La France et la Serbie ont signé en 2009 un accord de coopération policière. Le Sénat en a autorisé la ratification en juillet dernier et c'est maintenant à nous de nous prononcer.
Ce type d'accord n'est pas rare ; la France a signé près d'une quarantaine d'accords de coopération policière avec différents pays et la Serbie une vingtaine. Outre son actualité après l'audition de Mme Grubjesić, celui que nous étudions aujourd'hui est cependant significatif car il s'inscrit dans un mouvement plus général, celui de la normalisation des relations extérieures de la Serbie et de son intégration européenne.
Vous savez que ce mouvement s'est engagé en 2000, avec la chute du régime Milosević après la guerre du Kosovo. Le présent accord a été négocié à la demande des Serbes et a été suivi d'un texte de portée plus générale entre la France et la Serbie, l'accord de partenariat stratégique et de coopération conclu en 2011. Parallèlement, la Serbie s'est portée candidate à l'Union européenne en 2009 et dispose du statut de candidat depuis mars 2012. Même si elle est difficile et, comme l'a rappelé la Présidente, liée à la question du Kosovo, l'intégration européenne de la Serbie me paraît être un mouvement irréversible. À cet égard, les élections qui se sont tenues en mai 2012 ont été un test, avec la victoire inattendue aux législatives du parti SNS et de son candidat Tomislav Nikolić aux présidentielles, contre le président sortant Boris Tadić. En effet, la victoire de M. Nikolić pouvait inquiéter au regard de son passé nationaliste, alors que son prédécesseur avait toujours manifesté son engagement européen. Mais le nouveau président s'est inscrit dans la continuité européenne de M. Tadić.
Le présent accord s'inscrit dans la logique d'intégration européenne de la Serbie, non seulement parce que la multiplication d'accords de ce type rend compte d'une normalisation de la situation internationale de ce pays, mais aussi, plus spécifiquement, comme j'y reviendrai, parce que certaines de ses stipulations devraient encourager la Serbie à se rapprocher des standards juridiques européens sur certains points sensibles.
Du point de vue de notre pays, cet accord est aussi un élément de la réintégration de la Serbie au jeu normal des relations et des coopérations qui existent entre les nations pacifiques et démocratiques.
Mais cet accord répond également, du point de vue français, à des intérêts plus concrets. Nous le savons, un certain nombre de réseaux de criminalité, de délinquance et de trafics divers se développent depuis les Balkans. Ce phénomène est réel, même s'il ne doit bien sûr pas être exagéré, comme le démontrent les statistiques : en 2011, dans le fichier national des infractions, les mis en cause de nationalité serbe n'ont représenté que 0,08 % du total et 0,29 % des étrangers.
Depuis le début des années 2000, la France met donc en oeuvre une stratégie régionale de sécurité intérieure spécifique pour les Balkans occidentaux. Un pôle régional de lutte contre la criminalité organisée a été installé dans notre ambassade à Zagreb. S'agissant de la Serbie en particulier, nous avons doté notre ambassade d'un service de sécurité intérieure en 2002 et développé une coopération policière, avec notamment la mise en oeuvre de stages de formation, à laquelle nous avons consacré, ces dernières années, de l'ordre d'une centaine de milliers d'euros par an.
Nous n'avons donc pas attendu d'avoir un accord en bonne et une forme pour engager certaines formes de coopération administrative avec la Serbie dans le domaine policier. Mais la passation de l'accord dont nous discutons était utile pour faire ressortir les droits et obligations de chaque partie et donner une plus grande sécurité juridique à cette coopération. Elle permet aussi d'envisager certains types d'échanges qui sont impossibles sans base de droit, notamment, comme on y reviendra, la transmission de données à caractère personnel. Les rédacteurs de l'accord ont recherché un équilibre entre l'efficacité de la coopération prévue et le maintien de garde-fous solides qui préservent un principe nécessaire : une véritable coopération policière ne peut et ne doit se développer qu'avec des partenaires dont les standards de droit et de pratiques sont comparables aux nôtres.
L'accord prévoit et encadre donc différentes formes de coopération policière : échange d'informations, coordination d'opérations de protection des témoins, constitution éventuelle d'équipes mixtes, délivrance de formations, envoi d'officiers de liaison, etc.
S'agissant des garde-fous, je signale à l'article 9 la présence d'une clause au demeurant commune dans les accords de ce type : toute demande d'informations ou de coopération de l'autre partie pourra être refusée pour différent motifs, dont pas exemple l'ordre public et les intérêts essentiels de l'État. Une stipulation ainsi rédigée limite certes la portée de l'accord, mais permettra en pratique de faire valoir des intérêts politiques supérieurs pour refuser une demande.
Par ailleurs, l'article 11 de l'accord est consacré à la protection des données à caractère personnel. L'échange de données nominatives est évidemment particulièrement intéressant dans le cadre d'un travail policier, mais implique aussi des précautions particulières. Le quai d'Orsay m'a transmis des éléments précis sur ce point. En pratique, compte tenu du texte de l'accord et de la législation française, si la transmission d'informations nominatives par la Serbie à la France sera possible, dans l'autre sens, la transmission de telles données par la France à des pays extracommunautaires est tellement encadrée qu'elle est quasiment impossible dans un cadre de coopération administrative. C'est évidemment autre chose dans le cadre de l'entraide judiciaire, mais le présent accord n'en traite pas.
Sur cette question sensible des informations nominatives, il faut relever que la Serbie a fait de sérieux progrès dans le cadre de son processus de rapprochement des standards européens et pour pouvoir signer des accords tel que celui-là. Elle a adopté en 2008 une loi relative à la protection des données à caractère personnel et mis en place un organisme ad hoc qui semble réellement indépendant, traite de nombreuses plaintes et n'hésite pas à inspecter et critiquer l'administration.
Je vous invite donc à approuver cet accord pour deux raisons. D'une part, c'est une petite pierre dans le processus de normalisation et d'intégration européenne de la Serbie. D'autre part, il facilitera concrètement la lutte contre certains réseaux de criminalité transfrontalière.