Intervention de Michel-Édouard Leclerc

Réunion du 4 juillet 2012 à 16h15
Commission des affaires économiques

Michel-Édouard Leclerc, président des Centres Leclerc :

La consommation impacte et impactera considérablement nos entreprises, mais aussi l'économie française en général puisqu'elle est le principal moteur de la croissance. Tous les sujets abordés cet après-midi méritent un traitement approfondi, et je suis à votre disposition pour revenir m'expliquer devant votre commission.

Vos questions véhiculent énormément de vieux clichés. Or pour construire un nouveau modèle, il faut abandonner ces clichés. Certaines de vos préoccupations rejoignent les nôtres, d'autres s'y opposent : nous devons en débattre.

La distribution française constitue le vecteur des nouveaux types de consommation. Monoprix et Cora ont été les premières enseignes à commercialiser des produits biologiques en France, alors que l'agriculture française n'y croyait pas et que la FNSEA ne voulait pas être trop active. Aujourd'hui, Leclerc est le premier distributeur de produits biologiques. Mon problème est que la production de « bio » en France reste insuffisante, que les producteurs ne sont pas organisés en groupements de vente.

L'économie sociale est un modèle alternatif à la concentration capitalistique. Si nous souhaitons développer durablement certaines productions de qualité, voire produire nous-mêmes, nous devons travailler sur les modes d'organisation.

Les marges brutes sont publiques depuis des années, puisque les comptes d'exploitation des sociétés sont publiés par les chambres de commerce. La puissance publique nous a demandé de fournir des comptes analytiques, qui eux n'étaient pas publiés, sur des rayons de produits frais. Ceux publiés par la FCD sont proches de ceux du marché, et je vous confirme que les nôtres sont très proches d'eux. Nous ne les avions pas publiés car nous pensions que c'était à M. Chalmin, président de l'Observatoire de la formation des prix, de le faire. La FCD a usé d'un jeu personnel sur ce sujet !.

Toutes nos revues professionnelles apportent des réponses à nombre de vos questions, en particulier sur les marges brutes, l'avenir du e-commerce, etc. En 2015, Leclerc sera la première enseigne française en parts de marché grâce à sa stratégie multicanal. Nous nous servirons probablement davantage d'Internet pour devenir un acteur du e-commerce, tout comme nos concurrents, sans doute…

La question clé pour le législateur est de remettre le curseur sur le producteur. Or un supermarché ou un hypermarché achète à 80 % à une multinationale ou à une grande société nationale oligopolistique. Leclerc réalise 80 % de son chiffre d'affaires avec 20 % de ses fournisseurs : il en va de sa survie et de sa capacité à maintenir le cap sur les prix bas. S'agissant de la négociation tarifaire, le cadre juridique existe depuis deux ans : laissons-le vivre. N'en revenons pas aux marges arrière que vous aviez tous dénoncées.

Certes, il est plus difficile d'être un industriel qu'un distributeur dans le contexte de crise. Je conçois donc la nécessité d'aider un groupe de producteurs. Que faut-il faire ? Payer plus cher nos fournisseurs français ? En dehors de la distribution française, personne ne le fait ! Aujourd'hui, les distributeurs français achètent beaucoup plus cher à nos industriels français que ne le fait le marché européen. Le concurrent de l'agriculteur breton ou vendéen n'est pas le distributeur français, mais l'agriculteur allemand, hollandais ou belge. Chez Leclerc, 90 % des « Marques Repère », qui représentent 40 % des ventes en volume, sont produites par des fournisseurs français ; toutes nos marques « Nos régions ont du talent » sont réalisées par des PME françaises ; et dans les alliances locales, nous faisons travailler 7 000 PME.

Peut-on payer plus cher le producteur, qui n'est pas assez rémunéré ? À l'heure actuelle, la législation interdit les ententes entre enseignes et fournisseurs et entre les enseignes pour payer plus cher. Comme le président de la FNSEA, nous pensons que c'est au législateur de définir un cadre. Il est terrible, pour nous distributeurs, d'être convoqués à la préfecture, au ministère de l'agriculture, voire à l'Élysée pour signer des accords sur les fruits et légumes, la viande ou le lait, puis de s'entendre dire par l'Autorité de la concurrence ou Bercy que nous devons jouer notre rôle pour freiner l'inflation !

Enfin, si nous payons plus cher, la puissance publique devra en assumer les conséquences. En effet, payer plus cher l'agriculture française créera un boulevard à l'agriculture hollandaise ou allemande. En outre, il ne suffira pas de payer plus cher, il faudra vendre ! Comment alors réguler le flux d'import qui en résultera ? C'est à vous de répondre à ces questions !

Les Français ont cru qu'il suffisait d'être les meilleurs et qu'ils pourraient utiliser la libéralisation pour vendre leurs produits industriels, mais ce sont les autres pays qui ont pu le faire ! On pourra toujours se servir de la grande distribution comme d'un bouc émissaire, et dénoncer le nombre des importations : nous n'avons pas su profiter du système. Il ne faut pas commettre les mêmes erreurs avec le e-commerce.

Nous pensons pour notre part que, malgré l'arrivée d'Amazon.com, la force de Google et les réseaux sociaux, le e-commerce est une formidable opportunité.

Contrairement à la FCD, Leclerc ne souhaite pas faire de l'ouverture dominicale un sujet prioritaire. Nos salariés y sont d'ailleurs majoritairement opposés.

Pour finir, Leclerc vend des médicaments en Italie avec des diplômés en pharmacie, comme le font Carrefour en Espagne et des réseaux succursalistes en Angleterre. La question du prix se posera de toute façon à l'avenir puisque les médicaments seront de moins en moins remboursés, et que l'Europe imposera certainement la création d'une section de pharmaciens salariés de la distribution.

Tous ces sujets sont passionnants. Nous devons maintenant construire une nouvelle relation industriecommerce, en France et au regard des pays émergents car il y va de l'intérêt de tous.

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