Intervention de Pierre-Yves Rebérioux

Réunion du 7 février 2013 à 14h00
Mission d'information sur les immigrés âgés

Pierre-Yves Rebérioux :

La comparaison avec les chambres des cités universitaires, intéressante par elle-même, a cependant ses limites : un étudiant ne vit pas pendant quarante-cinq ans dans le même local et le « bas de gamme » des cités universitaires – des chambres de 9 ou 10 mètres carrés – correspond à peu près au « haut de gamme » des foyers de travailleurs immigrés. Toute l'hypocrisie de ce système, à partir de 1956, a consisté à faire comme si ces gens ne devaient rester dans ces foyers que quelques années et à continuer à en construire sur le même modèle jusqu'au début des années quatre-vingt. Je reviens en effet sans arrêt à la même observation : concevoir des hébergements spécifiquement pour les immigrés a toutes les chances de produire du sous-logement, en dessous des normes en vigueur. J'ai ainsi rencontré quelqu'un, à Montreuil, qui vivait dans 4,5 mètres carrés depuis quarante-deux ans !

Selon le recensement général, sur 350 000 immigrés âgés de soixante-cinq ans et plus, environ 100 000 vivent isolés, dont 60 000 de nationalité étrangère. Mais il s'agit là d'une sous-évaluation, aussi bien s'agissant des foyers que des hôtels dits « meublés », où les conditions de vie sont les mêmes et dont les pensionnaires passent une bonne partie de l'année dans leur pays d'origine, de sorte qu'ils sont souvent absents au moment du recensement. J'estime pour ma part à environ 30 000 le nombre de personnes vivant en habitat privé indigne et, alors que le recensement en compte 19 000, à 35 000, comme je l'ai dit, le nombre de celles qui sont logées en foyer ou en résidence sociale.

Le film La graine et le mulet, de 2007, a donné une image sympathique de leurs conditions de vie, mais hélas fort éloignées de la réalité, lorsque les enfants des immigrés âgés ne vivent pas en France.

Comment aller à la rencontre de ces publics ? Depuis une dizaine d'années s'est mise en place une politique d'éradication de l'habitat indigne sur laquelle vous pourriez prendre appui. Une table ronde réunissant des représentants de l'État et des collectivités territoriales permettrait de définir les conditions dans lesquelles une politique visant à résorber le mal-logement pourrait être complétée par la prise en compte d'une population spécifique, dont l'état de santé est parfois préoccupant. Mais ce genre de politique implique des interventions très fines, par bloc d'immeubles, sinon par immeuble – beaucoup plus fines par exemple que celles qu'a conduites l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) à Saint-Étienne et à Toulon.

La modification des conditions de durée de résidence pour ouvrir droit à l'aide à la réinsertion familiale et sociale (ARFS) des anciens migrants dans leur pays d'origine s'est faite dans le cadre d'un projet de loi pour lequel on a volontairement ignoré, pour des raisons politiques, l'avis du Conseil d'État. Celui-ci avait indiqué qu'on ne pouvait réserver, au regard du droit communautaire, au seul territoire français l'exigence d'une durée de résidence antérieure de quinze ans. L'article 58 de la loi du 5 mars 2007 a donc été ainsi adopté et n'a pas été soumis au Conseil constitutionnel.

Saisi du projet de décret d'application, le Conseil d'État a formulé les mêmes remarques que la première fois et indiqué qu'en cas de contentieux, le décret serait probablement annulé. Le risque juridique a alors semblé tel qu'on a renoncé à ce texte. D'où le blocage que j'ai mentionné.

En outre, le fait que la loi ait précisé que l'aide désormais prévue à l'article L. 117-3 du code de l'action sociale et des familles ne constituait « en aucun cas une prestation de sécurité sociale » attirait maladroitement l'attention sur la faiblesse du dispositif au regard du droit communautaire.

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