Je remercie votre rapporteur Daniel Goldberg et l'ensemble des parlementaires engagés dans la cause du redressement industriel de notre pays. Si nous partageons les diagnostics, nous essayons aussi de partager les solutions. En ce sens, mon ministère est un ministère de l'unité nationale : il organise la coopération collective. Cadres, ouvriers, ingénieurs et dirigeants travaillent de concert, et nous nous efforçons de les convaincre de la justesse de nos orientations. Le combat du « made in France » consiste à faire prendre conscience à la société tout entière que la disparition de la production sur notre sol reviendrait à aliéner notre culture, notre identité, en un mot notre souveraineté : celui qui ne produit plus se met dans la main de celui qui produit. Une telle dépendance nous conduirait à l'appauvrissement. Comment, dès lors, financer notre modèle social, nos dépenses militaires, nos services publics ou notre réseau diplomatique ?
Or, force est de constater que la crise a produit des dégâts incommensurables. La prise de conscience concerne donc les consommateurs comme les producteurs. La responsabilité des premiers, liée à leur pouvoir d'achat, est pour cette raison très modeste, mais elle existe : tout consommateur doit réfléchir aux conséquences de ses actes. C'est le sens du marketing patriotique que j'encourage partout, à commencer chez les grands distributeurs. Les enseignes Intermarché et Leclerc vont ainsi estampiller leurs produits français par des drapeaux tricolores, et je demande à la grande distribution de favoriser les produits fabriqués en France. Selon la dernière enquête consacrée au sujet, le « made in France » est un critère d'achat primordial pour 78 % des Français, qui demandent seulement une information transparente; d'où le rôle essentiel des commerçants et distributeurs.
La question, au demeurant, se pose aussi pour les producteurs. Rappelons au passage que 18 % du PIB européen provient de la commande publique, laquelle est entièrement ouverte en France et entièrement fermée aux États-Unis, où le Buy American Act oblige les entreprises candidates à être installées sur le sol américain. Cet exemple montre que le principe de réciprocité est encore loin des préoccupations de la Commission européenne : en ce domaine, la bataille ne fait que commencer.
D'une manière générale, nous travaillons à une stratégie de relocalisation des activités productives. La France, ne l'oublions pas, dispose d'atouts importants : avec 678 projets d'implantation industrielle en 2012 – soit 13 par semaine –, elle est, sur ce plan, la première destination en Europe, devant le Royaume-Uni et l'Allemagne. Dans la plupart des cas, toutefois, ces projets concernent des extensions de groupes déjà présents sur notre sol : nous démarchons donc des entreprises et des filières qui ne le sont pas encore, avec l'objectif de porter le nombre de projets d'implantation à 1 000 par an. Le Pacte de compétitivité et le CICE commencent d'ailleurs à peser dans les arbitrages que les multinationales font entre les pays européens. Je vous communiquerai les éléments de la campagne mondiale « Say Oui to France », que Mmes Fleur Pellerin, Nicole Bricq et moi avons lancée. Les arguments, que j'invite les parlementaires à relayer, ne sont pas minces. Selon une récente étude du cabinet KPMG, les coûts d'implantation sur notre sol sont dans le « top cinq » mondial : le foncier y est bon marché et, si le coût du travail est plus élevé, il est compensé par une énergie moins chère. Et j'appelle votre attention sur ce point.
Vous évoquiez, Madame Bonneton, les coûts cachés du nucléaire, mais le démantèlement d'une centrale en fin de vie crée surtout, dans un premier temps, des emplois de maître-chien autour du mausolée : le démantèlement lui-même intervient beaucoup plus tard. Nous avons plutôt intérêt à rénover nos centrales pour les maintenir en activité le plus longtemps possible : sans la rente qu'elles offrent, nous ne pourrons pas financer la transition énergétique. Comme l'observait Nicolas Hulot lors de la Conférence environnementale, il faudra choisir entre plusieurs solutions impossibles. Le pragmatisme doit donc nous guider.
Nous portons une attention toute particulière aux entreprises françaises ayant éloigné leurs centres de production, moins pour conquérir des marchés que pour s'internationaliser et se rapprocher des lieux de consommation : pourquoi délocaliser à plusieurs milliers de kilomètres pour exporter ensuite vers la France ? Notre travail s'inspire du slogan de campagne de Barack Obama « Let's bring our jobs back home », qui a suscité la Reshoring Initiative, une association d'industriels américains, qui invite les entreprises à recalculer leurs coûts de production, compte tenu de l'explosion des salaires en Chine, de l'augmentation du prix de l'énergie – donc de la logistique aérienne et maritime –, de la mise en oeuvre de fiscalités carbone partout dans le monde et de la volonté de raccourcir les délais de livraison par le rapprochement entre le consommateur et le producteur.
Dans les pays développés, consommateurs et producteurs sont d'ailleurs interdépendants, le « sur mesure » s'imposant à partir d'un certain niveau de qualité. Ce phénomène incite les entreprises à se réinstaller au plus près des consommateurs. L'exemple de Smoby, dans la filière du jouet, l'illustre. Victime des écarts de gestion de l'ancien dirigeant, cette entreprise, située près de Morteau, dans le Jura, avait été placée en redressement judiciaire. Un industriel l'a reprise, relocalisant des activités implantées en Chine et en Roumanie. L'innovation, la montée en gamme, la réduction des délais de livraison, la production en petites séries, la saisonnalité et la flexibilité du temps de travail – rendues possibles, soit dit au passage, par les 35 heures et bientôt renforcées par l'accord du 11 janvier dernier –, ont permis à cette entreprise de plasturgie, que beaucoup croyaient irrémédiablement condamnée, de renaître et de réembaucher. Atol, qui a de son côté relocalisé en France sa production de lunettes, et dont la publicité revêt un caractère patriotique, a vu son chiffre d'affaires progresser de 6 % par an. Rossignol, le fabricant de skis, offre un autre exemple de relocalisation.
Toute la bataille autour de l'accord chez Renault, c'est la bataille pour relocaliser les activités productives sur le sol français. Renault doit produire davantage en France. Et le pacte de compétitivité et son crédit d'impôt sont un élément de la discussion, laquelle ne porte pas tant sur les efforts à faire – et, qui, en vertu de l'accord du 11 janvier, seront partagés entre salariés et actionnaires – que sur les moyens d'éviter les licenciements en relocalisant. Nissan, Daimler, Renault sont fortement incités par l'État actionnaire à localiser leur production et leur assemblage sur le sol national. Cette politique va être relayée par l'Agence française pour les investissements internationaux à qui j'ai confié un programme qui consiste à démarcher les groupes français pour les convaincre de relocaliser.
Bien sûr, la question des coûts de production se pose. Le Mittelstand allemand dispose à ses portes des pays de l'Est hors zone euro. Pas nous, qui n'avons à nos frontières que la Grande-Bretagne et la Suisse où les coûts de production sont plus élevés qu'en France.