Intervention de Christian Bataille

Réunion du 31 janvier 2013 à 10h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristian Bataille, député, rapporteur :

– L'expérience accumulée, essentiellement aux États-Unis, a mis en évidence les risques associés à l'exploration et à la production d'hydrocarbures non conventionnels.

Nos auditions préliminaires nous conduisent toutefois à penser que les techniques évoluent très rapidement. D'une part, dans les pays explorant ou exploitant ces hydrocarbures, notamment aux États-Unis, les pouvoirs publics mettent progressivement en place des réglementations spécifiques ; d'autre part, afin d'améliorer l'acceptabilité sociale de leur activité, les opérateurs sont enclins à mieux prendre en compte les considérations environnementales.

Quels sont les risques éventuellement associés à l'exploitation des hydrocarbures non conventionnels ?

- Tout d'abord, son impact quantitatif sur la ressource en eau est régulièrement mis en avant, puisque chaque forage nécessite 8 000 à 20 000 m3 d'eau, ce qui peut créer des conflits d'usage.

- Ensuite, il existerait un risque de migration des gaz ou des produits utilisés pour la fracturation. Les nappes phréatiques étant proches de la surface du sol, leur contamination du fait de la fracturation hydraulique, à 3 000 m de profondeur, est très peu probable. S'il y a un risque de pollution du sol et des nappes phréatiques, il est plutôt imputable à la qualité du forage et des installations en surface. Ce risque n'est pas fondamentalement différent de celui qui est associé à un forage conventionnel mais le nombre de puits nécessaires est supérieur.

- Par ailleurs, la fracturation hydraulique pourrait entraîner le drainage d'éléments contenus dans la roche (métaux lourds, éléments radioactifs). Une bonne connaissance de cette roche est donc indispensable.

- On impute aussi à la fracturation hydraulique un risque de sismicité induite : la fracturation hydraulique crée dans la plupart des cas des microséismes de très faible amplitude, sans danger en surface. Néanmoins des séismes ont été attribués à l'exploitation d'hydrocarbures non conventionnels au Texas et en Arkansas, non pas en lien avec la fracturation hydraulique, mais en raison de la réinjection d'eaux usées dans le sous-sol. Au Royaume-Uni, en 2011, deux séismes de faible magnitude pourraient être liés à la fracturation hydraulique, dans un puits d'exploration de la région de Blackpool.

- Ensuite, les travaux d'exploration et d'exploitation entraînent inévitablement des nuisances locales : emprise au sol, impact sur les paysages, passages de camions. Ces nuisances sont temporaires (6 à 18 mois).

- Enfin, le bilan de l'exploitation des hydrocarbures non conventionnels sur le climat est l'objet de controverses. Aux États-Unis, l'usage croissant du gaz, en lieu et place du charbon et du pétrole, pour produire de l'électricité, a contribué à une réduction des émissions de CO2. Mais des fuites de méthane lors de la production, du transport et de l'utilisation du gaz pourraient avoir un impact négatif. Sur un siècle, le méthane a un effet sur le changement climatique 25 fois plus important que le CO2. Les experts auditionnés nous ont confirmé qu'à ce jour aucune étude sur ce sujet n'était complètement probante.

Les techniques de production des hydrocarbures non conventionnels ne sont pas figées mais, au contraire, évolutives.

Le débat sur les conséquences environnementales de la fracturation hydraulique est vif tant en Europe qu'aux États-Unis et au Canada. Il a conduit, dans la plupart des pays, à une réflexion sur les moyens de limiter les risques grâce à des réglementations et à des contrôles destinés à modifier les pratiques.

L'un des enjeux de cette réglementation est la limitation du nombre d'additifs chimiques utilisés dans les fluides de fracturation. L'industrie a développé l'utilisation de produits alimentaires (tels que le haricot de guar), et envisage l'usage de produits biodégradables ou d'autres techniques, tels que des rayons UV, qui viendraient se substituer aux biocides utilisés pour désinfecter le fluide de fracturation.

L'impact sur les paysages peut être réduit en regroupant plusieurs puits à partir d'une seule plateforme de forage, qui pourrait héberger jusqu'à plus de quinze puits.

Le nombre de camionnages peut également être réduit, si l'on parvient à diminuer les quantités d'eau nécessaire, ou si l'on utilise d'autres techniques de fracturation à partir de fluides moins volumineux.

De façon plus générale, les procédés de fracturation évoluent : Schlumberger a, par exemple, développé une technique de fracturation hydraulique dite « avec canaux » qui consomme significativement moins d'eau que la fracturation classique.

Nous entendons examiner l'ensemble des voies d'amélioration de la fracturation hydraulique, esquissées lors de nos premières auditions.

Nous entendons examiner aussi les techniques de substitution à la fracturation hydraulique. La plupart ne sont pour le moment qu'au stade de la R&D. Tous les experts auditionnés sont d'avis qu'elles ne pourront être employées avant au minimum une décennie.

Il s'agit notamment :

- de l'électro-fissuration, consistant à fissurer la roche sous l'effet d'un courant électrique ;

- de la fracturation thermique par modification de la température de la roche-mère ;

- de la fracturation par injection d'un fluide autre que l'eau, tel que du CO2 supercritique (employé à titre expérimental par Chevron), ou encore de l'hélium, de l'azote ou d'une « mousse » (émulsion stable eaugaz).

Ces techniques présenteraient l'avantage de ne pas nécessiter d'eau. Elles devraient permettre de diminuer le nombre d'additifs employés (sauf dans le cas de la mousse), une partie de ces additifs servant à empêcher la sédimentation du sable dans l'eau, ce qui ne deviendrait plus nécessaire.

La seule technique alternative à la fracturation hydraulique réellement opérationnelle à ce jour est la fracturation au propane, employée en Amérique du nord.

Le propane est utilisé depuis 40 ans dans le cadre de la production conventionnelle. Injecté sous forme de liquide ou de gel, il est récupéré sous forme gazeuse. Cette technique présente l'intérêt de limiter voire supprimer le recours à des agents chimiques. En outre, le propane peut être recyclé et réutilisé presque intégralement. Les volumes à gérer seraient moindres que pour la fracturation hydraulique, réduisant d'autant le besoin de transport en surface. Les risques industriels associés sont ceux inhérents à l'usage de gaz naturel (risque d'explosion).

En conclusion, la technique interdite par la loi du 13 juillet 2011, à savoir la fracturation hydraulique, a déjà beaucoup évolué. Il s'agit d'une technique ancienne qui se transforme rapidement sous l'effet de considérations environnementales de plus en plus partagées.

Par ailleurs, une technique alternative opérationnelle existe : il s'agit de la stimulation au propane, qui mériterait un plus ample examen. D'autres technologies sont envisagées en recherche et susceptibles d'aboutir à des applications d'ici une dizaine d'années.

Les auditions préliminaires réalisées confirment donc pleinement l'intérêt de la saisine de la commission des affaires économiques du Sénat.

Un simple ajustement des termes de cette saisine est suggéré : il s'agit de remplacer les termes « gaz de schiste » par ceux d'« hydrocarbures non conventionnels », pour les raisons évoquées.

L'intitulé de l'étude pourrait donc être le suivant : « Les techniques alternatives à la fracturation hydraulique pour l'exploration et l'exploitation des hydrocarbures non conventionnels »

Du point de vue de la méthode, nous suggérons l'organisation d'une audition ouverte à la presse en avril prochain.

Nous proposons également de nous rendre en Amérique du Nord où le retour d'expérience de l'exploration et de l'exploitation est le plus grand. Aux États-Unis, de même qu'au Canada, les préoccupations environnementales ont conduit à un réexamen du cadre réglementaire et des modes de production. Enfin, c'est en Amérique du Nord que des techniques alternatives sont d'ores et déjà expérimentées (stimulation au propane).

En Europe, le pays le plus avancé sur la voie de l'exploration de son potentiel en hydrocarbures non conventionnels est la Pologne. C'est pourquoi nous envisageons de nous y rendre, ainsi éventuellement qu'au Royaume-Uni, si cela se révélait utile après un examen plus approfondi.

Enfin, nous proposons d'inscrire notre étude dans un calendrier qui lui permettrait d'apporter une contribution au débat national sur la transition énergétique. C'est pourquoi nous envisageons un rapport d'étape au printemps prochain, puis un rapport final à l'automne.

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