Intervention de Pierre Moscovici

Séance en hémicycle du 14 février 2013 à 9h30
Séparation et régulation des activités bancaires — Article 7, amendement 203

Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances :

Je m'inscris largement dans les propos de Mme la rapporteure pour avis. Le projet de loi prévoit la possibilité d'imputer des pertes sur les actionnaires et les créanciers se trouvant dans une situation proche – ceux que l'on appelle les créanciers juniors –, ce qui vise à impliquer le secteur privé dans le financement de la résolution. C'est l'un des points clés de la réforme.

Le projet de directive sur la résolution prévoit d'appliquer plus largement ce mécanisme aux créanciers seniors, c'est-à-dire aux créanciers obligataires ne bénéficiant d'aucune garantie particulière. J'ai déjà eu l'occasion de le dire publiquement, notamment en commission des finances, et je le redis ici : la France soutient l'implication des créanciers seniors dans le processus de résolution. Pour autant, il ne me semble pas souhaitable, il me paraîtrait même préjudiciable d'inclure dès à présent ces dispositions dans la loi, et ceci pour plusieurs raisons.

D'abord, je crois qu'il faut attendre l'émergence d'un consensus européen sur le périmètre des créanciers couverts, sans aller au-delà de ce qui figure dans le projet de loi. À ce stade, les débats européens sont loin d'être stabilisés : il est donc nécessaire d'attendre l'adoption de la directive.

Deuxièmement, le projet de directive lui-même prévoit des exceptions, qui s'appliquent par exemple aux dépôts couverts par la garantie des dépôts, afin de protéger les déposants et d'éviter les risques de run, c'est-à-dire de panique. Le moment venu, il faudra prendre en compte ces exceptions, qui sont nécessaires pour la stabilité financière et la protection des déposants. À ce stade, une loi trop générale présenterait des risques et pourrait entrer en contradiction avec certains intérêts que nous défendons.

Troisièmement, l'implication des créanciers seniors peut avoir un effet important sur l'accès des banques au financement, et sur le coût de celui-ci. Il faut prendre en compte l'impact d'une telle disposition sur le financement des banques, et donc sur le financement de l'économie. Avec une mesure de cette ampleur, il convient de ne pas pénaliser unilatéralement le financement de l'économie française – vous savez que c'est l'une de mes préoccupations majeures dans le cadre de ce débat –, alors qu'une disposition européenne allant dans le bon sens est dans l'antichambre et sera appuyée par les autorités françaises.

Quatrièmement, le projet de directive lui-même prévoit un report de l'entrée en vigueur du dispositif à 2018, afin de prendre en compte ses effets possibles sur le financement bancaire. On parle souvent ici de 2015, 2017, 2018 ou 2020 ; or il est imprudent d'anticiper sur ce point. Encore une fois, je crains des effets de fuite ou des effets préjudiciables.

Nous participons activement aux négociations en cours sur le projet de directive pour trouver rapidement un consensus sur ce sujet sensible. Je le dis à la fois à l'auteur de l'amendement, à la rapporteure et à la rapporteure pour avis : je souhaite que la directive retienne un périmètre de créanciers large, tout en reconnaissant des exceptions nécessaires à la stabilité financière, notamment en excluant les dépôts des particuliers. Voilà la raison pour laquelle un amendement qui serait trop général et pourrait paraître prématuré ne me semble pas devoir être retenu à ce stade.

Je profite de mon intervention pour réaffirmer mon engagement à ce que nous puissions, dans le cadre des négociations européennes, adopter un champ large de créanciers seniors. Cette préoccupation n'est absolument pas étrangère à notre démarche, notamment dans le cadre de la discussion européenne. Toutefois, je ne pense pas qu'il faille aujourd'hui retenir cet amendement. Si mes arguments vous convainquent, et si mes engagements sont acceptés et considérés comme sérieux – ils le sont en général ! –, je demanderai le retrait de cet amendement. Dans le cas contraire, je recommanderai un rejet, mais le retrait me paraît vraiment la solution la plus sage.

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