Les agences de notation relèvent désormais de la compétence de l'ESMA. Si je deviens président de l'AMF, c'est donc dans ce cadre que je participerai au débat. Comme je l'ai déjà dit, ces agences, étant internationales, ne peuvent être régulées qu'à l'échelle internationale. Beaucoup a été fait : des règles techniques et éthiques leur sont désormais imposées. Je ne suis cependant pas sûr que nous ayons réglé le point majeur qui a été évoqué : lorsque vous donnez un triple A à des produits financiers alors que vous avez aidé leur concepteur à les structurer de telle façon qu'ils remplissent les conditions pour l'obtenir, sachant que votre rémunération dépend de votre qualité de conseil, vous n'êtes plus un notateur, mais un conseil. Vous n'êtes donc plus neutre. D'autres éléments techniques font que le triple A des produits titrisés n'avait rien à voir avec celui d'un État ou d'une grande entreprise. Il faut donc, si possible en accord avec les États-Unis, où les plus grosses agences ont leur siège, renforcer la discipline et la lutte contre les conflits d'intérêts.
Mais la principale question n'est pas là – ou pas seulement. Elle est surtout de savoir si l'on peut enlever des textes la référence à la notation. Voilà en effet des années que les régulateurs et les États ont remis une partie de leurs pouvoirs dans les mains de notateurs privés, qui ont leurs intérêts propres. Est-il si évident qu'un directeur financier de caisse de retraite – pour prendre un exemple – doive investir uniquement dans des produits notés triple A ? S'il doit investir dans des produits de taux, à lui de voir si l'émetteur est fiable. Il peut certes avoir recours à des agences de notation ; pour autant, ne laissons pas croire qu'il sera protégé contre toute critique s'il investit dans du triple A. Mais c'est revenir sur une longue tradition.
J'en viens aux hedge funds. La meilleure façon de les réguler n'est pas de limiter leur propre levier comme le suggérait votre question, monsieur le rapporteur général : dans la mesure où nous n'avons pas de juridiction sur eux, c'est très difficile. Mieux vaut agir via leurs banquiers, en disant qu'une banque régulée – ce qui dépend moins de l'AMF que des régulateurs prudentiels – ne peut pas aider des hedge funds à avoir des leviers plus importants qu'un niveau que l'on détermine.
L'autre façon de réguler les hedge funds consiste à lutter contre les paradis fiscaux et juridiques, qui sont généralement des excroissances de la finance britannique ou américaine – leurs personnels viennent de ces places et localisent leurs opérations ailleurs. Le sujet relève soit de la régulation entre les États, pour essayer de discipliner les paradis fiscaux, soit de la régulation bancaire. Je suis loin d'être le premier à le dire : des pas ont déjà été faits dans cette direction. Même si les hedge funds se défendent d'avoir joué un rôle néfaste dans la crise, il y a matière à discussion. Dans l'affaire LTCM, par exemple, s'il n'y avait pas eu le régulateur bancaire américain, tous les marchés obligataires de la planète auraient connu un krach à cause des positions monstrueuses prises par les prix Nobel d'économie et les mathématiciens qui inspiraient LTCM…
La question la plus importante qui m'a été posée concerne les marchés de gré à gré. Les transactions de gré à gré sont en effet plus opaques et dangereuses que les autres. Surtout, il n'y a pas de compensation. L'intérêt d'un marché compensé, c'est que lorsque vous achetez une action, vous savez qu'on vous la livrera, et que lorsque vous la vendez, vous savez que vous aurez le prix. Dans un marché de gré à gré, vous faites confiance en une seconde à votre contrepartie, qui fera peut-être faillite demain. C'est pour cette raison que le dossier Lehman n'est toujours pas soldé : un grand nombre de produits Lehman faisant l'objet de transactions sur des marchés de gré à gré, il faut des milliers d'heures d'auditeurs compétents pour arriver à retrouver où est la contrepartie.