Cette proposition de loi de M. Éric Doligé, adoptée par le Sénat, nous permet de faire le point sur le travail déjà engagé, face à la multiplication de normes et réglementations, en matière de simplification des lois.
« Prolifération », « inflation », « logorrhée », « surproduction », « excès », « harcèlement » : depuis plusieurs décennies, les vocables n'ont pas manqué pour désigner l'accumulation des normes législatives et réglementaires – on en évalue le nombre à 400 000 – dont la rigidité pèse sur les collectivités territoriales.
Ce discours est moins une incantation que la traduction d'un diagnostic préoccupant qui n'a d'égales que les difficultés de l'action engagée en la matière par le Parlement, que le président de la Commission consultative d'évaluation des normes comparait hier lors de nos auditions au travail de Sisyphe.
De nombreuses études, depuis le fameux rapport du Conseil d'État pour 1991, ont permis de confirmer le constat : les normes se multiplient, créent de la complexité et induisent des coûts au détriment de l'efficacité de l'action publique.
Il n'est pas besoin de revenir longuement sur l'excellent rapport consacré, en mars 2012, par nos collègues Pierre Morel-A-L'Huissier, Étienne Blanc, Daniel Fasquelle et Yannick Favennec, à la simplification des normes au service du développement des territoires ruraux. Nous avons débattu cet automne d'un texte important qui reprenait des propositions de ce rapport et traitait de l'institution d'un principe de subsidiarité.
On pourrait citer aussi le rapport de M. Claude Belot au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation du Sénat et, bien sûr, celui de M. Doligé, à l'origine de la présente proposition de loi.
Le diagnostic – sévère, partagé et récurrent – a été fait. Vous trouverez dans mon rapport écrit le détail des chiffres et des analyses correspondants.
Ce serait néanmoins un faux procès que de taxer d'inertie les pouvoirs publics, qui ont réalisé des efforts avec la création de la Commission consultative d'évaluation des normes en 2007, le développement des études d'impact depuis la révision constitutionnelle de 2008, le moratoire sur les normes applicables dans les collectivités territoriales à partir de 2010, la nomination d'un commissaire à la simplification la même année et le programme du Comité interministériel pour la modernisation de l'action publique, instance qui s'est réunie pour la première fois en décembre dernier.
Les efforts n'ont donc pas manqué, singulièrement sous la précédente législature, pour bâtir patiemment un dispositif organisationnel centré sur l'objectif d'amélioration de la qualité des normes.
Les lois de simplification du droit votées ces dernières années, en particulier à l'initiative de Jean-Luc Warsmann, alors président de notre commission des Lois, avec le concours du rapporteur de ce texte, Étienne Blanc, ont participé de ce même mouvement.
Fin janvier encore, le Sénat a adopté une proposition de loi visant à créer un Conseil national d'évaluation des normes, à l'initiative de Mme Jacqueline Gourault, présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales, et de M. Jean-Pierre Sueur, en vue de « revitaminer », en quelque sorte, la Commission consultative d'évaluation des normes – laquelle toutefois, à en croire son président, Alain Lambert, avec qui je me suis entretenu hier, n'en avait peut-être pas tant besoin.
Cependant, l'inflation normative, liée à la diversité des autorités productrices de règles, étant aussi question de culture, l'inversion de la tendance requiert du temps et nécessite une politique des petits pas, si je puis dire. Le texte que nous examinons aujourd'hui est l'un de ces pas. Je proposerai donc que nous l'adoptions avec quelques modifications.
La présente proposition de loi procède du rapport sur la simplification des normes applicables aux collectivités territoriales remis le 16 juin 2011 par M. Éric Doligé. Celui-ci, au terme d'un travail considérable de consultation et de concertation avec les élus locaux, les associations et les ministères concernés, a en effet présenté 268 propositions qui ont inspiré certains aspects du texte déposé au Sénat le 4 août 2011.
Lors d'un premier examen, la commission des Lois du Sénat a décidé, « afin d'approfondir l'examen des dispositions de la proposition de loi », de déposer une motion tendant au renvoi en commission, qui a été adoptée. La Commission a donc examiné une deuxième fois ce texte, le 10 octobre 2012, avant son adoption en séance publique, avec quelques modifications, le 12 décembre 2012.
La proposition de loi avait été soumise pour avis au Conseil d'État par le président du Sénat le 23 août 2011, ce qui lui donne une valeur particulière dans l'hypothèse d'un examen ultérieur par le Conseil constitutionnel, saisi directement ou par le biais d'une question prioritaire de constitutionnalité.
La méthode adoptée par le Sénat est pragmatique : les trente articles que comporte le texte proposent tous des mesures précises, concrètes et ciblées.
Nombre de ces articles, tout d'abord, sont destinés à faciliter le fonctionnement des collectivités territoriales sur les points suivants :
– la dématérialisation du recueil et de la publicité des actes administratifs, qui fait l'objet des articles 5 et 6, et la simplification des modalités de publication des documents relatifs à l'exploitation des services publics délégués, prévue par l'article 15 ;
– la clarification de la procédure de liquidation des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) – article 7 – ainsi que des modalités de la transmission des comptes de gestion au préfet – article 9 ;
– l'ouverture de la possibilité, pour les exécutifs locaux de bénéficier d'une délégation de l'assemblée délibérante dans de nouveaux domaines – articles 8, 10, 11 et 16 ;
– l'amélioration du fonctionnement des assemblées délibérantes – articles 12, 13 et 14 ;
– la simplification de la procédure de déclaration d'état d'abandon manifeste d'une parcelle – article 17 ;
– l'assouplissement de la législation applicable aux centres communaux et intercommunaux d'action sociale – article 18, que je vous proposerai de modifier.
Quelques mesures très concrètes sont également prévues en matière d'urbanisme et d'aménagement. L'article 19 vise ainsi à faciliter le recours aux conventions de mandat d'aménagement et l'article 25 aux conventions de projet urbain partenarial. L'articulation du plan local d'urbanisme (PLU) avec le règlement de lotissement et avec le programme local de l'habitat est précisée respectivement par les articles 25 bis et 25 quater.
L'article 22 dispense de certains diagnostics pour la vente d'immeubles voués à la destruction, en vue de diminuer les coûts. L'article 25 ter, qui prévoit le report de la date d'entrée en vigueur de l'obligation d'adapter les plans locaux d'urbanisme aux exigences de la loi « Grenelle II », fera en outre l'objet d'un complément par voie d'amendements pour ce qui est des schémas de cohérence territoriale (SCoT). Enfin, les articles 27 bis et 27 ter renforcent les pouvoirs du maire et du président du conseil général en matière d'élagage des plantations privées. Les élus locaux ici présents savent que de telles questions, en apparence anodines, peuvent représenter de véritables casse-tête.
En matière d'environnement, les articles 28 et 31 visent à accroître l'efficacité du rapport du maire sur les services d'eau et d'assainissement et à reporter au 31 décembre 2013 l'échéance impartie pour l'élaboration des plans climat-énergie territoriaux.
Dans une démarche souvent consensuelle, toutes les parties prenantes à la discussion au Sénat ont veillé à ce que la présente proposition de loi trouve toute sa place tant au sein du dispositif actuel que dans la perspective de l'examen prochain de la proposition de loi de Mme Gourault et de M. Sueur et du travail sur le texte du Gouvernement, encore en préparation, visant à élargir la décentralisation.
C'est dans cette perspective que le Sénat a supprimé, en commission ou en séance publique, certains articles de la proposition de loi redondants avec des dispositions prévues ailleurs ou apparaissant trop incertains juridiquement, voire inopportuns.
Ainsi le titre Ier relatif aux normes concernant les collectivités territoriales ne comprend-il, au terme de la lecture au Sénat, que deux articles, dont l'un – l'article 2 bis – serait en outre mieux placé dans un texte à venir.
À l'inverse, le Sénat a ajouté d'autres articles spécifiques qui n'avaient pas nécessairement vocation à figurer dans un autre vecteur législatif. Il s'agit notamment de la législation réglementant la conduite des véhicules agricoles, les installations d'assainissement non collectif ou les sociétés publiques locales. Il s'agit aussi de l'article 35, qui vise à supprimer la lecture obligatoire de l'article 220 du code civil lors de la cérémonie du mariage.
Le Sénat a souhaité préserver à la fois la spécificité de la présente proposition de loi et sa complémentarité avec l'ensemble de l'action aujourd'hui conduite par les pouvoirs publics en ces matières, en une démarche globale et non partisane.
C'est dans ce même état d'esprit que je vous proposerai d'adopter l'essentiel du texte tel qu'il nous est parvenu, avec quelques amendements que j'ai déposés à la suite des auditions – hélas ! trop peu nombreuses compte tenu des délais impartis – auxquelles j'ai procédé préalablement à la présente discussion. Toute amélioration de ce texte serait bienvenue. Le champ est vaste et nous pouvons l'explorer encore. L'essentiel est d'agir avec pragmatisme et de faire oeuvre utile.