Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, beaucoup ayant déjà été dit sur cette convention, je m'attacherai dans mon allocution à parler un peu du secteur du transport maritime, qui est de moins en connu, reconnu et soutenu dans notre pays.
À l'échelle internationale, cela représente 80 000 à 100 000 unités. Pour vous donner un ordre de grandeur de ce que nous devrons un jour démanteler, 40 % de cette flotte sont aux mains d'intérêts européens, ce qui nous oblige. Je suis particulièrement heureux, à cet égard, que la présidente de la commission des affaires européennes ait souligné le travail effectué au niveau européen sur ce dossier du démantèlement des navires.
Quelques chiffres ont été rappelés tout à l'heure par Noël Mamère. Nous sommes partis de 500 unités à démanteler chaque année pour en arriver à 1 000. Les prévisions en annoncent 1 200, voire plus. L'état de surcapacité de la flotte mondiale, lié à des commandes très optimistes au cours des dernières années, fait que l'on peut attendre le démantèlement de navires neufs, donc complexes, dans les années à venir.
Nous avons parlé aussi de la mise en oeuvre du règlement européen et de la disparition, à terme, des pétroliers à simple coque, qui étaient du même modèle que l'Erika et le Prestige. Ces navires seront démantelés s'ils ne peuvent être transformés en pétroliers à double coque ou en bâtiments d'un autre type.
Je voudrais surtout souligner pour ma part la responsabilité de l'Europe. Lors des négociations, la France – entre autres – a joué un rôle dominant. On a parlé en début de séance de l'affaire du Clemenceau. Or il faut insister sur une « dent creuse » de la convention. Il est certes classique, en droit international, d'exclure des conventions les navires de guerre et les navires opérant pour des États. À mes yeux, toutefois, il est aussi de notre responsabilité, en tant que parlementaires, de souligner la nécessité de trouver des solutions pour de tels navires, notamment ceux des marines nationales ; c'est ce que prouvent non seulement le cas du Clemenceau, mais aussi celui des ghost ships, cette partie de la flotte américaine des années quarante et cinquante qui a traversé l'Atlantique pour être démantelée en Grande-Bretagne, ce qui avait provoqué un grand émoi.
L'opinion publique a été plus sensible dans les dernières années au démantèlement des navires de guerre, parce que les États s'en sont désintéressés. J'insiste donc sur ce point : il faudrait que nous puissions, à terme, développer une réponse pour ces cas particuliers.
Par ailleurs, les navires démantelés offrent une partie non négligeable de l'acier utilisé au Bangladesh comme en Inde : cela concerne 8 millions de tonnes de produits qui, chaque année, servent à alimenter le marché du BTP.
Le volume des déchets contenus dans ces navires est également très important, sachant que ces navires eux-mêmes peuvent parfois être considérés comme de réels déchets. Au total, cela représente 5 millions de tonnes par an de déchets potentiellement dangereux pour l'homme et pour l'environnement, composés d'amiante, d'huiles et de boues d'hydrocarbures. C'est ce qui a amené de nombreuses ONG et des experts à considérer ces navires comme l'essentiel du flux de déchets envoyés vers les pays en voie de développement ou vers les pays les moins avancés.
Nous avons évoqué à plusieurs reprises la Convention de Bâle. Je voudrais, à cet égard, revenir sur un élément important qui n'a pas été mentionné, à savoir la tentative de renforcement de cette convention, qui a échoué. Je partage un peu, de ce point de vue, le pessimisme de Danielle Auroi sur la ratification rapide, ou du moins à court terme, de cette convention. Nous aurons des efforts à faire. J'appelle moi aussi à un effort conséquent de l'Union européenne. Nous avons développé des outils communs, par exemple l'Agence européenne pour la sécurité maritime, qui a beaucoup travaillé sur ce dossier, mais il nous faut définir une stratégie.
Deux propositions de règlement ont été déposées ; les outils juridiques existent. À nous de nous en saisir et de les faire avancer. Nous ne devons pas nous cacher derrière le problème du budget, même si celui-ci se posera. Nous évoquions tout à l'heure les installations de recyclage : il faudra pouvoir les inspecter en Inde, au Bangladesh ou encore en Turquie. J'appelle d'ailleurs à ce que l'on pousse nos navires vers ce pays, qui essaye depuis des années de mettre en place un régime de démantèlement des navires, de manière propre et responsable. De plus, il est notre voisin. Ce pays a pris lui aussi une part importante dans les négociations pour élever le niveau d'exigence en matière de recyclage. Je pense donc que nous devons travailler avec lui en vue de la ratification, qui s'avère assez difficile.
Je rappelle également que l'Union européenne, lors des négociations, s'est retrouvée assez seule à défendre sa position. Même si nous représentons vingt-sept pays et si nous avons quelques alliés, nous avons du mal à faire avancer certaines causes, dont celle-ci, au sein de l'OMI.
J'appelle aussi à la vigilance à l'égard des évolutions du secteur. Le ship recycling a en effet vu apparaître un nouvel acteur, le cash buyer, c'est-à-dire la personne qui achète le bateau pour le conduire vers sa destination finale. Nous avons un mal fou à réguler cette activité et à lui faire prendre ses responsabilités – parfois même, à identifier ces acteurs. Malgré ces difficultés, nous ne devons pas abandonner le combat.
Je finirai sur une note optimiste concernant le futur, car cette convention nous offre aussi l'occasion de nous intéresser à la conception des navires et de nous interroger sur cette question. Nous savons que les matières premières deviennent de plus en plus chères ; c'est le cas, par exemple, du minerai de fer. Nous avons d'ailleurs du mal, pour certains produits, à nous approvisionner. Nous devons donc pousser en faveur de l'éco-conception des navires. Cela fait partie des éléments de réflexion du Grenelle de la mer ; il faut que nous poursuivions dans cette direction. Nous avons, en la matière, un savoir-faire en France et en Europe. Il est d'autant plus important de le défendre et de le valoriser qu'il est soumis à une compétition internationale forte et parfois faussée, car la concurrence déloyale existe aussi dans le domaine de la construction navale. Il faudrait donc que nous valorisions nos atouts et notre savoir-faire en favorisant l'éco-conception des navires, ce qui, je l'espère, donnera une bouffée d'oxygène aux chantiers navals qui résistent encore en Europe.
Pour conclure, je serai constructif : moi aussi, je voterai l'article unique de ce projet de loi de ratification de cette convention, mais en restant vigilant. Comme l'ont dit plusieurs orateurs, ce n'est là que la première brique d'un édifice dont la construction sera longue. Nous avons été patients et nous devrons l'être encore, mais nous ne devons pas être naïfs : il existe des difficultés pour la ratification et nous devons développer une stratégie au niveau européen. Il faut s'en donner les moyens et j'espère que nous y parviendrons. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP.)