Merci, mesdames les présidentes, de votre invitation ; merci, monsieur le ministre, de ces précisions.
Pour le Parlement européen, l'accord intervenu au Conseil européen pose deux problèmes d'une gravité inédite. Un problème politique, d'abord, exprimé, de manière tout à fait inhabituelle, par un communiqué des présidents des quatre grands groupes du Parlement européen : le PPE, les socialistes-démocrates, les libéraux-démocrates, ou centristes, et les Verts. Ces adversaires se sont unis pour dire leur désaccord : avec un budget en diminution pour sept ans, l'Europe ne pourra pas être plus forte, plus solidaire ni – bien que cela ait été moins souligné – plus juste. Le système actuel de financement par des contributions nationales est intégralement maintenu ; il est même aggravé puisque certains pays qui n'en bénéficiaient pas ont obtenu une sorte de bouclier fiscal, dont le Danemark et – vous nous l'apprenez, monsieur le ministre – la France. Tant mieux pour la France, mais tant pis pour les autres, tant pis pour les pauvres, qui, du coup, paieront davantage. De même, s'agissant des dépenses, les Français que nous sommes ne peuvent que se réjouir à l'idée que, pour la PAC comme pour les fonds de cohésion, la France conservera les montants dont elle bénéficiait au cours de la période précédente. Mais puisque ces deux rubriques connaissent une diminution de plusieurs dizaines de milliards d'euros, il y aura un perdant. Si ce n'est pas l'un des pays les plus riches, ce seront, là encore, les plus pauvres.
Ce problème politique a un autre aspect, qui est presque un problème de conscience : l'on décide pour sept ans alors que nos mandats sont renouvelables l'an prochain. C'est d'ailleurs également le cas, dans les autres institutions, du président du Conseil européen, du président de la Commission et de tous les commissaires. Est-il politiquement honnête, est-il économiquement sérieux, dans la période d'incertitude actuelle, de figer pour sept ans, et en baisse, le budget de l'Union, ce qui condamne nos successeurs, et jusqu'à leurs successeurs, à la disette ?
La Commission européenne a formulé ses propositions, comme le prévoient les traités, en juin-juillet 2011, afin que le Conseil européen commence à les examiner et parvienne à une décision début 2012. Sagement, avec l'accord du Parlement, le Conseil européen a décidé de repousser l'échéance parce que, la France étant en campagne électorale, les instructions de la délégation française ne pouvaient qu'être provisoires. Mais imaginons que l'on ait obtenu un accord de ce type il y a un an : la politique européenne du nouveau Président de la République française, de son nouveau gouvernement, de sa nouvelle majorité aurait été liée pour toute la durée du quinquennat par une décision de leurs prédécesseurs. N'auraient-ils pas légitimement protesté ? Voilà la situation dans laquelle nous nous trouvons.
Monsieur le ministre, en quoi la perspective de la flexibilité est-elle ouverte ? Les conclusions devaient inclure un paragraphe sur la flexibilité qui en a été retiré à la demande expresse de M. Cameron. Ce point est donc entièrement à renégocier.
Au problème politique s'ajoute un problème institutionnel plus grave encore. Depuis dix-huit mois, nous avons répété en public, en privé, par des résolutions votées en plénière, en participant aux réunions du Conseil des affaires générales de la délégation du Parlement, que le traité de Lisbonne s'applique désormais. De fait, les matières traitées par le Conseil européen dans ses conclusions relèvent pour moitié au moins de compétences législatives. En réalité, il ne s'est pas agi d'un vrai débat sur l'avenir de l'Union européenne et le financement de ses politiques, mais de vingt-sept négociations nationales parallèles dans lesquelles chacun s'est efforcé de tirer son épingle du jeu. Vous nous l'avez montré au sujet de la France, monsieur le ministre, de manière tout à fait éloquente et convaincante. Mais ce résultat extraordinaire qui permet à la France, de loin le premier bénéficiaire de la PAC, de percevoir le même montant qu'auparavant alors que les crédits globaux baissent de 11 % suppose un arrangement des critères qui relève du pouvoir législatif. L'accord sera ainsi traduit dans près de soixante-dix lois européennes – des règlements – en cours de négociation entre les ministres compétents et la commission du Parlement concernée.
Si le Parlement juge légitime que, conformément aux traités, le Conseil européen joue un rôle éminent et directeur lorsqu'il s'agit de fixer les grands plafonds budgétaires, il n'a aucune raison d'abdiquer son pouvoir de répartition de ces montants entre les diverses politiques, donc entre les divers États, et de définition du contenu des politiques.
Monsieur le ministre, nous sommes naturellement sensibles aux appels que le Gouvernement français lance au Parlement européen. Vous avez utilisé une comparaison sportive qui ne peut que plaire au Béarnais que je suis : vous auriez marqué l'essai, à nous de le transformer. Encore faut-il que l'essai soit marqué, mais je laisse cette question au débat politique national. Cela étant, il y a des choses que l'on peut faire et d'autres qui sont impossibles. Le droit de veto qui peut permettre de défendre les intérêts de la France n'est pas dans les mains du Parlement européen. Lorsque la commission de l'agriculture et du développement rural du Parlement examinera les critères élaborés, dans la nuit et à huis clos, par le Conseil européen, elle se rendra compte de leurs implications, pays par pays : si, comme vous l'indiquez, la France ne perd pas un euro sur ses retours au titre de la PAC, alors que son budget diminue globalement de 11 %, cela signifie que d'autres pays perdent bien davantage. Comment réunir, dès lors, au sein de la commission de l'agriculture, une majorité qui soutienne la décision prise au Conseil européen ? Il en sera de même dans les autres commissions sur les différentes politiques de l'Union : cohésion, transports, etc.
En matière d'emploi, nous convenons tous de l'opportunité de créer un fonds – en réalité, une ligne budgétaire – destiné à aider les régions ou les pays où le taux de chômage des jeunes est particulièrement élevé. Je serais néanmoins très surpris que le Parlement européen n'amende pas cette mesure pour en faire bénéficier une catégorie intermédiaire de pays, où le taux de chômage des jeunes atteint non pas 25, mais 18 ou 19 %. Personne ne pourra décemment s'y opposer.
Ainsi, le Parlement sera amené à modifier certains critères et fera tomber le « château de cartes » savamment édifié par le président Van Rompuy. Certains pays seront gagnants ou perdants par rapport à ce qu'ils anticipaient au lendemain du Conseil européen.
Au conflit politique, somme toute classique, sur le niveau des crédits, s'ajoute donc un problème institutionnel autrement plus complexe.
Pour que le compromis soit validé par le Parlement européen, il convient de convaincre la moitié de ses membres, soit 378 députés, étant entendu que seuls les votes favorables sont comptabilisés. Compte tenu du contexte, il me paraît très difficile de réunir une telle majorité. D'autant que le Parlement n'est guère pressé : le temps joue non pas contre les intérêts de l'Union, mais contre les privilèges obtenus par certains pays en matière de contribution au budget européen, qui disparaîtront en l'absence de renouvellement de l'accord. En effet, si le compromis n'est pas validé avant la fin de l'année 2013, le cadre budgétaire actuel sera reconduit pour un an. Or les plafonds de dépenses antérieurs sont supérieurs à ceux que vient de fixer le Conseil européen. En outre, cela nous permettrait d'attendre les élections de 2014 : une nouvelle majorité sera désignée au Parlement européen ; un nouveau président de la Commission européenne sera élu, dans la foulée, par le Parlement. La nouvelle équipe pourra se doter du cadre budgétaire correspondant à la politique sur laquelle elle a été élue.