Je suis sûr, monsieur Sauvadet, que vous êtes d'ores et déjà convaincu !
Tant pis si les élus étaient contraints à des allers-retours permanents entre leur territoire, le chef-lieu du département et celui de la région. Je parle de façon théorique puisque, fort heureusement, ce projet n'a pas été mis en oeuvre. Tant pis si la proximité entre les élus et les électeurs était sacrifiée au nom d'économies jamais évaluées, jamais démontrées. Quand on veut défendre la démocratie locale, critiquer le texte que nous présentons, encore faut-il être quelque peu cohérent avec ce que l'on a défendu il y a peu. Le conseiller territorial mettait précisément en cause le département et la région.
Éloigné géographiquement, il avait aussi toutes les chances d'être éloigné de la société française. Ce mode de scrutin était particulièrement défavorable à la parité et représentait une régression par rapport au scrutin régional.
Enfin, la démocratie, pour être légitime et efficace, exige de la lisibilité et de la transparence. Elle impose aux élus de rendre compte, régulièrement, fidèlement, de leur action aux électeurs – ce que vous faites tous évidemment. Ces derniers doivent donc savoir clairement qui fait quoi, qui décide de quoi. Ce n'était pas le cas avec le conseiller territorial. Affichée comme une simplification, cette réforme était en réalité source d'inefficacité et de confusion.
La seule abrogation du conseiller territorial ne peut être satisfaisante. Il est impossible de se contenter du statu quo. En matière de démocratie locale, nous ne sommes pas allés jusqu'au bout. Dans les départements, les communes, dans l'intercommunalité, des progrès peuvent, et doivent, encore être réalisés.
Je l'ai dit, la démocratie locale ne peut se concevoir comme un modèle figé. Elle doit accompagner les évolutions des territoires.
Le Président de la République l'a clairement réaffirmé, et je fais mienne sa conviction : renforcer l'efficacité de notre démocratie territoriale ne passe pas par la suppression d'un échelon. Aujourd'hui, chaque niveau local a sa légitimité, ses logiques propres. Certes des expériences peuvent être menées, notamment au niveau des métropoles, mais nous avons besoin de ces différents niveaux. C'est justement cette légitimité et ces moyens d'action qu'il faut renforcer.
Le département est un échelon de proximité, un échelon républicain, mais, pour qu'il conserve toute sa pertinence, il doit être rénové, d'abord dans son action, bien sûr. Ce sera l'un des aspects du futur projet de loi de décentralisation que portera Mme Lebranchu.
Cependant, cette rénovation ne serait rien sans la légitimité qu'accorde un mode de scrutin plus démocratique et plus représentatif. Les lacunes du mode d'élection actuel des conseillers généraux, chacun ici les connaît. Je reviendrai longuement sur le problème de la représentation démographique.
L'autre enjeu majeur, c'est évidemment la sous-représentation des femmes dans les assemblées départementales.
D'année en année, difficilement, la parité a progressé dans toutes les assemblées sur le plan local comme sur le plan national. Ce n'est pas le cas dans les départements. Les chiffres sont connus. Après le renouvellement partiel de 2011, les femmes ne représentaient toujours que 13,5 % de l'ensemble des élus départementaux. Cette année-là, il y a seulement deux ans, dans quatorze de nos départements, aucune femme n'a été élue. Les mesures incitatives sont restées inefficaces. En l'état du droit, candidat et suppléant doivent être de sexe différent. Cela n'a pas d'effet, et seuls 23 % des candidats sont des femmes.
Cette situation n'admet aucune justification raisonnable, aucune tolérance de notre part. En matière de démocratie, il ne doit pas exister d'exception. Il ne doit donc plus subsister d'exception départementale dans notre pays.
Sans réforme, c'est l'institution départementale elle-même qui risque de s'essouffler. C'est cette crainte qui doit nous pousser à réagir aujourd'hui, et c'est l'un des objets de ce texte.
Revivifier la démocratie départementale, c'est d'abord essayer de garantir une participation satisfaisante aux élections. Il en va de même pour les élections régionales et municipales.
La réforme territoriale de 2010 avait profondément modifié le calendrier électoral – certains semblent l'avoir oublié. Par ailleurs, les mandats des conseillers régionaux et généraux étaient considérablement écourtés. Rien ne le justifie plus, et il serait souhaitable que leur durée s'approche de celle d'un mandat normal.
Il était prévu que quatre scrutins soient organisés en 2014, pour les élections municipales, territoriales, européennes et enfin sénatoriales. L'abrogation du conseiller territorial en ajoute un cinquième. Il faut être lucide : ce calendrier saturé n'est pas tenable et se traduirait par une désaffection accrue des électeurs. C'est pourquoi je vous propose de reporter à 2015 l'organisation des élections départementales et régionales.
L'objectif d'une meilleure participation est également à l'origine d'une autre disposition de ce texte, l'inscription dans la loi de la concomitance entre les élections régionales et départementales. Cet effet a été démontré par l'expérience, notamment en 1992. Lors de l'abandon de la concomitance en 1994, la participation avait chuté de près de dix points.
Bien sûr, la réforme de la démocratie départementale ne se résumera pas à une modification du calendrier. Le département a une identité forte, il ne s'agit pas de la nier, encore moins de la combattre. Démocratiser, moderniser, ce n'est pas dénaturer.
Respecter l'identité du département, c'est d'abord réaffirmer son nom, sa place dans l'édifice territorial. Les termes « conseil général » et « conseiller général » sont peu explicites pour les électeurs. Il vous est donc proposé de les remplacer par « conseil départemental » et « conseiller départemental ».
Autre gage d'une meilleure lisibilité de cette élection, peut-être plus important pour vous, les conseils généraux seront renouvelés dans leur totalité. Le renouvellement par moitié est une survivance historique qui a perdu toute signification. Une majorité de gauche avait d'ailleurs déjà adopté un tel projet, qui avait été ensuite défait par le ministre de l'intérieur de l'époque, Charles Pasqua. Il faut au contraire doter les assemblées départementales d'une majorité claire, pour toute la durée du mandat.
Respecter l'identité du département, c'est également conserver ce qui fait sa force : le lien de proximité entre les électeurs et leur représentant, entre l'élu et son territoire.