Intervention de Jean-Claude Lenoir

Réunion du 31 janvier 2013 à 10h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Jean-Claude Lenoir, sénateur, rapporteur :

– C'est à l'initiative de M. Daniel Raoul, président de la Commission des affaires économiques du Sénat, que l'Office parlementaire a été saisi sur « les techniques alternatives à la fracturation hydraulique pour l'exploration et l'exploitation des gaz de schiste ».

C'est l'occasion, pour l'Office parlementaire, d'étudier la problématique des hydrocarbures non conventionnels, qui a surgi en France fin 2010, pour aboutir, un peu dans la précipitation, à la loi du 13 juillet 2011. Il serait regrettable que la loi du 13 juillet 2011, qui a proscrit la fracturation hydraulique pour l'exploitation des mines d'hydrocarbures, conduise à s'interdire toute réflexion et recherche dans ce domaine.

L'Office parlementaire paraît l'enceinte idéale pour mener une réflexion aussi dépassionnée que possible sur ce sujet sensible pour l'opinion et les médias.

Je vous rappelle, par ailleurs, qu'en 2011, la facture énergétique de la France a battu un record, en atteignant 61,4 Mds€, ce qui représente 88 % de notre déficit commercial. Si la France exporte de l'électricité, elle importe en revanche massivement pétrole et gaz. Cette situation n'est pas seulement coûteuse d'un point de vue économique ; elle génère aussi une dépendance à l'égard de nos principaux fournisseurs. Dans ce contexte, comment ne pas s'intéresser, au moins au titre de la recherche, aux éventuelles ressources de notre sous-sol national, Outre-mer (en Guyane) ou en métropole ?

Nos auditions préliminaires confirment l'intérêt de cette saisine sur les techniques alternatives. En effet :

- la fracturation hydraulique est une pratique qui évolue très rapidement ;

- et il existe d'autres pistes susceptibles de justifier un effort de recherche dans l'objectif d'évaluer leur faisabilité et leur impact environnemental.

L'interdiction édictée en France semble inciter les opérateurs à faire évoluer leurs pratiques afin de les rendre plus respectueuses de l'environnement et plus compatibles avec le contexte européen.

En premier lieu, que sont ces hydrocarbures non conventionnels ?

Leur spécificité ne tient pas à leur nature mais aux techniques nécessaires à leur exploitation.

En ce qui concerne la terminologie : nos auditions préliminaires nous conduisent à penser que les termes « gaz de schiste », employés dans notre lettre de saisine, sont doublement inappropriés.

D'une part, ces termes excluent les huiles ou pétrole de schiste dont l'exploitation soulève pourtant des interrogations similaires à celle du gaz de schiste. Ces huiles pourraient constituer une partie importante des ressources françaises récupérables, notamment en Ile de France. Il convient donc de les intégrer à notre étude.

D'autre part, les experts sont unanimes à désapprouver l'emploi du mot « schiste », qui provient d'une mauvaise traduction de l'anglais « shale ». En français, le mot « schiste » est employé pour désigner soit une roche sédimentaire argileuse (en anglais, shale), soit une roche feuilletée obtenue en raison d'une augmentation très élevée de la pression et de la température (en anglais, schist). Seule la première catégorie de schiste est susceptible de renfermer des hydrocarbures.

C'est pourquoi il paraît préférable de retenir l'appellation « hydrocarbures non conventionnels ». Ces termes permettent par ailleurs d'englober trois types de gisements :

- les hydrocarbures de roche-mère : il s'agit des huiles et gaz de « shale », dispersés au sein d'une roche argileuse (argilite), non poreuse ;

- les gaz de réservoir compact qui se sont accumulés dans des réservoirs difficiles à exploiter, car emprisonnés dans des roches imperméables où la pression est très forte ;

- le gaz de houille ou grisou, dispersé dans des gisements de charbon. D'après des informations récentes, il serait toutefois possible d'exploiter ce gaz de houille en France sans procéder par fracturation grâce à des drains horizontaux qui seraient suffisants, étant donné la fracturation naturelle du charbon.

Ce qui est non conventionnel, ce n'est évidemment pas la nature de l'hydrocarbure récupéré, mais la roche dans laquelle il se trouve, les conditions dans lesquelles il est retenu dans cette roche et les techniques nécessaires à son exploitation.

Les hydrocarbures non conventionnels se trouvant dans un milieu imperméable, leur production nécessite de créer une perméabilité de façon artificielle en fissurant la roche (sauf dans le cas précité de certains gaz de houille).

La technique la plus employée actuellement est la fracturation hydraulique. Cette technique existe depuis 1947. Elle consiste, à partir de forages horizontaux, à injecter de l'eau à très haute pression pour créer des fissures qui sont maintenues ouvertes par l'emploi de sable et d'additifs chimiques. Les fissures ainsi créées viennent interconnecter le réseau déjà existant de fissures naturelles, ce qui permet de drainer les hydrocarbures.

Au contraire des réserves non conventionnelles, les gisements dits aujourd'hui, a contrario, « conventionnels » se caractérisent par l'existence d'une accumulation liquide ou gazeuse située dans une roche poreuse et perméable, ce qui permet une extraction classique par forage et éventuellement par pompage, sans nécessiter d'autres étapes de traitement.

Revenons maintenant sur l'essor récent de la production de ces hydrocarbures.

Cet essor résulte de la conjonction d'évolutions techniques et de conditions économiques ayant rendu cette production rentable. Au niveau mondial, de nombreuses incertitudes sur les ressources demeurent.

Aux États-Unis, la production de gaz non conventionnel s'est accrue très rapidement dans la seconde moitié de la décennie 2000, car le prix élevé du gaz a rentabilisé le développement de techniques permettant la récupération d'une ressource auparavant considérée comme non exploitable.

Grâce à cette ressource, les États-Unis deviendraient autonomes (c'est-à-dire exportateurs nets) en gaz d'ici 2021 et en pétrole d'ici 2030. Ceci représente une révolution économique et géopolitique majeure et inattendue puisque les États-Unis avaient entrepris la construction de terminaux destinés à l'importation de gaz, équipés de centrales de regazéification, qui ont dû être arrêtés.

Les retombées économiques de cette révolution dans le domaine énergétique sont importantes car les grands groupes pétrochimiques sont incités à multiplier les investissements sur le sol américain, en conséquence de la baisse du prix du gaz. Un million d'emploi pourrait être créés aux États-Unis d'ici 2025, en lien avec cette production non conventionnelle.

Il faut ajouter que les groupes chimiques européens pourraient être incités à délocaliser leur production dans un pays bien connu d'eux et présentant peu de risques.

À l'heure actuelle, États-Unis et Canada sont à l'origine de la quasi-totalité de la production mondiale de ces hydrocarbures non conventionnels. Mais ceux-ci suscitent l'intérêt de nombreux autres États dans le monde.

L'Australie, la Chine, l'Algérie, l'Ukraine ont, par exemple, manifesté leur intérêt pour l'exploration et pour l'exploitation.

En Europe, la situation est contrastée. Les évaluations disponibles des ressources reposent sur des modèles théoriques et des données éparses fournies par l'Agence américaine d'information sur l'énergie (Energy Information Administration - EIA). Celle-ci a estimé la ressource techniquement récupérable en gaz de roche mère dans les pays européens à 18 000 milliards de m3, la Pologne paraissant être le pays d'Europe le plus richement doté (5.300 Mds m3), devant la France (5.100 Mds m3).

Certains pays démarrent la prospection (Pologne, Royaume-Uni, Danemark), d'autres ont mis en place un moratoire (Allemagne, Pays-Bas).

Deux pays ont interdit la fracturation hydraulique (France, Bulgarie).

La Pologne est probablement, en Europe, le pays le plus avancé dans l'exploration de son potentiel. C'est en effet une perspective pour les Polonais de réduire considérablement leur dépendance à l'égard de Gazprom, fournisseur de 60 % du gaz polonais et de 25 % du gaz européen.

Il convient d'ajouter que tous les gisements techniquement récupérables ne sont pas effectivement exploitables, pour des raisons d'accessibilité ou de rentabilité. Il faut donc distinguer la ressource techniquement récupérable de la réserve, qui dépend des conditions économiques.

Les estimations pour les États-Unis et le Canada sont plus fiables que celles réalisées pour l'Europe, en raison de la maturité plus grande de l'exploration et de l'exploitation dans ces pays. Les pays européens ne connaissent à ce jour que très imparfaitement les ressources de leur sous-sol. C'est notamment vrai en France, où les organismes publics auditionnés pour la réalisation de la présente étude de faisabilité se réfèrent tous, pour l'évaluation des ressources françaises, à des sources américaines ou internationales.

Si les organismes compétents ont été sollicités pour des études dans la plupart des pays d'Europe, ce n'est pas le cas en France, alors même que la loi de 2011 ne l'exclut pas complètement.

Pourtant, en France, il serait possible de procéder à de premières quantifications des ressources du sous-sol français à partir des connaissances et des modèles existants, pour deux bassins : le bassin du sud-est et celui de Paris.

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