Intervention de Michel Sapin

Réunion du 25 juillet 2012 à 16h15
Commission des affaires sociales

Michel Sapin, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social :

Chacun, ici, le sait et le ressent : la question de l'emploi et du chômage est la première préoccupation des Français. C'est à la fois une traduction concrète de la crise et une de ses causes. En effet, le sous-emploi entraîne la faiblesse des revenus qui, en creusant le déséquilibre économique, peut enclencher le cercle vicieux de la faible croissance, elle-même porteuse de chômage. La lutte contre ce fléau est une priorité absolue du Gouvernement. Il n'est pas besoin de le préciser.

Dans quelques heures, nous connaîtrons les derniers chiffres du chômage. Je crains qu'ils ne contrediront pas l'analyse que je vais faire. Ceux dont nous disposons déjà font apparaître une augmentation globale du nombre des chômeurs – qui approche trois millions – et une augmentation plus importante encore parmi les moins de 25 ans. Le chômage des jeunes est proche des records atteints dans les pires moments des crises de ces dernières années. En même temps, le chômage des plus de 55 ans ne cesse d'augmenter. Quelles que soient les politiques menées, cette manie de pousser les gens de 55 ans hors de l'entreprise a continué à perdurer et avoir ses effets désastreux. Dernier constat, peut-être le plus grave : jamais la France n'a connu autant de chômeurs et de chômeuses de longue durée, c'està-dire de plus d'un an. Or, cela a des conséquences sur le budget de l'État par le biais de l'allocation de solidarité spécifique (ASS) – et sur celui des collectivités locales. Plus grave encore, il a des conséquences en termes de marginalisation sociale, rendant difficile aux jeunes ou aux plus âgés, premières victimes du chômage de longue durée, de retrouver du travail.

Cette situation ne s'améliorera pas d'elle-même. Le Gouvernement doit donc ouvrir deux fronts à la fois, et d'abord celui de l'urgence immédiate. Pôle Emploi a vu ses effectifs diminuer au cours des dernières années, alors que le nombre des chômeurs augmentait. Les mille emplois en contrat à durée déterminée (CDD) qui y ont été créés pour cette année ne sont qu'un renfort momentané. Il y avait d'ailleurs quelque contradiction à ce que ceux qui sont amenés à trouver des emplois durables pour les demandeurs d'emploi soient eux-mêmes en situation de précarité. Il fallait donc renforcer les effectifs, et en particulier ceux des personnels qui sont au contact avec les chômeurs, et qui doivent analyser les situations individuelles. Deux mille emplois passent du « back office » au « front office », effort interne à Pôle Emploi ; et malgré le contexte budgétaire difficile, deux mille emplois supplémentaires sont créés, qui seront tous affectés au contact et à la gestion des dossiers des chômeurs.

La deuxième urgence concerne les contrats aidés. Je ne veux faire aucune polémique, mais les chiffres sont éloquents : 34 000 emplois aidés non marchands ont été créés dans le budget 2012, avec une durée moyenne affichée de huit mois ; parmi eux, 250 000 ont, étonnamment, été conclus dans les quatre premiers mois de cette année, avec une durée moyenne de trois à quatre mois. L'État avait donc utilisé, en l'espace de quelques mois, les deux tiers de ses moyens annuels, ce qui a contribué certes à ralentir l'augmentation des chiffres du chômage au début de l'année, mais aussi à l'accélérer sitôt après, car à partir d'avril, ces contrats ont fait défaut. Or, un contrat aidé en moins, c'est presque mécaniquement un chômeur en plus, en l'espace de quelques semaines. Il fallait là aussi rétablir l'équilibre, dans un contexte budgétaire difficile : c'est pourquoi 80 000 emplois aidés supplémentaires ont été annoncés, et sont mis en oeuvre dans les régions.

Le second front que nous ouvrons est celui de la mise en oeuvre de nouveaux outils et d'une nouvelle méthode. Le premier outil, ce seront les « emplois d'avenir », qui feront l'objet d'un des tout premiers textes examinés à la rentrée. Ils seront 100 000 l'année prochaine – créations confirmées au niveau budgétaire –et 50 000 l'année suivante, soit 150 000 au total, destinés essentiellement aux jeunes les plus éloignés de l'emploi, noyau dur du chômage des jeunes. Sur les quelque 400 000 jeunes qui n'ont aucune qualification et qui sont sans emploi – qui « galèrent », comme on dit dans le langage courant – nous cherchons à en toucher 130 000 à 150 000. Il s'agira de contrats stables, pour une durée de l'ordre de trois ans, avec les formations et les accompagnements nécessaires, principalement – sinon exclusivement – dans le secteur non marchand, avec pour employeurs les collectivités territoriales, les maisons de retraite, les hôpitaux ou le secteur associatif, notamment celui de l'économie sociale et solidaire.

Un autre outil vous sera proposé un peu plus tard, les « contrats de génération » qui concernent exclusivement les entreprises du secteur marchand. Ces contrats doivent permettre à la fois l'embauche d'un jeune – dont ce doit être le premier emploi en contrat à durée indéterminée (CDI) – et le maintien en emploi d'un salarié plus âgé, et instaurer entre eux un lien de tutorat, d'accompagnement et de transfert de compétences. Parce qu'on ne peut pas mettre en oeuvre des contrats de cette nature de la même manière dans toutes les entreprises – chez un artisan et dans une très grande entreprise, dans le secteur industriel et dans celui des services – une adaptation par secteur et par entreprise sera nécessaire. Elle fera l'objet d'une négociation entre partenaires sociaux qui devront conclure un accord national interprofessionnel (ANI), à décliner par branche. Comme ils l'ont souhaité lors de la grande conférence sociale, nous les saisirons en septembre, en application de la « loi Larcher », d'un document d'orientation sur la définition des contrats de génération ; ils devront négocier au cours des deux ou trois mois qui suivront, et à l'issue de cette négociation, un texte de loi sera déposé, avec l'objectif d'une entrée en application au cours de l'année 2013 et d'une montée en puissance rapide du dispositif.

Ces deux nouveaux outils ne relèvent pas d'une urgence immédiate ; leur élaboration demande du temps – nous discuterons notamment des crédits à leur consacrer au moment du débat budgétaire –, mais une fois votés, ils permettront de répondre à une partie des questions posées par la montée du chômage.

Au-delà de l'urgence immédiate, nous souhaitons mettre en place une nouvelle méthode de négociation et de prise de décision dans tous les domaines qui concernent les partenaires sociaux, et en particulier dans celui du fonctionnement des entreprises privées. C'est ainsi que la grande conférence sociale a abordé tous les sujets qui relèvent du monde du travail : le redressement productif, et notamment la question des outils qui permettraient, dans les entreprises, des adaptations plus rapides aux évolutions techniques ; la formation professionnelle tout au long de la vie ; l'évolution des revenus. Aujourd'hui, dans une grande majorité des branches, les minima salariaux sont en effet inférieurs au niveau du SMIC ; il y a donc une obligation légale de négociation pour remettre de l'ordre dans la hiérarchie des salaires. Mais la rémunération des dirigeants doit elle aussi être encadrée, et il faudra mettre en place des procédures de transparence et de régulation qui permettront de limiter des salaires dont chacun – sauf peut-être les bénéficiaires eux-mêmes – conviendra qu'ils sont anormalement élevés dans les conditions d'aujourd'hui.

Les différentes tables rondes ont abordé les questions touchant au développement de l'emploi, à l'égalité professionnelle et salariale, à l'amélioration de la qualité de vie au travail. Sur tous ces points, c'est l'ensemble des partenaires sociaux – organisations représentatives, mais aussi non représentatives – qui ont travaillé en commun. Du côté syndical, étaient ainsi présentes des organisations comme l'Union nationale des syndicats autonomes (UNSA) ou les syndicats Solidaires Unitaires Démocratiques (SUD) ; du côté patronal, à côté des trois organisations représentatives – le MEDEF, l'UPA et la CGPME –, il y avait l'Union nationale des professions libérales (UNAPL), ainsi que des représentants de l'économie sociale et solidaire.

Les collectivités territoriales étaient également représentées, et elles ont activement participé à la conférence. Dans beaucoup de domaines, en effet – l'emploi, la formation, la réindustrialisation – la présence de ces collectivités est fondamentale. Les régions jouent un rôle crucial dans le domaine de la formation, mais aussi, à côté des grandes agglomérations et des départements, dans celui de l'orientation, de l'insertion ou de l'aide au développement économique. Et les communes sont toujours concernées par les politiques de l'emploi.

De ces deux jours de travaux introduits par le Président de la République et conclus par le Premier ministre, est sortie une feuille de route sociale dont chacun de vous a pu prendre connaissance. Elle est le résultat des discussions, des confrontations, et parfois des désaccords qui se sont exprimés.

Notre méthode consiste à privilégier le dialogue social, la concertation et la recherche des compromis, afin de mettre en oeuvre des adaptations en amont des crises, pour les éviter ; mais aussi, en cas de crise, afin de la résoudre autrement que par le seul licenciement. Ce dernier présente en effet des inconvénients non seulement pour les licenciés, mais aussi, bien souvent, pour les entreprises qui se séparent de collaborateurs compétents qu'ils risquent de ne pas retrouver le jour où, la conjoncture étant meilleure, il faut réembaucher.

La négociation est un mécanisme fondamental dont il importe de définir les modalités. Nous disposerons bientôt de la nouvelle liste des organisations syndicales représentatives ; mais comme le MEDEF l'a déclaré lors de la grande conférence sociale, la question de la représentativité se pose également du côté patronal. Or, la constitutionnalisation du dialogue social, qui fait partie des engagements du Président de la République, suppose que cette question soit réglée d'un côté comme de l'autre. À défaut, la validité des accords risque d'être contestée.

Les critiques émises à l'encontre des résultats de la conférence procèdent pour partie d'une méconnaissance du contenu de la feuille de route. Qu'on ne dise pas qu'elle n'aborde pas les questions concrètes : tous les grands sujets, y compris les plus délicats, seront abordés. L'avenir des retraites au-delà de 2015 sera examiné bien plus tôt que ne le prévoyaient les dernières réformes : les négociations devaient ouvrir fin 2013, elles commenceront dès cet automne, en vue de décisions à la mi-2013.

Autre sujet délicat, celui de la meilleure assiette pour les cotisations destinées à assurer la pérennité du système de solidarité pour les familles ou pour la maladie. La CSG pourrait en être une, mais elle n'est pas la seule envisagée. Il s'agit de sujets difficiles mais importants pour la compétitivité de notre entreprise – mot qui ne nous fait pas peur. La discussion commencera à l'automne, et à mi-2013, des décisions devront être prises.

Nous nous attacherons enfin à la lutte contre la précarité dans l'entreprise. Sachez que 93 % des nouveaux chômeurs entrent à Pôle Emploi pour des raisons autres que la rupture d'un CDI – fin d'une mission d'intérim, fin d'un CDD, entrée sur le marché de l'emploi, fin d'un stage – et seuls 7 % à la suite d'une telle rupture. Autre chiffre : 75 % des premiers emplois pour les jeunes ne sont pas des CDI. Les chefs d'entreprises sont les premiers à le reconnaître : le CDI est aujourd'hui devenu l'exception, cela est anormal et contreproductif, même du point de vue de l'entreprise.

Il faut donc négocier sur toutes les questions, de l'adaptation des entreprises au licenciement dont la procédure est aujourd'hui critiquée par les deux parties. Ainsi, lorsqu'un salarié conteste le motif économique invoqué à propos d'un plan de licenciement, la justice peut considérer le licenciement comme abusif – mais sa décision interviendra au bout de trois, cinq ou dix ans. Et la traduction juridique de cette décision – le paiement d'une indemnité – ne correspond évidemment pas au souhait initial du salarié, qui était de garder son emploi au sein d'une entreprise pérenne. Mais du côté de l'entreprise, beaucoup de chefs d'entreprise sincères, dont l'objectif n'est pas de licencier mais qui sont parfois obligés de le faire, se plaignent de la longueur et de l'incertitude des procédures. D'un côté comme de l'autre, il y a donc nécessité de négocier pour rendre la procédure de licenciement plus protectrice des uns et des autres. Ce sera l'objet de la négociation sur la sécurisation de l'emploi, qui viendra remplacer celles qui ont avorté, en particulier celle, lancée fin janvier dernier, que le Président de la République de l'époque voulait voir conclue en trois semaines mais que les partenaires sociaux ont eu la sagesse de suspendre dans l'attente du résultat des élections. Une nouvelle négociation est aujourd'hui nécessaire, à laquelle la feuille de route sociale donne une nouvelle base. Elle associera tous les partenaires sociaux, du côté patronal comme du côté syndical, et s'ouvrira dès septembre, à partir d'un document d'orientation présenté par le Gouvernement, en vue de se conclure au premier trimestre 2013.

Notre démarche est donc très concrète, y compris sur les sujets les plus difficiles, et nous entendons agir rapidement. Le dialogue social demande certes un peu de temps, mais nous le prenons afin de mieux résoudre les problèmes qui n'ont pas été résolus jusqu'à présent. La conférence sociale n'était pas un moment – fût-il productif et salué comme tel par l'ensemble des partenaires sociaux – mais le début d'un processus. Mon ambition, en tant que ministre du travail, serait d'avoir fondé un vrai dialogue social à la française. Nous n'avons pas à copier les autres ; la France n'est pas l'Allemagne, nos habitudes ne sont pas les mêmes. Nous devons donc inventer notre propre système, et c'est tout l'objet de cette grande conférence. Par conséquent, votre Commission sera souvent saisie : tout de suite pour la question des emplois d'avenir, très vite pour les contrats de génération. Plus généralement, les négociations engagées – et particulièrement celle sur la sécurisation de l'emploi – ont vocation à recevoir des traductions législatives en matière de droit du licenciement et de droit du travail. Et quelle que soit la place que l'on veut légitimement faire en France à la démocratie sociale, y compris en la couronnant d'une reconnaissance constitutionnelle, c'est bien sûr au Parlement qu'il revient de légiférer.

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