'une banque sur ses actionnaires et certains créanciers plutôt que sur les épargnants ou les contribuables. Ce dispositif est l'un des piliers de ce texte. Il met un terme à la socialisation des pertes des banques en faillite en imputant le coût des risques excessifs d'abord à ceux qui les ont pris au lieu de les faire porter par la collectivité.
Et comme l'aléa moral est aussi et d'abord celui des dirigeants, il est prévu que l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution puisse les révoquer lorsque leur banque connaît des difficultés.
À ceux pour qui ces mesures paraissent cosmétiques ou trop faibles, on peut donc opposer la réalité de ce texte.