Intervention de Pierre-Yves Rebérioux

Réunion du 7 février 2013 à 14h00
Mission d'information sur les immigrés âgés

Pierre-Yves Rebérioux :

Les politiques publiques tiennent peu compte de la fraction des immigrés extracommunautaires qui, âgés, isolés ayant généralement conservé leur nationalité, vivent dans l'habitat indigne et les hôtels dits meublés, c'est-à-dire dans les pires conditions qui soient : en comparaison, le « bas de gamme » des foyers de travailleurs migrants peut sembler correct. Totalement à l'écart de la société, ces personnes ne disposent d'aucun lien social et, compte tenu des caractéristiques de leur habitat, nous ne pouvons compter sur aucun gestionnaire pour nous permettre de les détecter et de porter attention à leurs besoins.

Sa situation n'est abordée, par les politiques publiques, qu'à travers l'éradication de l'habitat indigne, au croisement des politiques du logement et de la santé, sans prise en compte des caractéristiques de cette population. De ce fait, je ne suis guère à même de vous donner des informations précises sur le sujet qui mériterait pourtant d'être l'objet de travaux.

Quant aux foyers de travailleurs migrants (FTM), ils ont été conçus à l'origine à deux fins, toutes deux discriminatoires : produire du sous-logement et faire vivre les immigrés à l'écart de la société. Ces deux objectifs ont été parfaitement atteints. Quarante ou cinquante ans après leur création, la situation reste largement inchangée, bien que 40 % du programme de traitement des foyers ait été réalisé à ce jour. Les foyers Adoma représentent, avec les résidences sociales qui en sont issues, 55 % du secteur : ils offrent ce qu'on pourrait considérer comme le « moyen de gamme ». Or, il s'agit bien souvent de chambres de 7 mètres carrés, certes plus spacieuses que celles de 4,5 mètres carrés – le « bas de gamme » –, qui ont aujourd'hui disparu, mais dans lesquelles des immigrés, essentiellement maghrébins, ont vécu pendant quarante ou cinquante ans. Existent également des chambres à lits multiples, où sont logés pour l'essentiel des travailleurs originaires des régions subsahéliennes, issues majoritairement des ethnies Soninké et Bambara.

Ces logements étaient déjà d'un autre âge lorsqu'on les a construits. Le modèle économique fondateur visait à surveiller de la main-d'oeuvre bon marché, à la tenir à l'écart de la société françaises sans la faire bénéficier d'aucun travail social. Rien n'a changé à cet égard et ces conditions d'hébergement, déjà scandaleuses à l'époque, sont bien évidemment inadaptées à une population – toujours la même – qui dépasse soixante-dix, voire soixante-quinze ans. Dans certains foyers que j'ai visités, l'âge moyen dépassait soixante-quinze ans. Ces foyers fonctionnent toujours comme lors de leur création, avec seulement un responsable administratif et un ouvrier de maintenance, et ce sont plus de 20 000 chambres de 7 mètres carrés qui sont ainsi gérées par Adoma, sur un total de 60 000 !

Sur 110 000 lits ou logements, dans les FTM et dans les résidences sociales issues de leur transformation, environ 35 000 sont occupés par des personnes de soixante-cinq ans et plus, très majoritairement de nationalité étrangère. S'y ajoute une population de cinquante-cinq à soixante-quatre ans, appelée à vieillir dans cet habitat – FTM ou résidences sociales. Le problème apparu il y a de cela une vingtaine d'années n'est donc pas près de s'atténuer.

La fonction d'hébergement de main-d'oeuvre étant passée au second plan avec l'aggravation du chômage et le tarissement des flux d'immigration de travailleurs, on s'est posé la question du devenir de ces structures. Après la loi du 31 mai 1990 visant à la mise en oeuvre du droit au logement, le choix a été fait de transformer progressivement les FTM en résidences sociales de droit commun, mais sans apporter par là même de réponse satisfaisante aux besoins d'accompagnement des personnes, grâce à la mobilisation des dispositifs de droit commun et à un travail de médiation sociale. Il y a certes eu l'institution de l'aide à la gestion locative sociale (AGLS), mais celle-ci ne vise en rien à traiter les problèmes spécifiques des immigrés âgés. Cela étant, le bâti de ces résidences est convenable, voire de qualité, comme en témoigne la résidence Hector-Berlioz de Bobigny que monsieur le rapporteur a visitée, mais qui n'est pas parfaitement représentative de la qualité habituelle de ces établissements.

On a toutefois voulu intégrer la prise en compte des besoins des résidents, notamment des plus âgés, dans les politiques locales, autrement dit ne plus les laisser vivre à l'écart de la société. Ce qui implique des discussions longues et approfondies avec les collectivités territoriales afin de mobiliser leurs dispositifs sociaux de droit commun, par exemple pour le maintien à domicile. À la nécessaire transformation du bâti s'ajoute la volonté de réinsérer les immigrés âgés dans les préoccupations locales.

La navette des immigrés âgés entre la France et leur pays d'origine soulève une autre série de problèmes, qui ne tiennent nullement à la nationalité des personnes concernées – des Français circulant entre la France et l'étranger rencontreraient les mêmes –, mais au heurt entre un mode de vie et certaines règles fiscales et sociales. Ainsi, à la différence des retraites contributives qui sont « exportables » contrairement à ce que certains soutiennent, le bénéfice de prestations non contributives comme l'allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) est soumis à certaines conditions de durée de résidence. Par ailleurs, la résidence fiscale en France permet d'obtenir un avis d'imposition ou de non-imposition, qui sont eux-mêmes nécessaires pour accéder à l'aide personnalisée au logement (APL) ou faire renouveler la carte de résident de dix ans.

De plus, ces exigences sont différentes selon les régimes et les prestations. La résidence fiscale suppose de séjourner en France au moins pendant six mois et un jour et, si la durée est la même pour l'obtention de l'ASPA, après avoir été de neuf mois jusqu'en 2007, concernant l'APL, elle est de huit mois, non de résidence en France mais d'occupation du logement, ce qui pose des problèmes à certaines catégories de population.

Par ailleurs, le bénéfice de l'APL est réservé aux personnes dont les revenus individuels sont inférieurs à 1 100 euros par mois, mais la condition de revenu n'est que de 780 euros pour l'ASPA. Le public concerné par l'APL est par définition nettement plus nombreux que celui concerné par l'ASPA.

Ces règles de droit commun concernent un grand nombre de ménages – près d'un quart dans le cas des aides à la personne – au sein desquels les immigrés âgés ne représentent qu'une petite minorité. Instaurer des règles dérogatoires en leur seule faveur pose immédiatement le problème de la discrimination, fût-elle positive. Il n'est donc pas aisé de modifier des règles structurantes de droit commun non fondées sur la nationalité pour les adapter à un micro-public. Se greffe sur ce problème celui du respect du droit européen.

Pour contourner la difficulté, on a d'abord envisagé de créer une allocation spécifique qui, se substituant aux prestations existantes, permettrait aux immigrés de vivre plus longuement dans leur pays d'origine au cours d'une année. Une loi a été votée en ce sens, mais la rédaction du décret d'application s'est heurtée au droit communautaire : le Conseil d'État a fait valoir qu'une telle allocation, considérée par le droit communautaire comme une prestation de sécurité sociale, devait s'appliquer aux immigrés remplissant la condition de résidence, fixée en l'espèce à quinze ans, – dans n'importe quel pays de l'Union européenne, et pas uniquement en France. On imagine sans peine la portée politique et financière d'un tel dispositif ainsi que les problèmes concrets que poserait son contrôle.

D'autres solutions sont donc à rechercher.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion