Les travaux de votre mission, que je remercie de son invitation, illustrent l'engagement fort de la représentation nationale au service de la reconstruction de notre appareil industriel que le Gouvernement, avec le rapport Gallois et le Pacte de compétitivité, a placé au centre du débat public et de son action. L'enjeu à plus court terme consiste à sauver des outils, des savoir-faire et des entreprises : ce travail difficile, qui m'a été confié, donne tout de même des résultats. Notre stratégie est similaire à celle suivie par l'Allemagne en 2008 et 2009. Nonobstant des chutes significatives dans les carnets de commandes, le système en vigueur outre-Rhin a permis de maintenir les outils en état de marche, de suspendre les contrats de travail grâce au chômage partiel et d'éviter la destruction d'entreprises. La France, où subsiste un penchant pour les licenciements et les démantèlements, n'a pas fait les mêmes choix. Notre stratégie de court terme, décentralisée, relève donc du « cas par cas »; nous la menons en attendant le redémarrage de l'économie de la zone euro, pour l'instant en panne : dix pays sur dix-sept sont en récession, la France y entrant et l'Allemagne n'en étant plus très loin.
Les coûts de production incluent les prix du travail, de l'énergie et du capital, sans oublier le facteur décisif du taux de change.
S'agissant du coût du travail, les comparaisons se focalisent sur l'Allemagne car ce pays est notre principal concurrent ; or, de 2000 à 2010, les coûts de production de l'industrie manufacturière s'y sont stabilisés alors que les nôtres augmentaient de 5 %.
Le coût n'est évidemment pas le seul facteur de compétitivité : celle-ci tient aussi à la qualité et à la montée en gamme des produits. L'économiste Michel Aglietta définit la compétitivité comme la capacité, pour une nation, à vendre son travail le plus cher possible. On peut vendre très cher un produit de valeur moindre, qui, s'il n'exaltait l'imaginaire ou le beau, selon les critères de ces artistes des temps modernes que sont les designers, ne se vendrait guère. Ces capacités créatives, ces atouts « hors coût » expliquent d'ailleurs la résistance de l'économie française, en dépit de ses difficultés et de la cruauté de la concurrence au sein même de la zone euro. Rappelons aussi que le coût du travail, dans le secteur des services marchands, a augmenté de 25 % en France, alors qu'il s'est stabilisé en Allemagne. Ces différents chiffres tiennent compte de la productivité, même si celle des travailleurs français est l'une des plus élevée d'Europe.
L'écart se creuse en raison du dumping des pays d'Europe du Sud, à commencer par l'Espagne et l'Italie, qui, pour remettre en ordre leurs comptes publics, ont adopté des mesures de déflation, lesquelles ont encore intensifié la compétition entre pays de la zone euro. Elles montrent aussi à quel point la question du coût du travail est devenue centrale. L'accord signé par la direction de Renault en Espagne prouve d'ailleurs que le groupe a opté, dans ce pays, pour la baisse des salaires alors qu'il se borne à les geler en France.
Le Gouvernement a donc pris le taureau par les cornes avec le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), lequel revient, pour la nation, à financer une diminution du coût du travail de 20 milliards d'euros en deux ans, de sorte qu'en 2014, la baisse des salaires inférieurs à 2,5 SMIC aura atteint 6 %. Les effets attendus sont un gain de croissance de 0,5 % et la création de 300 000 emplois, bien que ces chiffres soient contestés et, par nature, contestables. Reste que l'essentiel est de porter remède à la dégradation des marges des entreprises de toutes tailles qui opèrent sur le marché national, et, ce faisant, de diriger des ressources supplémentaires vers l'investissement.
Le débat sur le coût de l'énergie, ouvert dans le cadre de la conférence environnementale, offre des entrées multiples. Le premier enjeu est la souveraineté énergétique et la dépendance aux hydrocarbures – d'autant que la facture, en ce domaine, n'a jamais été aussi élevée –, sans parler de la dépendance géopolitique à l'égard des pays qui font les prix. Les énergies fossiles représentent 76 % du bouquet énergétique, contre 24 % pour l'électricité. Le prix d'accès à l'énergie est bien entendu un élément clé pour les industries électro-intensives soumises à la concurrence européenne et mondiale. L'électricité française présente le double avantage d'être sobre en carbone et peu coûteuse – puisqu'elle est 25 % moins chère que la moyenne européenne – en raison de son origine nucléaire, dont elle provient à 78 %, les autres sources étant l'hydroélectricité pour 10 %, l'éolien pour 2 %, le photovoltaïque pour 0,5 % et le thermique pour 10 %. Défendons, dans le cadre du débat sur la transition énergétique, cet avantage compétitif que constitue le tarif de l'électricité, même s'il faudra financer l'évolution du « mix » énergétique et le développement des énergies renouvelables. Il ne s'agit d'ailleurs pas d'opposer transition écologique et compétitivité des entreprises françaises : les stratégies peuvent être gagnantes et complémentaires.
Comme je l'ai indiqué hier à Mme Bonneton lors des questions au Gouvernement, en vingt ans, dix-neuf sites de production d'aluminium primaire ont fermé en France, soit une capacité de production de 1 million de tonnes, et la filière, qui a perdu 23 % de ses emplois en cinq ans, ne compte plus que 11 000 salariés. Rio Tinto Alcan, qui a racheté notre industrie via une OPA agressive et fait disparaître Péchiney en 2004, a aussi décidé de fermer le site de Saint-Jean-de-Maurienne, si bien qu'il ne subsiste que deux sites sur notre sol. L'électricité représente 40 % des coûts de l'aluminium ; or le mégawattheure coûte 10 euros de plus en Europe que dans le reste du monde. Toutes les grandes productions électro-intensives migrent donc, non en Asie, mais plutôt en Russie, au Canada et en Australie, pays comparables au nôtre au regard de la compétitivité, et qui ont eu l'intelligence de créer des conditions favorables pour ces industries. À nous de faire de même en négociant avec Bruxelles, afin de permettre à l'Europe de se ressaisir au lieu de détruire sa propre industrie par une politique énergétique contraire à ses intérêts et favorable aux délocalisations : c'est le sens des arguments que j'ai défendus, avant-hier, auprès des commissaires Antonio Tajani et Connie Hedegaard. Notre position ne consiste pas à défendre une réduction des standards européens en matière d'émission de CO2, mais à imposer au reste du monde de s'aligner sur eux car, en ce domaine, de deux choses l'une : soit l'Europe opte pour la dérégulation en son sein, comme pour l'acier ; soit elle oblige les pays qui exportent sur ses marchés à acquitter une taxe carbone aux frontières. Il convient de relancer cette idée, car nous ne pouvons pas accepter que l'Union inflige une telle taxe à ses propres industries et en exempte les autres. Les règles du jeu doivent s'équilibrer, car la mondialisation est aujourd'hui déloyale. C'est pourquoi j'insiste sur la nécessité de défendre, dans le cadre du débat sur la transition énergétique, un prix de l'électricité compétitif pour nos industries électro-intensives.
Le coût du financement fait lui aussi l'objet d'une compétition. Par sa cupidité excessive, dénoncée notamment par les prix Nobel Paul Krugman et Joseph Stiglitz, le système financier détruit des outils industriels rentables pour servir ses intérêts immédiats. Pour le contrecarrer, le Gouvernement a fait le choix de créer un système de concurrence, avec la Banque publique d'investissement (BPI), moins gourmande et plus patiente. Tout l'enjeu, pour cette banque, sera d'offrir une véritable alternative sans tomber dans les affres du Crédit Lyonnais, qui distribuait les crédits comme des subventions : elle devra définir une doctrine d'intervention que mon ministère est en train d'élaborer avec M. Dufourcq, futur directeur général de l'établissement.
La question du financement conduit aussi à poser celle de notre taux d'épargne, atout encore trop peu utilisé au profit de notre industrie manufacturière comme de l'ensemble de nos entreprises, vers lesquelles ne se dirigent que 4 à 10 % des 1 300 milliards d'euros d'encours de l'assurance-vie. La mission de Mme Karine Berger et de M. Dominique Lefebvre permettra de dégager des orientations en ce domaine : notre épargne ne doit pas seulement financer la dette publique des pays de la zone euro, mais aussi l'économie réelle.
J'en viens, pour conclure, au taux de change, que nos grands concurrents utilisent comme une arme économique à travers des dévaluations compétitives, qu'il s'agisse de la Banque d'Angleterre, de la Réserve fédérale américaine, de la Banque centrale chinoise, et maintenant de celle du Japon. Ces politiques placent l'euro dans une situation délicate – sur laquelle le Gouvernement s'est exprimé –, mais aussi l'économie française et l'économie européenne dans son ensemble. Une dépréciation de l'euro de 10 % se traduirait au bout d'un an, pour la France, par un gain de croissance de 0,5 % et la création de 30 000 emplois ; à l'inverse, une appréciation de 10 % représente un manque à gagner de 1 milliard d'euros de chiffre d'affaires pour EADS et réduit à néant les effets du CICE, c'est-à-dire l'effort de 20 milliards consenti par la nation. Bref, nous devions réagir, comme nous l'avons fait au sein de l'Eurogroupe. L'euro, faut-il le rappeler, s'est apprécié de 30 % par rapport au yen depuis le 1er août 2012 et de 11 % par rapport au dollar. Le Président de la République a récemment déclaré qu'il ne devait pas fluctuer au gré des marchés : les parités ne peuvent être utilisées à des fins commerciales. Si nos concurrents mondiaux l'utilisent, il nous faudra, au nom de la réciprocité, faire de même.