Intervention de André Chassaigne

Séance en hémicycle du 25 juillet 2012 à 21h30
Recyclage sûr et écologiquement rationnel des navires — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAndré Chassaigne :

Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, l'examen du projet de loi autorisant la ratification de la convention de Hong Kong pour le recyclage sûr et écologiquement rationnel des navires est l'occasion pour nous de nous pencher sur cet important enjeu écologique. Le recyclage des navires est inévitable : chaque navire en fin de vie renferme quelque 50 000 tonnes de métal, de substances chimiques toxiques et d'amiante. Même vides, ces bâtiments contiennent des milliers de litres de boues d'hydrocarbures. Leurs systèmes électriques renferment des tonnes de PCB cancérogènes, ainsi que des métaux lourds toxiques, comme le plomb, le cadmium, le mercure et le zinc. Leur coque est également recouverte de substances chimiques potentiellement nuisibles.

Or, les évolutions de la flotte marchande engendrent une forte augmentation du nombre des navires à recycler. En effet, le remplacement progressif des pétroliers à coque simple par des bâtiments à double coque augmente le nombre de bateaux se présentant à la casse. Les chantiers de démantèlement accueillent annuellement environ un millier de navires à traiter, soit un volume près de quatre fois supérieur à celui de 2006. Force est de constater que la grande majorité des sites de recyclage se situent dans des pays où les normes sociales et environnementales sont faibles : Inde, Bangladesh, Pakistan. Cet état de fait a plusieurs conséquences.

Tout d'abord, la mise en danger de milliers de vies humaines. Les chantiers de recyclage de navires sont en effet des zones de grande dangerosité. Les chantiers asiatiques de démantèlement des navires en fin de vie sont un exemple de la dérive imposée par le capitalisme à des populations soumises aux pires conditions de travail. Comment expliquer autrement que par l'appât du gain la stratégie de sous-traitance des firmes multinationales, qui ont choisi de transférer ces chantiers des pays européens vers l'Asie, là où l'exploitation forcenée d'une main-d'oeuvre sous-payée et exposée à une multitude de produits toxiques est rendue possible par l'inexistence de toute protection sociale ? Les groupes industriels peuvent ainsi se soustraire à toutes les contraintes sociales et environnementales des pays développés. Peu importe que, dès l'âge de dix-sept ans, les jeunes y travaillent quinze à seize heures par jour pour un salaire quotidien variant de un à deux euros. Peu importe que les femmes y transportent, le plus souvent sans aucune protection, des objets amiantés extraits des épaves. Peu importe que des dizaines, voire des centaines de morts y soient recensés chaque année, sans compter les victimes de maladies contractées sur ces chantiers, l'amiante étant présent partout sur les navires – dans les cloisons, les plafonds – pour assurer notamment l'isolation phonique et thermique.

Devons-nous continuer à accepter que les populations pauvres de la planète paient le prix du productivisme occidental ? Près de la moitié des navires à démanteler battent pavillon européen ou appartiennent à des armateurs établis dans l'Union européenne. L'immense majorité va finir leur carrière en Asie. Nous sommes là en face d'un nouvel exemple de l'irrationalité de l'hypermondialisation des flux de marchandises. En effet, le coût économique et écologique de ces gigantesques mouvements intercontinentaux n'incombe pas aux pollueurs ; il est transféré aux populations dans leur ensemble. Quant à la responsabilité de cette situation, elle incombe moins aux pays de l'Asie du sud-est qu'à l'incurie totale des grandes puissances occidentales qui, bien que pourvoyeuses de bâtiments polluants, n'entreprennent rien pour leur recyclage. Bien entendu, le marché du traitement des déchets dangereux que sont les bateaux obsolescents n'est pas suffisamment rentable pour que les multinationales acceptent de se préoccuper de la question.

L'autre problème majeur du retraitement tel qu'il s'opère à l'heure actuelle, c'est que les sites accueillant les bâtiments sont bien souvent des plages. Cette localisation entraîne une dissémination accélérée des pollutions dans les écosystèmes et dans les mers concernées. Ainsi, selon une étude menée en 2000 par une société de classification norvégienne spécialisée dans l'évaluation des risques, des traces de pétrole ont été retrouvées dans la mer autour des plages de démantèlement du Bangladesh. Des quantités significatives de substances chimiques nocives et de métaux lourds ont également été détectées dans le sol et dans l'air. Mais il est encore difficile de mesurer l'étendue des dégâts occasionnés par ces chantiers, car ils n'ont pas tous été mis au jour.

Observons que ce sont une nouvelle fois le système économique et ses excès qui alourdissent le tribut payé par la planète. Ceci doit nous renforcer dans la conviction, défendue avec force notamment par le Front de gauche, que la première dette que nous devons solder est la dette écologique.

Le dossier du recyclage des navires nous en apporte une nouvelle preuve : l'écologie des petits gestes n'est pas à la hauteur du traumatisme subi par la planète. Seule une remise en cause profonde du cadre économique permettra véritablement d'empêcher ce que le poète Michel Deguy appelle « le géocide ». Cependant, la gravité de la situation a permis une prise de conscience internationale ; nous nous en félicitons. C'est dans cette perspective que notre assemblée est amenée, aujourd'hui, à autoriser la ratification de la convention de Hong Kong.

Cette convention permet d'initier une coopération internationale en faveur d'une rationalisation du recyclage des navires. Son texte confère notamment à tout État partie le droit d'inspecter tout navire transitant par un de ses ports afin de vérifier qu'il dispose bien d'un inventaire des matières potentiellement dangereuses ou d'un certificat international attestant que le navire est prêt pour le recyclage. Ces dispositions, quoique faiblement contraignantes, constituent un premier pas qu'encouragent les députés du front de gauche et l'ensemble du groupe GDR. Mais ce n'est qu'un premier pas.

Permettez-moi, en effet, de citer une note du Comité économique et social européen : « La convention de Hong Kong a été adoptée en 2009, mais ce n'est que lorsqu'elle aura été ratifiée par un nombre suffisant de grands États du pavillon et de grands pays recycleurs qu'elle pourra entrer en vigueur et commencer à produire ses effets, ce qui ne devrait pas avoir lieu avant 2020, dans le meilleur des cas. » L'échéance est, hélas ! bien lointaine. Car, pendant que les parlements nationaux ratifient le texte, les vieux pétroliers, chimiquiers et autres cargos continuent de gagner les plages du sud-est asiatique.

En outre, certains opérateurs, plutôt que d'envoyer leurs bâtiments à la casse, exploitent les vides juridiques pour continuer d'utiliser ces navires pollués et polluants, soit pour transporter d'autres types de cargaisons moins lourdes, soit pour le stockage à quai. Comme c'est souvent le cas pour les enjeux écologiques, le temps de la décision internationale est sans rapport avec l'imminence des dangers et l'importance des pollutions. Raison de plus pour ne pas retarder l'indispensable ratification de cette convention.

En parallèle à cette intensification de la coopération internationale, d'autres solutions concrètes doivent être envisagées. Dans un premier temps, il serait sans doute nécessaire de refondre les normes qui régissent la fabrication des navires, concernant notamment les composants métalliques et chimiques utilisés. Comment expliquer, si ce n'est par une insuffisance des réglementations, que tant de navires soient encore massivement amiantés ?

Les députés du Front de gauche militent, par ailleurs, pour l'institution d'une taxe kilométrique, de manière à diminuer les transports de marchandise évitables. Un tel dispositif aurait le double avantage de réduire la flotte mondiale des transporteurs et de « désinciter » les opérateurs à se débarrasser de leurs épaves dangereuses sur les chantiers asiatiques. Il obligerait les entreprises à intégrer les coûts du traitement des bâtiments dès leur mise à flot. Cet outil de rationalisation des échanges internationaux serait un complément utile à la convention dont nous discutons. Le produit de cette taxe pourrait abonder un fonds pour le co-développement permettant de financer des politiques de développement social et environnemental. C'est un moyen d'agir sur les conditions de travail des travailleurs du sud qui risquent leur santé sur les épaves des firmes occidentales. D'une façon générale, il nous faut sortir du modèle économique qui fait supporter aux usagers, sur leurs factures, l'essentiel des défis environnementaux et des investissements nécessités par les pratiques des multinationales.

C'est dans cet esprit que les députés du groupe de la gauche démocrate et républicaine veulent agir au cours de cette nouvelle législature sur les questions environnementales. Nous défendrons dans l'hémicycle une approche constructive, tâchant de concilier l'urgence d'agir avec l'ampleur des changements nécessaires. Tout naturellement, dans un premier temps, les députés du Front de gauche et l'ensemble du groupe GDR voteront des deux mains ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR SRC et écologiste.)

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