Intervention de Alexandre de Juniac

Réunion du 24 juillet 2012 à 17h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Alexandre de Juniac, président-directeur général d'Air France :

Mesdames et messieurs les députés, avant de répondre à toutes les questions que vous pouvez vous poser sur Air France, je me propose de vous présenter la situation du groupe. J'évoquerai d'abord le contexte dans lequel il évolue, puis sa situation économique, financière et industrielle, avant de vous présenter le plan Transform 2015 destiné à répondre aux difficultés que le groupe connaît et à relever les défis auxquels il doit faire face

Le contexte comporte quatre éléments distincts.

Tout d'abord, nous sommes confrontés depuis dix ans à une concurrence de plus en plus forte. Celle des compagnies low cost, qui développent des liaisons à des prix extrêmement attractifs et qui opèrent sous des formes juridiques et des statuts sociaux ne permettant pas une concurrence loyale. La concurrence également, sur le long courrier haut de gamme, de nouveaux acteurs très puissants et aux moyens considérables que sont les compagnies du Golfe – Qatar Airways, Emirates, Etihad – qui, depuis dix ans et plus particulièrement cinq ans, drainent une grande partie du trafic. Pour des raisons géographiques évidentes, leur cible privilégiée est la clientèle européenne qu'elles transportent vers l'Afrique de l'Est, l'Océan Indien, l'Asie du Sud.

Par ailleurs, le transport aérien est un secteur intensément capitalistique – le coût d'un A 320 est de 40 millions de dollars, celui d'un A 380 avoisine les 300 millions de dollars – qui exige de très lourds investissements. Mais il est également une industrie de main-d'oeuvre : personnels navigants techniques (les pilotes) personnels navigants commerciaux (hôtesses et stewards) et personnels au sol en nombre très important. C'est un secteur qui concilie les deux contraintes économiques de la production : intensité du capital et intensité du travail.

En outre, l'industrie du transport aérien se caractérise par de gros volumes mais de très faibles marges. De gros volumes parce qu'elle s'adresse à la grande consommation : aujourd'hui, dans les pays développés, nombreux sont ceux qui ont les moyens d'acheter un billet d'avion. Depuis peu, et c'est une opportunité pour nous, en raison de la croissance en Chine, en Inde, en Amérique latine ou encore en Afrique, chaque année, 50 millions de personnes accèdent au pouvoir d'achat leur permettant de s'acheter un billet d'avion, puis deux… D'où une croissance importante du nombre de passagers, même si par ailleurs ceux-ci veulent payer leur billet d'avion de moins en moins cher…

Enfin, la plupart des compagnies aériennes sont des acteurs nationaux. Il y a quelques années, chaque pays possédait sa compagnie nationale – sauf les États-Unis, qui en avaient deux ou trois. Le secteur était très régulé par la convention de Washington. Aujourd'hui, il ne subsiste en Europe que trois grands acteurs nationaux : British Airways, qui s'est alliée avec Iberia ; Lufthansa, qui a pris le contrôle de Swiss, de l'ancienne Sabena et de Austrian Airlines ; Air France, qui a fusionné avec KLM.

Ces acteurs nationaux, dont les personnels sont régis par leur statut national, luttent entre eux dans le cadre d'une concurrence mondiale. Air France est probablement la plus nationale de toutes les grandes multinationales présentes sur notre territoire, puisque 95 % de ses salariés sont français et travaillent sous statut français, ce qui est une exception parmi les grandes entreprises opérant dans le secteur concurrentiel international.

Les seules entreprises réellement internationales sont les compagnies low cost. Quelle que soit leur nationalité, Ryanair et easyJet sont des compagnies européennes, et le même phénomène existe en Asie avec Air Asia ou Jet Star, qui ne sont pas attachées à un pays quelconque de la zone.

C'est donc un contexte très difficile, qui, en période de ralentissement économique, accroît la pression sur les acteurs du marché. Ainsi, notre activité cargo et fret – qui, comme vous le savez, constitue l'un des indicateurs avancés de la conjoncture – souffre énormément, soumise qu'elle est aux aléas de la conjoncture et du commerce mondial.

J'en viens à la situation financière, économique et stratégique d'Air France au sein du groupe Air France-KLM.

La situation financière est très difficile. Pour la quatrième année consécutive, le résultat d'exploitation du groupe est négatif, et la dette a été multipliée par trois, passant de 2,5 à 6,5 milliards d'euros entre 2008 et la fin 2011. Pendant trois ans, le groupe a investi un milliard d'euros de plus qu'il ne générait de cash flow, dont deux tiers pour Air France et un tiers pour KLM – ce qui explique d'ailleurs l'augmentation de notre dette. Nos indicateurs financiers sont extrêmement dégradés. Air France et l'ensemble du groupe Air France-KLM ne peuvent continuer dans cette voie.

Sur le plan économique, cette dégradation résulte de plusieurs éléments.

Le premier d'entre eux est le ralentissement de nos recettes depuis la crise de 2008. Après un fort déclin en 2009 suivi d'une reprise en 2010, qui laissait augurer un début de sortie de crise, l'année 2011 a été marquée par un nouveau ralentissement ; 2012 serait plutôt une année intermédiaire.

Le second tient à des coûts trop élevés. Selon les études de différents cabinets et celles engagées par nos organisations syndicales, sans oublier le benchmarking que les compagnies aériennes elles-mêmes pratiquent les unes envers les autres, les coûts chez Air France sont plus élevés de 30 % par rapport à ceux des meilleurs élèves européens. Pour les grandes compagnies européennes comme Lufthansa ou British Airways, cette différence est de 20 %.

Cette dégradation s'explique enfin par l'insuffisante adaptation de notre offre au marché. Sur le segment du haut de gamme et du long courrier, nous avons été sérieusement mis en cause par l'arrivée des compagnies asiatiques et celles du Golfe, qui proposent des prestations de classe internationale à des prix intéressants et sur lesquels nous devons nous aligner.

Sur le segment du court et moyen-courrier, les compagnies low cost ont imposé des références de prix très basses, divisant par deux ou trois la référence habituellement pratiquée. Cela dit, elles ont créé un nouveau marché en permettant à de nombreuses personnes de prendre l'avion alors qu'elles n'auraient pu le faire à un prix plus élevé. Face à cette situation, comme nos homologues de British Airways, de Lufthansa, d'Iberia, nous n'avons pas adapté notre offre suffisamment vite. C'est également le cas de Delta, aux États-Unis, qui lutte avec force depuis dix ans contre les compagnies low cost. Il y a donc une inadaptation de notre offre et de nos produits à un nouveau marché très concurrentiel, avec des nouveaux acteurs extrêmement dynamiques.

J'en viens à la situation stratégique du groupe, que j'aborderai sous deux angles.

La question est de savoir s'il faut remettre en cause le modèle de compagnie généraliste d'Air France, fondé sur deux réseaux : un réseau long courrier et un réseau court et moyen-courrier, le premier étant alimenté, à travers le hub de l'aéroport de Roissy–Charles- de-Gaulle, par le second. La réponse est probablement non, bien que d'autres compagnies européennes aient fait un choix différent. Ainsi, British Airways s'est séparé de son réseau court et moyen-courrier, tandis qu'Iberia et Austrian ont scindé leur activité en deux parties. Le débat est ouvert. Il s'agit de savoir si le hub est un bon outil stratégique pour la compétitivité de la compagnie. Nous pensons, nous, qu'il faut conserver les deux réseaux, à certaines conditions. Le hub constitue un atout pour Air France, en particulier celui de Roissy car l'Île-de-France, deuxième zone économique d'Europe, draine un trafic important. Sachez qu'un passager sur deux volant sur nos avions et qui transite à l'aéroport Charles-de-Gaulle est en correspondance. L'apport du réseau court et moyen-courrier pour le réseau long courrier est significatif, et l'inverse est également vrai aussi bien à Paris qu'à Amsterdam. Il n'y a donc pas lieu de remettre en cause le modèle du hub.

En revanche, le maintien du périmètre de la société, conservant son réseau court et moyen-courrier et son réseau long courrier, ne peut fonctionner que si nous réalisons les efforts de compétitivité nécessaires pour redresser nos fondamentaux économiques, et c'est l'un des éléments du pari du plan Transform, destiné à faire face à la situation financière et industrielle.

Ce plan de redressement, qui a été lancé en janvier, comporte un volet industriel et un volet social.

Le volet industriel comporte plusieurs éléments.

Le premier d'entre eux et le plus urgent est celui du redressement de la compétitivité du groupe. Cela passe notamment par une baisse des coûts, par une coupe assez sévère dans les investissements et les frais généraux, et par le blocage des salaires, des augmentations générales et des avancements.

Un autre élément du volet industriel est la restructuration de notre réseau court et moyen-courrier, qui concentre la quasi-totalité de nos pertes et qui est confronté à la concurrence du low cost. Cette restructuration s'organise autour de trois pôles : le pôle Air France, qui alimente le hub – d'où l'importance de celui-ci dans la stratégie industrielle d'Air France ; le pôle régional, qui dessert les transversales, intérieures et européennes, à partir de nombreuses villes de province ; le pôle Transavia, notre filiale low cost – celle-ci est appelée à alimenter le segment loisirs, le seul en croissance dans le marché du court et moyen-courrier – filiale qui intéresse les passagers voyageant pour leurs loisirs mais refusant, malheureusement, de payer un prix trop élevé.

Le réseau long courrier d'Air France-KLM – le premier au monde, particulièrement présent sur les liaisons vers l'Amérique latine, la Chine, l'Afrique – a plutôt besoin d'une optimisation que d'une restructuration forte. Il nécessite toutefois un investissement massif dans le produit, à savoir la rénovation des cabines et des équipements au sol, pour nous permettre de retrouver le plus haut niveau mondial en termes de prestations, de services et de produits. La rénovation des cabines représente à elle seule un investissement de 550 millions d'euros, sachant qu'un siège d'avion en business class coûte plusieurs dizaines de milliers d'euros et qu'un siège en première classe en coûte plusieurs centaines de milliers.

Le cargo, troisième activité du groupe, fait l'objet d'une restructuration importante, du fait des grandes difficultés économiques que connaît le commerce mondial et de la surcapacité en avions cargos, notamment des compagnies asiatiques. Ce déséquilibre entre l'offre et la demande a entraîné l'effondrement des prix. La compagnie KLM sera amenée à limiter ses liaisons avec Shanghai et Air France a cessé ses liaisons avec Hong Kong, qui étaient il y a seulement quelques années extrêmement florissantes.

J'en termine avec le volet industriel. Le groupe Air France-KLM compte 15 000 emplois industriels, principalement dans la maintenance des moteurs et des équipements, domaine dans lequel Air France est le numéro 2 mondial et qui a d'importantes perspectives de croissance du fait de l'augmentation du nombre d'avions en service dans le monde. Notre activité de maintenance des avions, quant à elle, est déficitaire et doit être restructurée entre les différents sites français et la filiale que nous avons créée avec Air Maroc à Casablanca.

J'en viens au volet social du plan Transform. Nous l'avons mis en oeuvre dès le mois de janvier pour répondre à la nécessité de revoir les accords qui régissent les trois catégories de personnel du groupe – personnels au sol, personnels navigants commerciaux et personnels navigants techniques, les règles d'emploi de ces derniers étant régies par des accords touffus et complexes, dont certains datent de 1971 – avec pour objectif de parvenir à des gains de productivité de 20 %. C'est dans une totale transparence quant à nos objectifs et nos intentions que nous avons abordé le dialogue avec les organisations syndicales.

Celles-ci ont compris notre démarche et sont entrées dans la négociation en faisant preuve de beaucoup de responsabilité et de courage, sachant que les efforts demandés étaient très importants. La majorité d'entre elles nous a suivis. La négociation sur le volet social, qui s'est déroulé sans une journée de grève – jusqu'à demain – a débouché sur trois projets d'accord en vue de réaliser des gains de productivité de 20 % : un accord signé par les organisations syndicales des personnels au sol – accord applicable puisque la représentativité de ces organisations dépassent le seuil de représentativité de 30 % ; un projet d'accord soutenu par les principaux syndicats de pilotes, qui sera soumis à un référendum et devrait être conclu à la mi-août ; un projet d'accord soumis à référendum par les trois organisations syndicales des personnels navigants commerciaux, dont le résultat devrait être connu au milieu de la semaine. Nous avons veillé à respecter scrupuleusement à la fois les objectifs économiques que nous nous étions fixés, l'équité entre les personnels et le dialogue social avec les organisations syndicales, qui, dans leur grande majorité, se sont montrées très responsables.

Le volet social du plan Transform traite également des sureffectifs, qui sont le produit, malheureusement, du plan industriel et des gains de productivité que nous devons réaliser. La suppression de ces sureffectifs, au nombre de 5 122 à l'horizon 2013 pour la seule compagnie Air France, a été annoncée, expliquée et discutée avec les organisations syndicales. S'agissant des modalités de traitement, sachez que le volet social exclut tout recours à des départs « non volontaires ». Tous les départs du groupe se feront, autant que faire se peut, sur la base du volontariat et seront accompagnés.

Tels sont les éléments du projet Transform et les défis que nous allons essayer de relever, avec pour objectif de revenir à la profitabilité en 2014 et de redevenir le numéro 1 mondial en 2016.

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