Intervention de Maryvonne Lyazid

Réunion du 7 février 2013 à 14h00
Mission d'information sur les immigrés âgés

Maryvonne Lyazid, adjointe du Défenseur des droits, vice-présidente du collège chargé de la lutte contre les discriminations et de la promotion de l'égalité :

Je vous remercie de permettre au Défenseur des droits de contribuer à vos travaux. Nous le faisons au titre de deux de nos missions : la défense des droits et des libertés des citoyens dans le cadre de leurs relations avec l'administration et la lutte contre les discriminations.

Nous évoquerons les obstacles rencontrés par les immigrés âgés dans cinq domaines : l'accès aux soins ; l'acquisition de la nationalité française ; l'accès aux droits sociaux ; le droit de mener une vie familiale normale ; la possibilité de bénéficier d'une sépulture conforme à leurs convictions religieuses.

Premièrement, en matière de santé et d'accès aux soins, les immigrés âgés cumulent plusieurs facteurs de vulnérabilité. Il en résulte une surmortalité chez les moins de soixante-dix ans, un état de santé dégradé et des souffrances psychiques pour nombre d'entre eux, ainsi qu'une dépendance plus précoce. D'après les chiffres de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV), les immigrés âgés ne consomment pas plus de soins que le reste de la population, mais y renoncent plus fréquemment.

En effet, le montant de l'ASPA – la prestation différentielle que perçoivent majoritairement les immigrés âgés – est supérieur au plafond de ressources applicable pour l'attribution de la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C). Quant à l'aide à l'acquisition d'une assurance complémentaire santé (ACS), elle est difficilement accessible aux immigrés âgés. De ce fait, ils sont souvent dépourvus de couverture maladie complémentaire.

Le Défenseur des droits recommande d'engager une réflexion, d'une part, sur les moyens de faciliter l'accès des immigrés âgés à l'ACS et, d'autre part, sur la possibilité d'exempter les bénéficiaires de l'ASPA résidant depuis plus de dix ans sur le territoire national de la condition de ressources susmentionnée.

S'agissant, deuxièmement, de l'acquisition de la nationalité française, la condition d'insertion professionnelle, qui se traduit par l'exigence de ressources au moins égales au SMIC, constitue un premier obstacle. Si elle peut se comprendre pour les immigrés âgés de moins de soixante ans, elle pose, au-delà de cet âge, une difficulté aux bénéficiaires de l'ASPA, dont le montant est largement inférieur au SMIC.

La condition d'assimilation à la communauté française, qui se traduit par l'exigence d'une bonne connaissance de la langue et d'une connaissance suffisante de l'histoire, de la culture et de la société françaises, représente un obstacle supplémentaire, difficile à surmonter pour certains immigrés très âgés, en particulier pour ceux d'entre eux qui sont illettrés.

Le Défenseur des droits recommande de faciliter l'acquisition de la nationalité française par les étrangers qui résident régulièrement en France depuis longtemps. Nous soutenons, à cet égard, la proposition de loi déposée par M. Jean-Christophe Lagarde, qui consiste à accélérer la procédure de traitement des demandes de naturalisation des étrangers présents depuis plus de dix ans en France. En outre, la condition de ressources pourrait être assouplie pour les étrangers âgés bénéficiaires de l'ASPA résidant sur le territoire national depuis plus de dix ans.

Troisièmement, la problématique de l'accès aux droits sociaux, en particulier à l'ASPA, est particulièrement complexe.

Une condition de résidence – ou « stage » – préalable a été imposée en 2006 aux bénéficiaires de l'ASPA et renforcée depuis : elle est portée de cinq à dix ans à partir de cette année. De plus, la résidence doit être attestée par la possession de titres de séjour autorisant à travailler pendant la durée correspondante. Il est difficile aux immigrés âgés de remplir ces deux exigences cumulées. Si elles peuvent se comprendre pour ceux qui ont moins de soixante ans, on peut s'interroger sur leur bien-fondé au-delà.

Le Défenseur des droits recommande d'engager une réflexion sur la cohérence du dispositif et de veiller à ce que ne soit imposée aucune condition excessive au regard de l'objectif de l'ASPA – assurer une forme de « minimum vieillesse » aux personnes âgées résidant régulièrement en France –, qui serait dès lors discriminatoire.

Par ailleurs, la HALDE et le Défenseur des droits ont relevé, respectivement dans deux délibérations d'avril et de septembre 2009 et dans une décision de 2012, des pratiques discriminatoires : appréciation restrictive de la condition de résidence par les organismes de sécurité sociale ; modalités de calcul contestables du montant des prestations ; absence d'information des intéressés ; ciblage des contrôles sur les personnes âgées résidant dans les foyers de travailleurs migrants ; contrôles peu respectueux des personnes, notamment lorsque les contrôleurs d'organismes de sécurité sociale exigent la présentation d'un passeport, alors qu'ils n'en ont pas le droit.

Toutes ces restrictions trouvant leur origine dans la condition de résidence sur le territoire français, le Défenseur des droits recommande de lancer une réflexion sur la portabilité de certains droits sociaux, en particulier l'ASPA.

Enfin, la possession par les étrangers de la carte de séjour portant la mention « retraité » – créée en 1998 à la suite du « rapport Weil », dans l'intention louable de faciliter la libre circulation de ces personnes entre la France et le pays d'origine – a pour effet de transférer leur résidence dans leur pays d'origine et, de ce fait, de les priver de l'accès aux droits sociaux soumis à condition de résidence en France : ASPA, revenu de solidarité active (RSA), APL, assurance maladie. Il convient d'engager une réflexion approfondie et urgente à son sujet, d'autant que nous sommes saisis de nombreuses réclamations la concernant. D'après les chiffres du ministère de l'intérieur, seules 14 000 cartes « retraité » auraient été délivrées, mais les préfectures inciteraient les immigrés âgés à y recourir, d'après les nombreux témoignages d'associations reçus par le Défenseur des droits

Quatrièmement, le droit de mener une vie familiale normale découle de textes européens, en particulier de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Les immigrés âgés de moins de soixante ans bénéficiaires de l'allocation aux adultes handicapés (AAH) subissent une discrimination en matière de regroupement familial, dans la mesure où le montant de cette allocation est inférieur au SMIC, seuil de ressources exigé pour en bénéficier.

À soixante ans, les bénéficiaires de l'AAH deviennent généralement allocataires de l'ASPA et ne peuvent pas davantage, pour les mêmes raisons, bénéficier du regroupement familial. Ils subissent dès lors une double discrimination : à raison du handicap et de l'âge. Nous sommes, là aussi, saisis de nombreuses réclamations à ce sujet.

En sus, le regroupement familial est systématiquement refusé aux Algériens se trouvant dans cette situation, du fait des stipulations de l'accord franco-algérien de 1968 relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour des ressortissants algériens et de leurs familles.

Cinquièmement, en ce qui concerne les obstacles au bénéfice d'une sépulture conforme aux convictions religieuses, le Défenseur des droits a publié, le 29 octobre 2012, un rapport relatif à la législation funéraire. Nos services chargés de la médiation avec les services publics sont régulièrement saisis de demandes à ce sujet. La pratique est en contradiction avec les textes : malgré la position exprimée en 2004 par le Conseil d'État dans son rapport public sur la laïcité, le ministère de l'intérieur a incité les maires à créer des espaces confessionnels dans les cimetières publics.

En outre, comme l'a indiqué Mme Claudine Attias-Donfut lors d'un colloque national sur ce thème, seuls 5 % des immigrés âgés de confession musulmane souhaitent être inhumés dans leur pays d'origine. Le Défenseur des droits recommande d'anticiper cette demande croissante de sépultures conformes aux convictions religieuses. Il reprend à son compte le constat formulé en 2003 par la « commission Stasi » sur l'application du principe de laïcité et recommande d'engager une réflexion avec toutes les parties intéressées.

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