de la commission des affaires étrangères. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pourquoi la convention de Hong Kong a-t-elle été signée en 2009 ?
Les événements de triste mémoire de 2003 illustrent parfaitement la nécessité de moraliser le démantèlement des opérations en fin de vie. Cette année-là, le porte-avions Clemenceau a parcouru des mers pendant plus de six mois sur les côtes d'Europe, d'Asie et d'Afrique avant d'être enfin démantelé sur le site d'Able UK à Hartlepool, le seul grand chantier européen.
En mars 1989, le navire américain Exxon Valdez a provoqué une terrible marée noire sur les côtes de l'Alaska incitant la Chambres des représentants et le Sénat des États-unis à adopter en 1990 l'Oil Pollution Act qui interdit la construction de pétroliers à simple coque. Un an plus tard, l'OMI a pris la même décision. Aujourd'hui, la convention de Honk Kong est donc devenue d'autant plus nécessaire que de très nombreux pétroliers et vraquiers à simple coque en fin de vie sont démantelés.
Ce nombre est encore accru par le fait que les armateurs font plus facilement le choix du démantèlement que celui du respect des consignes pour éviter que la structure des bateaux ne contienne des matières toxiques et dangereuses.
Selon l'OMI, en 2011, les navires démantelés ont représenté quelque huit millions de tonnes de métal recyclé. Où le démantèlement a-t-il lieu ? Principalement en Asie et d'abord en Inde qui a traité, en 2011, 45 % du total mondial des coques à démanteler. Viennent ensuite le Bengladesh, la Chine, le Pakistan, et la Turquie. Pourquoi l'Inde et le Bengladesh sont-ils en tête de ce palmarès ?
Il y a à cela des raisons naturelles : les fortes amplitudes des marées sur les côtes permettant l'échouage sur le haut des plages des navires de gros tonnage, de plus de deux cents mètres. Sur les plages de Chittagong, au Bengladesh, ou celle de la baie d'Alang, en Inde, ces bateaux, à la barre desquelles se trouvent des marins, ne sont pas considérés comme des déchets. Ils sont alors démantelés par des ouvriers qui travaillent dans des conditions abominables. Pour les pays concernés, c'est donc la double peine : d'une part, il est porté atteinte à leur environnement avec des coques de bateaux qui contiennent des matières très dangereuses – amiante, PVC ou PCB, sans parler des eaux de ballast et des hydrocarbures, et, d'autre part, les ouvriers qui travaillent sur place connaissent des conditions de travail insupportables.
Pour s'en convaincre, il suffit de regarder les photos publiées dans notre rapport, préparé par M. Alain Delmas. En Inde comme au Bengladesh, l'emploi dans les chantiers de démantèlement est celui qui est à l'origine de la plus forte mortalité au travail. En Inde, le taux d'accidents mortels serait six fois plus élevé dans les chantiers navals que dans l'industrie minière. Le problème c'est que lorsque les chiffres officiels annoncent huit cents victimes sur les chantiers du Bengladesh, les organisations non gouvernementales – en particulier l'ONG française Robin des bois qui suit la question de très près – l'OIT et la FIDH en dénombrent plus de deux mille.
Ces pays en profitent pour s'approvisionner à bon compte en métaux ferreux et non ferreux. Le recyclage depuis les navires démantelés permet ainsi la production, par « relaminage », de quelque 80 % de l'acier que produit le Bengladesh.
Il reste que le prix à payer en termes environnemental et social est toutefois plus qu'excessif : il est inacceptable.
Pourquoi démanteler ces bateaux dans des pays qui ne respectent ni l'environnement ni les conditions de travail ? Pourquoi ne pas le faire en Europe ? C'est que notre continent est petit et n'a qu'un chantier de grande envergure. Par ailleurs, pour les armateurs il est beaucoup moins coûteux de faire démanteler leurs bateaux en Inde ou au Bengladesh.
Aujourd'hui, nous voulons faire en sorte que l'Inde, le Bengladesh et la Chine s'alignent sur des normes sociales et environnementales communes à un marché mondial extrêmement lucratif. Il faut savoir que le prix de la ferraille a très nettement augmenté depuis trois ou quatre ans puisqu'il est passé de 200 dollars à 1 100 dollars la tonne.
Alors que, pendant longtemps, quelque 500 unités en moyenne étaient détruites tous les ans, depuis 2009, ce sont plus de mille unités qui sont envoyées chaque année à la casse. Il y en aurait eu 1 022 en 2011. Il y a manifestement une surcapacité de la flotte internationale.
Malgré cette situation, le cadre juridique existant est défaillant.
Il existe plusieurs conventions relatives à la pollution maritime : celle pour la protection du milieu marin de l'Atlantique nord-est, OSPAR ; la convention de Barcelone ou celle de Londres, cette dernière excluant par principe depuis le protocole datant de 1996 l'immersion des épaves.
Quant à la convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontières des déchets dangereux et de leur élimination, si elle ne traite pas directement du recyclage des bateaux, elle est à l'origine de la polémique qui a eu lieu au moment de l'odyssée du Clemenceau. En effet, ce navire a fini son périple en Grande-Bretagne avec dans ses entrailles sept cents tonnes d'amiante. Aujourd'hui seuls trente-six pays ont édicté une interdiction concernant cette matière dangereuse – un certain nombre l'ont fait sous l'impulsion de l'Union européenne. Et les cinq pays démantelant le plus grand nombre de navires en fin de vie n'ont pas interdit l'amiante. Certaines années, à eux seuls, ils traitent 97 % de la flotte à démanteler.
On voit bien que le cadre juridique est insuffisant. C'est d'ailleurs pourquoi l'OMI et l'OIT ont décidé en collaboration de proposer la convention de Hong Kong finalement signée en 2009. Son entrée en vigueur est cependant encore lointaine puisque nous serons parmi les premières nations à la ratifier – avec les Pays-Bas, l'Italie, Saint-Christophe-et-Niévès et la Turquie.
Lorsqu'on examine en détail les vingt-cinq articles de la convention de Hong Kong, qui est très largement inspirée par le principe de précaution, il en est un qui doit susciter notre inquiétude et notre scepticisme. Il s'agit de l'article 17, qui dispose que la convention entrera en vigueur vingt-quatre mois après que quinze États au moins dont les flottes marchandes représentent au moins 40 % de la flotte mondiale de commerce et dont les propres capacités de recyclage s'élèvent au moins à 3 % de leurs flottes l'auront ratifiée. Vous voyez donc qu'avant que la convention de Hong Kong soit appliquée, il y aura encore beaucoup de débats et de discussions sur la question du démantèlement des bateaux en fin de vie.
Bien entendu, il n'est pas question pour autant d'annoncer ce soir que nous refusons de ratifier cette convention, au motif qu'elle est encore trop floue et comporte trop d'incertitudes ; elle représente un pas en avant, notamment parce que l'Union européenne s'est montrée extrêmement offensive en la matière et que même des pays comme le Bangladesh ou l'Inde ont essayé, par l'intermédiaire de leurs hautes cours, de moraliser, d'une certaine manière, le traitement de ces bateaux. Mais du rêve à la réalité, le chemin restera long. Néanmoins, notre pays s'honorerait de ratifier cette convention.
En conclusion, la France seule ne réussira pas à résoudre ce problème grave en termes d'environnement et de conditions sociales ; il faut que l'Union européenne se montre très offensive et soit à la pointe du combat. C'est une dette que nous avons vis-à-vis de ces pays que nous avons colonisés, pillés et que nous polluons maintenant et aux peuples desquels nous imposons des conditions insupportables. (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste, SRC et GDR.)